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Sarkozy et Juppé peuvent-ils s'abstenir de soutenir plus et mieux Fillon sans risquer de se mettre l'électorat de droite à dos ?
©ERIC FEFERBERG / POOL / AFP

Absentéisme

Alain Juppé l'a finalement annoncé : il accompagnera François Fillon lors d'un déplacement, probablement mercredi 19 avril. C'est un peu tard pour l'ancien adversaire du candidat Républicain, mais mieux vaut tard que jamais... car il semble qu'une absence complète de soutien aurait été très mal perçue par son électorat. Mais cela sera-t-il suffisant ?

Roland Hureaux

Roland Hureaux

Roland Hureaux a été universitaire, diplomate, membre de plusieurs cabinets ministériels (dont celui de Philippe Séguin), élu local, et plus récemment à la Cour des comptes.

Il est l'auteur de La grande démolition : La France cassée par les réformes ainsi que de L'actualité du Gaullisme, Les hauteurs béantes de l'Europe, Les nouveaux féodaux, Gnose et gnostiques des origines à nos jours.

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Atlantico : Vendredi dernier, Alain Juppé et Nicolas Sarkozy avaient apporté un message de soutien à leur candidat sur les réseaux sociaux. Xavier Bertrand s'était agacé de leur manque de présence dans la campagne de François Fillon quelque jour plus tard. Vendredi 14 avril, on apprend qu'Alain Juppé accompagnera finalement François Fillon lors d'un déplacement. Alain Juppé et Nicolas Sarkozy ont-ils pris conscience qu'abandonner leur candidat serait mal perçu par leur électorat ?

Roland Hureaux : Il me semblait que le récent message de Sarkozy marquait un appui très clair à François Fillon. Mais il n’était pas à la porte de Versailles, ni Juppé. Est-ce aussi grave que ce que dit Xavier Bertrand ? Je me le demande.

L’élection présidentielle est un face à face entre un homme (ou plusieurs hommes en concurrence) et le peuple. Aujourd’hui les Français voient d’abord Fillon, pas le parti des Républicains.C’est la logique de la Ve République mais c’est aussi celle de la télévision. 

La présence physique de tel ou tel ténor est en revanche importante pour les journalistes qui peuvent, en cas d’absence remarquée, surtout s’ils ont mal intentionnés, comme ils le sont généralement vis-à-vis de Fillon, jaser sur le défaut de soutien. Elle est aussi importante pour le militants LR qui aiment bien que leurs chefs soient unis. C’est comme ça. Ils ont le culte d’Union. Même si tout le monde sait que les principaux ténors se détestent, les voir ensemble à la tribune les rassure. 

Ils n’ont jamais remarqué qu’un des plus grandes victoires de la droite, celle de 1995, s’est produite dans un climat de division (Chirac/Balladur) et que, inversement, il arrive souvent qu’en étant unis, on perde.  

Pierre Messmer m’avait dit une fois, un peu narquois : « Vous comprenez :  pour ceux qui battus, il est plus facile de dire « j’ai perdu parce que mes amis m’ont trahi » que de dire « j’ai perdu parce que je suis  mauvais ».  Et tout cela reste dans les esprits. Par exemple, je penseque Giscard aurait de toute façon été battu en 1981 avec ou sans Chirac.   

En revanche, pour les électeurs de base ou le grand public, appelez-les comme vous voulez, le contact avec les candidats se fait par la télévision ou le bouche à oreille.  Et là les bisbilles internes aux partis leur passent un peu par-dessus la tête ; je suis persuadé que ce n’est pas là un facteur décisif de vote. Une bonne prestation dans un débat et infiniment plus importante.

L'enjeu principal semble être les législatives pour le parti. Mais si Fillon n'est pas au second tour du scrutin présidentiel, il faut craindre un score catastrophique à ces élections. Les juppéisâtes et sarkozystes commencent-ils à craindre pour leur circonscription ? 

Ils ont bien plus à craindre qu’un score faible aux législatives. C’est la survie de LR (ex-UMP) qui est en jeu. Si Fillon n’estpas au second tour, tous devront choisir entre deux candidats qui ne sont pas de leurfamille, plus probablement Marine Le Pen et Macron (voire Mélenchon !).  Cela conduira à  un terrible déchirement.

