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Les critiques faites à l’égard de la sortie de l’euro proposée par le Front national ne sont elles pas aussi caricaturales que le projet lui-même ?
©REUTERS / Yves Herman

​Fin du monde

Alors que l'échéance présidentielle se rapproche dangereusement, les critiques faites à l'égard du projet économique du Front national peinent à s'extirper de la logique binaire qui s'était également imposée lors du Brexit. En évitant de traiter les détails de la question de la sortie de l'euro, les opposants au FN ouvrent la brèche à un discours simpliste.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Atlantico  : Si le discours du FN sur la question de l'euro est souvent caricaturé, ne peut-on également dire que les critiques elles-mêmes sont "caricaturales", comme cela a pu être le cas pour le Brexit, qui a souvent été présenté comme étant annonciateur d'une forte dépression qui n'a toujours pas vu le jour ?

Nicolas Goetzmann :Malheureusement, le débat sur l'euro est totalement coincé dans une logique binaire qui conduit à forcer les électeurs à choisir pour ou contre l'euro, sans jamais entrer dans le détail de ce qui pourrait être changé, dans le fonctionnement de l'euro. Les défenseurs de l'euro défendent un totem dont les caractéristiques sont gravées dans le marbre, et le FN joue en opposition. Ce débat est inutile et ressemble effectivement à celui qui a eu lieu sur le Brexit, entre ceux qui annoncent la fin du monde, et ceux qui annoncent un renouveau merveilleux qui découlerait d'évidence de la sortie de l'euro. Ce que cette forme de débat occulte totalement, c'est ce que le FN propose après la sortie de l'euro. Il suffit de regarder le projet présidentiel de Marine Le Pen, et de constater l'immense vide à ce sujet, pour réaliser que rien n'est véritablement prévu. On ne sait rien de la stratégie monétaire qui sera proposée à la Banque de France, s'agira-t-il d'un retour à la même stratégie que celle de la BCE, c’est-à-dire la maitrise des prix sous le seuil des 2% d'inflation, s'agira-t-il d'une autre stratégie ? Laquelle ? Et puisque le casting d'une Banque centrale, la personnalité de ceux qui la composent, sont d'une extrême importance pour assoir la crédibilité d'une institution nouvelle, et dotée du plus grand pouvoir économique possible dans le pays, il serait tout de même utile de savoir quels seraient les personnes choisies. Il est d'ailleurs intéressant de noter que parmi les équipes du FN, aucune personnalité ne semble être à la hauteur de la charge. Pas de personnalité, pas de stratégie, c'est bien ça l'éléphant au milieu de la pièce du projet du Front national, ce n'est pas la sortie de l'euro en tant que telle qui doit effrayer le plus, c'est le vide et l'improvisation qui s'annoncent pour la suite.

Ce qui est sidérant, c'est de voir que les opposants à Marine Le Pen entrent dans le jeu du discours manichéen à pieds joints, en parlant de désastre, de fin du monde, d'euthanasie des épargnants, c'est à dire dans le même registre qui a été utilisé lors du Brexit, et on a pu en mesurer l'efficacité. C'est en entrant calmement dans le détail que l'on peut voir le vide proposé par le FN, pas en restant sur des question de morale ou sur la peur. 

Marine Le Pen a pu indiquer que la monnaie pouvait être le levier le plus efficace pour agir sur la compétitivité, sur quels éléments Marine Le Pen se base-t-elle pour en arriver à une telle conclusion ? Une dévaluation provoque-t-elle nécessairement des gains de compétitivité ?

Voici encore un élément qui permet de démontrer la vacuité de ce débat. En parlant de compétitivité et de dévaluation, Marine Le Pen acte l'absence de pensée de son parti sur la question monétaire. Pour être juste, il n'est pas déraisonnable de penser que les partis de gouvernement ont également cessé de penser la monnaie depuis un bon moment. Le levier monétaire est d'abord et avant tout un outil permettant de contrôler la demande intérieure, c’est-à-dire le niveau d'activité, au sein de la zone économique sous le contrôle de la Banque centrale. L'évolution de la valeur de la monnaie dépend de ce qui va être fait en ce sens. On peut prendre l'exemple du Japon. La Banque du japon a modifié par deux fois son objectif monétaire, passant d'un objectif de 0% d'inflation à 1%, puis à 2%. Ces décisions ont provoqué une réaction des marchés financiers qui ont, au cours des mois qui ont suivi, entrainé une baisse du Yen de 40%. La "dévaluation" a donc été une conséquence, et non l'objectif principal. Parce que l'objectif principal a été de provoquer une poussée de la demande intérieure avec une limite d'une inflation à 2%, il ne s'agit donc aucunement de rechercher des "gains de compétitivité" pour exporter plus, mais bien de "revitaliser" l'économie sur la base du marché intérieur. De la même façon, lorsque l'euro a baissé lors de ces dernières années, ce n'est pas parce que la BCE a dévalué l'euro, mais parce que Mario Draghi a changé de braquet sur le niveau d'activité souhaité au sien de la zone euro, et l'ajustement s'est fait naturellement par la suite. Ce débat sur la monnaie basé sur les termes de dévaluation et de compétitivité est donc parfaitement creux.

Si le projet présidentiel de Marine Le Pen ne fait pas de mention explicite à la sortie de l'euro, et se réfère plutôt au référendum de sortie de l'Union européenne, quelles peuvent être les difficultés générées par ce manque de détails ?

Encore une fois, ce qui doit inquiéter le plus n'est pas la question de la sortie de l'euro, mais l'absence totale de stratégie pour la suite. Ce qui pose problème, c'est bien l'incapacité de poser la question de ce qui fonctionne et de ce qui ne fonctionne pas dans la zone euro. Le mandat de la BCE est inadapté aux besoins du continent, c'est bien la raison principale du chômage de masse qui frappe le continent depuis près de 10 ans, et de la précarisation des sociétés européennes. L'Europe a abandonné le plein emploi lors du Traité de Maastricht, alors qu'il s'agit d'une pierre angulaire des origines social-démocrate du projet européen. Le projet de certains candidats à la présidentielle est d'abandonner l'autre pilier de cette approche, c’est-à-dire l'État Providence, et une social-démocratie sans plein emploi et sans État providence, est simplement l'opposé d'une social-démocratie. La question qui se pose pour l'euro est donc de rétablir un objectif de plein emploi, ce qui donnera la possibilité de renforcer l'État providence sans passer par la case fiscalité. Mais cette question-là n'est pas abordée par le FN, dont le seul objectif est de s'opposer à ce qui existe aujourd'hui, sans aucune forme de réflexion autour de la complexité du problème. On rase gratis, et ensuite on improvise pour la suite avec les moyens du bord, voilà le programme. 

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