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Clause Molière : et si l’on parlait plutôt de préférence locale ?
©Reuters

Débat

Alors que l'Union européenne elle-même préconise une révision de la directive sur les travailleurs détachés, le débat s'intensifie en France au sujet de la "clause Molière".

Francis Choisel

Francis Choisel

Ancien conseiller général des Hauts-de-Seine, Francis Choisel est historien, auteur de Comprendre le gaullisme (L’Harmattan, 2016). 

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La préférence nationale reste un gros mot. Mais le patriotisme économique d’Arnaud Montebourg fait de plus en plus d’adeptes, un patriotisme économique qui prend aujourd’hui la forme de la "clause Molière" mise en place par Laurent Wauquiez dans les appels d’offre de sa région. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : l’obligation faite au personnel des chantiers publics de parler français a pour évident objet de donner un coup de pouce à l’emploi local.

Et pourtant, assez bizarrement, elle provoque une levée de boucliers parmi les syndicats. Il est en effet surprenant que ceux qui se disent les défenseurs des ouvriers n’applaudissent pas à une mesure qui vise à protéger les salariés français contre la concurrence déloyale d’une main d’œuvre à bas coût, autrement dit à empêcher les employeurs de se livrer à une sous-enchère qui tire l’ensemble des salaires à la baisse, à lutter aussi, au moins par ricochet, contre l’exploitation des travailleurs étrangers sur les chantiers français. Qu’elle ait un petit côté protectionniste n’enlève rien à ses vertus sociales.

Ces indignations qui se multiplient sont d’autant plus malvenues que l’Union européenne elle-même admet que la directive sur les travailleurs détachés doit être revue, et que sa réforme est en cours de négociation.

Les vertus du principe de proximité

Mieux vaudrait s’interroger sur la pertinence de l’objectif recherché et se demander s’il est anormal qu’un président de conseil régional cherche à développer l’emploi sur son territoire. N’est-ce pas justement dans les compétences de la collectivité territoriale qu’il dirige ? N’est-il donc pas de son devoir de le faire ? N’en est-il pas de même à l’échelle départementale, communale ou intercommunale ? Et, question subsidiaire, est-il admissible qu’il faille, pour y parvenir, utiliser des moyens détournés ?

L’emploi, d’ailleurs, n’est pas seul en cause en cette affaire. Qu’on me permette de citer un exemple personnel pour le faire comprendre. L’an passé, dans la petite commune d’un millier d’habitants où je passe mes loisirs d’été, il a fallu complètement reprendre le réseau d’adduction d’eau. Le chantier a été confié à une entreprise du canton. Eh bien, je n’en ai jamais vu d’aussi bien conduit au profit des habitants. Le conducteur des travaux, demeurant sur place, connaissait parfaitement les lieux, était disponible instantanément pour programmer ses interventions avec chaque propriétaire, avait à cœur d’obtenir le meilleur résultat avec le minimum de dégâts, était d’autant plus prévenant qu’il s’adressait à ses proches concitoyens.

J’en conclus que dans l’appréciation du "mieux disant" d’un appel d’offre, le critère de proximité doit être pris en compte. Il doit, au demeurant l’être avec une complète liberté d’appréciation, c’est-à-dire avec discernement, car quelles entreprises un maire connaît-il mieux que celle de sa commune ? Il sait bien, comme tout le conseil municipal, qui sont les bons et les mauvais entrepreneurs des environs. Alors qu’il serait bien en peine de départager une entreprise polonaise d’un prestataire slovène sur un critère de qualité.

Ajoutons que, pour ce qui est du "moins disant", les retombées fiscales et financières pour la collectivité passant commande devraient être calculées. Lorsqu’une région investit, par exemple, il n’est pas indifférent qu’une partie de l’argent versé au nom du contribuable revienne dans l’économie locale voire dans les caisses de la région, au lieu de s’en aller bien loin, dans une autre région ou à l’autre bout du continent. Dans le cas d’une commande de l’État, l’effet induit sur le coût d’indemnisation du chômage et sur les impôts et taxes versés par les entreprises soumissionnaires mérite aussi d’être évalué.

Ce raisonnement, on le voit, n’aboutit ni à la clause "Molière", ni à la préférence nationale, ni même à un brutal patriotisme économique, mais à une "préférence locale". Qu’on nous comprenne bien : il ne s’agit pas seulement de jouer sur les mots. Nous proposons très concrètement d’autoriser les communes à privilégier les entreprises de la commune, et seulement elles, les départements celles du département, les régions celles de la région. Et bien sûr, pour les marchés de l’État, et seulement eux, les entreprises françaises.

L’Union européenne retrouverait à coup sûr un peu de la popularité qui lui fait aujourd’hui tant défaut si elle adoptait une directive allant dans ce sens, valant pour tous les États membres bien sûr et pas seulement pour la France, et que ceux-ci n’appliqueraient que s’ils le souhaitent. Libre à chacun de préférer les entreprises lointaines.

Ajoutons que ce serait "bon pour la planète" comme on dit, car le principe de proximité que nous préconisons a aussi comme intérêt de limiter les transports et les déplacements, donc la pollution. Agir et produire localement n’est-il pas un des principes de base d’une pensée authentiquement écologiste ?

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