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Pour deux faits parfaitement identiques, deux condamnations complètement différentes : la justice est subjective...et c'est "normal"
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Bonnes feuilles

Savez-vous que vous pouvez reconnaître votre responsabilité pénale par l’aveu sans encourir de sanctions pénales ? Savez-vous qu’on peut avoir raison en droit et perdre un procès ? Savez-vous qu’il n’existe pas une seule justice européenne ? Pour parler d’un monde complexe, on ne compte plus les idées reçues ! En expert reconnu du Droit, Me Pandelon fait le point et distingue, avec clarté et pertinence, le vrai du faux. Extrait de "La face cachée de la justice" de Me Gérald Pandelon, aux Editions Valensin (2/2).

Gérald Pandelon

Avocat à la Cour d'appel de Paris et à la Cour Pénale Internationale de la Haye, Gérald Pandelon est docteur en droit pénal et docteur en sciences politiques, discipline qu'il a enseignée pendant 15 ans. Gérald Pandelon est Président de l'Association française des professionnels de la justice et du droit (AJPD). Diplômé de Sciences-Po, il est également chargé d'enseignement. Il est l'auteur de L'aveu en matière pénale ; publié aux éditions Valensin (2015), La face cachée de la justice (Editions Valensin, 2016), Que sais-je sur le métier d'avocat en France (PUF, 2017) et La France des caïds (Max Milo, 2020). 

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Vous êtes persuadé que la manière dont vous serez jugé lors de votre procès pénal dépend étroitement, voire d’une façon déterminante, de la manière dont les services de police auront présenté les choses au parquet, surtout lorsqu’il s’agit de circuits « courts » (convocation par officier de police judiciaire (COPJ) ou convocation par procès-verbal (CPP-V)).Autrement dit, les jeux seront déjà quasiment faits vous concernant dès la phase policière de l’enquête.

Oui, vous avez majoritairement raison. Prenons l’exemple d’un dossier ne présentant pas le caractère d’une particulière gravité (un vol simple), pour lequel une personne mise en cause, à l’issue de sa garde à vue, attendrait le sort qui lui serait réservé par le procureur de la République, à savoir soit une COPJ, soit une CPP-V avec placement sous contrôle judiciaire*  ou enfin un déferrement JLD (juge des libertés et de la détention) avec le risque d’un mandat de dépôt, donc d’une incarcération à titre provisoire. La manière dont sera traité donc restitué le déroulement des faits et surtout votre personnalité seront déterminantes pour la suite pénale qui vous sera réservée.

Ce qui signifie que pour exactement la même affaire le mis en cause pourra soit ressortir libre avec une convocation ultérieure devant le tribunal correctionnel (COPJ), voire faire tout simplement l’objet d’une procédure de « plaider coupable » (donc éviter une audience classique) soit risquer un mandat de dépôt mais être toutefois laissé libre sous contrôle judiciaire* (CPPV) jusqu’à sa comparution à l’audience soit faire l’objet d’une détention provisoire ou mieux préventive avant que la juridiction accepte d’évoquer son affaire ! Prenons l’exemple du dossier de M. X… et celui de M. Y poursuivis tous deux exactement pour des faits similaires et dont le casier judiciaire porte trace d’une condamnation pour exactement des affaires identiques :

Dossier de M. X 

Appel téléphonique de l’officier de police judiciaire Monsieur Aigri : « Allo M. le procureur, bonjour, M. Aigri. J’ai dans nos services le dénommé X, il est poursuivi du chef de (l’infraction poursuivie) ; il nie en bloc, il me paraît peu respectueux de l’institution judicaire, il me donne le sentiment de ne pas comprendre la portée de son geste ; j’ai le sentiment qu’il a le profil d’une personne qui va récidiver ; d’ailleurs, il est très peu coopératif. »

Réponse du Substitut du parquet de permanence, Monsieur Zelais : « Bon très bien, déferrement. Il ira s’expliquer devant le JLD, on verra bien s’il fera le malin ». 

Dossier de M. Y

Appel téléphonique de l’officier de police judiciaire Monsieur Bonnard : « Allo M. le procureur, bonjour, M. Bonnard. J’ai dans nos services le dénommé Y, il est poursuivi du chef de (même infraction que pour Monsieur X) ; ce n’est pas l’affaire du siècle. Il a eu une rupture sentimentale, il a perdu son travail, il avoue tout, il pleure et demande pardon. »

Réponse du Substitut du parquet de permanence Monsieur Just : « Bon, ok…ok… On part sur une COPJ ou même, s’il est d’accord, une simple CRPC (comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité), puisqu’il reconnaît les faits, ce qui lui évitera les affres d’une audience classique (…) ».

