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Surprise scientifique : les grands singes auraient des capacités cognitives qu’on pensait réservées à l’espèce humaine depuis toujours
©C HOBAITER

Les singes ces grands chefs

Les singes sont capables de comportements qui peuvent les rapprocher des êtres humains. C'est le sens des résultats d'une étude scientifique réalisée par le docteur Buttelmann de l'Université d'Erfurt. Les singes sont capables de comprendre les désirs des autres hommes notamment.

Sabrina Krief

Sabrina Krief

Sabrina Krief est chargée de recherche en primatologie au sein du Muséum national d'Histoire naturelle - Musée de l'Homme. Elle exerce en tant que Professeur du Muséum. Elle est par ailleurs docteur vétérinaire et Directrice du Sebitoli Chimpanzee Project.

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Atlantico : Une étude réalisée par un psychologue de l'Université d'Erfurt, le docteur Buttelmann montre que les grands singes sont doués de capacités cognitives. Ils sont capable de faire la distinction entre les fausses opinions et les vraies. En quoi consiste cette étude ? Que nous permet-elle d'apprendre de plus sur le comportement des singes ? Dans quelle mesure les grands singes sont capables de comprendre les intentions, les besoins des autres singes ou êtres humains ?

Sabrina Krief Cette étude s'intéresse à trois espèces de grands singes, les bonobos, les orangs-outans et les chimpanzés étudiés en conditions expérimentales. Elle s'interroge sur le fait de savoir si les grands singes sont en mesure de détecter ce qu'un autre individu sait ou non. Si les trois espèces ont des capacités similaires alors elles seraient communes à un ancêtre commun entre les grands singes et les hommes. C'est donc  l'occasion de s'interroger sur l'origine de nos capacités cognitives. Les auteurs se demandent si les grands singes peuvent se projeter dans les connaissances d'autrui avec un protocole assez simple et ne faisant pas intervenir une récompense alimentaire différentes en fonction de leurs réponses. Les expériences réalisées ont eu lieu entre des grands singes et des humains, testant donc également une relation entre deux espèces différentes. Les grands singes sont-ils en mesure de détecter chez les humains, une capacité à savoir si quelque chose est vrai ou non. Le primate placé face à deux boites observe un premier expérimentateur placer un objet dans l'une d'elle puis un deuxième expérimentateur changer l'objet de boite et verrouiller les deux boites. Dans un cas, l'expérimentateur 1 voit le changement de boite, dans le second, non. Le grand singe doit aider l'expérimentateur 1 à ouvrir la bonne boite, c'est à dire celle avec l'objet à l'intérieur. Les résultats montrent que les trois espèces de grands singes ont été capables d'aider l'expérimentateur qui n'avait pas vu le changement de place de l'objet et aidaient plus souvent celui-ci que celui qui en avait été témoin 

Une précédente étude publiée dans Science en Octobre 2016 avait déja démontré les capacités des grands singes à détecter les fausses croyances. Un film était projeté aux grands singes, et les chercheurs suivaient leur regard via un système de eye tracking pour voir s'ils étaient capables d'anticiper un endroit où  le poursuivant d'un acteur déguisé en King Kong allait chercher King Kong, celui-ci changeant de place sous le regard de son poursuivant dans un cas ou sans être vu dans l'autre cas. Le système d'eye tracking peut être critiqué. Cette nouvelle expérience va plus loin que les précédentes parce qu'elle donne non seulement des informations sur la théorie de l'esprit des grands singes mais également permet de voir que ces capacités induisent des réponses d'aide envers la personne ayant ainsi de fausses croyances. L'objectif de cette étude est de savoir si les grands singes savent ce que les autres savent, quelles sont les intentions, les buts d'une autre personne et n'explore pas uniquement la propre conscience de soi d'un individu 

Dans cette étude, les grands singes sont élevés en captivité et participent à des expériences imaginées par des humains, très artificielles. Ces résultats diffèrent très largement des comportements que l'on peut observer en milieu naturel et sont complémentaires à celles faites sur les grands singes sauvages. 

Quelles autres découvertes ont été réalisées et permettent de mettre en lumière les caractéristiques très "humaines" des singes ? Quels sont les autres comportements des grands singes qui peuvent les rapprocher des êtres humains ? 

Au travers de mes études sur l'automédication des chimpanzés, j'ai pu mettre en évidence que les grands singes qui étaient malades étaient capables de sélectionner et de consommer les plantes qui avaient des propriétés médicinales. Quand on compare la pharmacopée des chimpanzés et celle des hommes, on remarque un recouvrement dans le choix des plantes utilisées par la médecine traditionnelle africaine et les plantes choisies par les primates, pour les mêmes pathologies. Ces observations laisse à penser que les chimpanzés ont des capacités d'automédication, une sorte de proto-médecine pas si éloignée de la notre... 

Ce qui est intéressant, c'est de voir comment s'expriment ces capacités en milieu naturel. Il y a des choses assez exceptionnelles observées en conditions expérimentales comme l'ordonnancement de chiffres montrés sur un écran comme l'a révélée le professeur Matsuzawa qui met en avant le fait que les chimpanzés ont -dans certains cas- des capacités de mémoire bien meilleures que les humains. Ils ont une capacité à se souvenir de l'ordre d'apparition des chiffres sur un ecran qui est remarquable. Dans cet exercice, les chimpanzés surpassent les humains. Néanmoins, les conditions de réalisation de cet exercice sont assez particulières et demandent un entrainement assez poussé. Dans leur milieu naturel, les chimpanzés sont en mesure de repérer et d'anticiper sur leur territoire la fructification des arbres. Ils ne vont pas se déplacer pour aller chercher des fruits d'une espèce qui ne seraient pas mûrs. Des chercheurs ont mis en évidence ces compétences de botanique exceptionnelle. De plus, ils peuvent adapter leurs déplacements à leurs besoins, ils savent utiliser des indices comme le vol des oiseaux vers des arbres en fruit. Il y a d'autres choses étonnantes par rapport à la prise en compte des savoirs. Ainsi par exemple, en fonction des congénères présents, ils vont appeler à l'aide ou pas s'ils sont attaqués et moduler l'intensité de leurs vocalisations en fonction de sa position hiérarchique et de sa capacité de lui venir en aide. S'il n'y a que des individus de bas rang hiérarchique, l'agressé ne va pas crier fort alors qu'en présence d'individu de rang hiérarchique plus élevé que son agresseur, la victime va exagérer ses cris. parce qu'ils ne seront pas aidés.

Qu'est-ce que les singes ont encore à nous apprendre ?

Si je reprends l'exemple de mes recherches, les chimpanzés nous ont guidé vers des molécules qui nous étaient complètement inconnues aux propriétés anti paludiques, vers des plantes que nous n'utilisions pas pour la recherche de nouveaux médicaments . Les observer peut nous convaincre de préserver nos forêts tropicales qui abritent des ressources inestimables pour la santé humaine et pour notre futur. Il est urgent de les protéger car nos plus proches parents sont menacés d'extinction dans un avenir proche et leur disparition nous priverait de nos plus proches parents mais également de connaissances sur notre propre espèce et son évolution.  

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