Au niveau des grands élus, je pense que la majorité choisira Macron, non pas sympathie, mais en raison des réseaux divers et variés dans lesquels ils sont insérés et qui ne leur laissent pas forcément le choix. Pour les électeurs, en revanche je pense qu’une moitié au moins, quelles que soient les consignes qu’on leur donnera, ira au FN. 

Le risque d’éclatement  est donc double : d’un côté entre les élus qui prendront des voies différentes (jusqu’à quel point ? Ca dépendra un peu de l’habileté des marinistes) , ensuite entre les cadres et la base qui sont, il faut bien le dire,  an discordance. Par exemple, LR est un parti où la quasi-totalité des parlementaires et des cadres est européiste et la grande majorité des militants et des électeurs (sauf en Région parisienne) est souverainiste. 

Il y a là un facteur de fragilité que n’ont pas au même degré le PS et le FN. D’autre part je pose la question :  comment faire revenir aux législatives des électeurs qui auront voté au deuxième tour de la présidentielle soit le Pen soit Macron ?  Tous les patrons de LR ont-ils prisconscience que Fillon absent du second tour, c’est ma fin de leur mouvement ? 

La droite libérale risque alors de connaître le sort qui fut celui de la démocratie chrétienne en Italie : l’effondrement définitif autour de 10 %  de ce qui fut un grand parti de gouvernement. Notez que le parti socialiste est bien parti pour connaître le même sort, mais ce n’est pas une consolation.

Effet de l’Europe de Bruxelles ? Les différents pays d’Europe voient les partis traditionnels sur lesquels fonctionnait le bipartisme s’effondrer au bénéfice de nouvelles forces. Cela a été le cas en Italie, on l’a dit, mais aussi en Autriche qui a vu s’affronter au second tour de la présidentielle un nationaliste et un écologique. C’est plus ou moins le cas en Espagne. C’est le Brexit qui a évité l’effondrement du parti conservateur en Angleterre.  Le cadre traditionnel résiste encore en Allemagne mais au prix  de grandes coalitions qui ne dureront pas éternellement. 

François Fillon a-t-il pour le coup besoin d'un soutien physique de ses anciens concurrents à la primaire de la droite ?

A vrai dire je n’en suis pas sûr. Ceux qui ont voté à la primaire de la droite et du centre ont écarté Sarkozy et Juppé parce qu’ils les avaient trop vus (et les médias n’ont pas fait peu pour qu’on les voie beaucoup !)  Le même sentiment guette aujourd’hui Fillon. S’il se ballade partout entre Sarkozy et Juppé, je ne suis pas sûr que ce soit une bonne chose pour lui.  Cela ne veut pas dire qu’ils ne puissent pas faire plus pour lui.  

Près de 570 candidats aux législatives ont été investis par LR ou l’UDI - qui a eu la part belle en menaçant de rallier Macron.  On a le sentiment que  beaucoup ne se bougent pas trop pour soutenir Fillon et n’y sont pas trop incités par leur « chef de clan ». Ils préparent les législatives dans leur petit coin. Or, comme je l’ai dit, leur sort dépend très largement de celui de François Fillon.

Je pense que Fillon devait leur donner à tous l’ordre clair de faire dans les jours qui restent, chacun dans sa circonscription, un petit événement  en sa faveur. Ce n’est pas difficile : un café politique avec quelques copains, la presse régionale étant généralement complaisante pour venir faire une photo. Beaucoup d’électeurs de base, traumatisés par les affaires de ces deniers mois, attendent un message de proximité de ce genre.

Il faudra même que la direction de LR laisse entendre que les investitures de ceux qui ne jouent pas le jeu pourraient être remises en cause. On dira que Fillon ne pourra le faire que s’il gagne. Certes, mais s’il perd, surtout s’il n’est pas au second tour, que vaudront encore ces investitures ?  Pour susciter ce genre d’engagement au niveau local, il faut que ceux qu’on appelait autrefois les mammouths (Sarkozy, Juppé, NKM, Poisson, ne parlons plus de Le Maire) les y encouragent et en tous les cas n’y fassent pas obstacle. 

Donc l’union oui, mais en laissant cependant Fillon en avant face au peuple et face à son destin.  

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