L’exemple ci-dessus démontre la part très importante de la dimension subjective de l’enquêteur qui, pour des faits parfaitement identiques et sur un simple appel téléphonique, peut soit briser une vie (dossier de M. X où un risque d’incarcération est à craindre) soit, dans un élan empathique et de simple humanité, peut aller jusqu’à éviter une audience correctionnelle classique en proposant à l’intéressé un simple « plaider coupable » ou CRPC. Pourtant, dans les deux cas, ce qui aurait dû l’emporter, en dépit du comportement de M. X et de l’attitude de M. Y, c’est l’objectivité dans l’examen des faits et, en réalité, dans les deux cas, c’est une COPJ qui aurait dû être délivrée aux deux auteurs.

En réalité, dans cette chaîne pénale qui commence avec l’enquête de police et qui se termine devant un juge pénal, l’objectivité n’existe que très rarement et vous savez pourquoi ? Car l’objectivité n’est pas humaine, ce qui est « humain », c’est de faire montre de subjectivité car vous ne pourrez jamais empêcher que M. X ressemble physiquement au gars qui est parti avec l’épouse de M. AIGRI le bien nommé, lequel fera tout pour se venger (même si le malheureux X n’est en rien responsable de l’adultère en question ! ) et que Y puisse symboliser la misère humaine et le grand désarroi d’un être ; le problème c’est que le premier pourra aller en prison alors que le second rentrera tranquillement à la maison et, encore une fois, pour des faits strictement identiques. C’est vrai : nous sommes très peu de chose. Mais objectiver le subjectif est-ce vraiment concevable lorsque nous sommes de simples humains et que malheureusement aujourd’hui la part d’ombre nous constituant est bien plus importante que la part de bienveillance dont nous devrions également être doté ? Malheureusement, la réalité c’est qu’il est infiniment plus facile de faire du mal que de faire du bien, d’autant que ceux qui font le bien, dans un monde inversé, passent pour des illuminés indignes d’intérêt alors que ceux qui font du mal passent pour des gens très respectables… Mais, c’est ainsi que va le monde, du moins notre monde... D’ailleurs, il n’aura échappé à personne qu’en inversant la fin du mot « monde » on trouve un autre mot : le démon.

Vous êtes un bandit chevronné, vous avez fait partie de ce qu’on appelle le « milieu ». Tout le monde vous connait, votre nom a été cité à de multiples reprises dans les journaux et des films et des ouvrages ont été réalisés sur votre vie. Pourtant, aujourd’hui, vous êtes retiré des affaires, vous ne vous occupez que de vos petits-enfants et de vos enfants que vous n’avez pas vu grandir à cause des nombreuses années de « placard » (de prison) que vous avez effectuées. Pourtant, vous êtes persuadé qu’en dépit de votre comportement désormais exemplaire, au moindre faux pas, les services de police, le parquet et le juge pénal s’acharneront sur vous. Pire encore, vous m’expliquez que les services de police pourront même aller jusqu’à fabriquer des preuves contre vous pour vous « serrer » (vous interpeller) donc vous « faire tomber » (vous renvoyer en prison) s’ils estiment que les preuves dont ils disposent sont insuffisantes pour vous faire condamner. 

Oui, ce n’est pas faux, même si les enquêteurs et les magistrats se doivent de respecter les règles de procédure afin d’éviter toute arrestation arbitraire. En même temps, il vaut mieux pour la carrière d’un enquêteur puis d’un magistrat de réussir à faire condamner un parrain du milieu parisien ou du milieu marseillais, ce qui est perçu bien souvent pour les organes de poursuite comme une sorte de « trophée », que de permettre la condamnation d’un consommateur occasionnel de cannabis. En réalité, à tort ou à raison, les enquêteurs de police et les magistrats des juridictions pénales demeurent, pour la grande majorité d’entre eux, persuadés qu’un voyou reste un voyou, qu’il ne change pas, qu’il ne peut pas changer car, au fond, c’est plus fort que lui, la délinquance constitue comme une seconde nature, presque une maladie, une drogue, dont les voyous ne pourraient pas se passer.  

Extrait de La face cachée de la justice de Me Gérald Pandelon, aux Editions Valensin

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