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Face aux nouveaux progressistes, que peut trouver la droite comme discours désirable ?
©LIONEL BONAVENTURE / AFP

Recomposition de la vie politique

Alors que la gauche se restructure autour de la "maison des progressistes" comme l'atteste la rencontre ce jeudi entre François Bayrou et Manuel Valls, la droite elle aussi va devoir songer à cette opération.

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne est professeur de philosophie.

A 48 ans, il est actuellement membre du Conseil d’analyse de la société et chargé de cours à l’université Paris IV et a récemment publié Le deuxième
humanisme – Introduction à la pensée de Luc Ferry
(Germina, 2010). Il est également l’auteur, avec Pierre-Henri Tavoillot, de Philosophie des âges de la vie (Grasset, 2007).

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Atlantico : Avec la gauche qui se restructure autour de l'idée de Manuel Valls, celle de la "maison des progressistes", quel discours désirable pourrait trouver la droite en réponse ? 

Eric DeschavanneOn peut d'abord s'interroger sur l'intérêt pour une certaine gauche de réactiver l'idée de progrès, dont l'attractivité aujourd'hui ne va nullement de soi. L'idée selon laquelle en "allant de l'avant" on va nécessairement vers le mieux témoigne en effet d'un optimisme qui n'est plus unanimement partagé, c'est le moins que l'on puisse dire. La métamorphose de la gauche, la fin du compromis sur lequel était fondé le Parti socialiste d'Épiney, l'union de la gauche puis la gauche plurielle constitue l'événement idéologique marquant de la campagne présidentielle de 2017. Il y a désormais deux gauches véritablement irréconciliables : celle de Mélenchon et Hamon, d'une part, dont l'hostilité au capitalisme prend désormais le masque de l'idéal écologique; celle de Valls et Macron, d'autre part, la gauche de gouvernement décomplexée et assumée, qui entend rompre une bonne fois pour toutes avec l'idéal d'un monde alternatif. A l'occasion de cette séparation, chacune des deux forces en présence éprouve le sentiment d'être libérée d'un boulet et de pouvoir prendre un nouveau départ. Pour Valls et pour Macron, le problème est donc de se débarrasser des vieilles étiquettes : "socialisme" renvoie inéluctablement à l'idée d'un changement de régime économique – projet qui leur apparaît désuet et archaïque. Comment dès lors caractériser et désigner le projet de cette nouvelle gauche de gouvernement ? Les étiquettes siginificatives ne sont pas légion : "démocrate" fait trop américain; Macron pourrait assumer son libéralisme, mais "libéral" est trop négativement connoté en France; Valls pourrait se revendiquer "républicain", mais la droite s'est (abusivement) appropriée l'appellation. Reste donc le label "progressiste" qui, depuis la Révolution française, est plutôt l'apanage de la gauche. Face à la droite contre-révolutionnaire ou conservatrice, la gauche, dans toutes ses composantes (réformiste ou révolutionnaire, libérale, républicaine ou socialiste), pouvait se revendiquer comme le parti du mouvement et du progrès. Aujourd'hui, comme le souligne Marcel Gauchet, l'idéal du progrès qui rassemble toute la gauche est celui de l'émancipation des individus. Les deux gauches se divisent sur le rapport à l'économie et s'accordent sur le libéralisme sociétal.

La mutation idéologique de la gauche à laquelle nous assistons constitue pour la droite un nouveau défi. Durant toute l'histoire de la cinquième République, la droite n'a jamais véritablement été contrainte de se poser la question de son identité idéologique. Face à la gauche, elle disposait de la certitude d'incarner le réalisme, le bon sens de la majorité silencieuse. Son problème majeur fut celui du positionnement sur la question européenne. Mais les choses se sont décantées d'elles-mêmes : le parti-pris du réalisme l'a emporté sur les velleités de défense de la souveraineté nationale. La séparation qui réapparaît à gauche aujourd'hui existe à droite depuis l'émergence du Front national. Ce qui n'allait nullement de soi au moment où celui-ci connut ses premiers succès est depuis longtemps devenu un fait acquis : il n'y a pas d'union possible entre la droite et l'extrême-droite, laquelle détient désormais le quasi-monopole du souverainisme. Comment la droite classique pourra-t-elle encore être attractive dans une société où règne la défiance à l'égard des élites et du système quand elle incarne depuis plusieurs décennies "le système", et qu'elle se trouvera en outre concurrencée sur le terrain de l'efficacité gouvernementale par une gauche réformiste convertie au réalisme économique ? Son conservatisme sociétal constitue un solide facteur identitaire mais aussi un handicap supplémentaire dans une société sécularisée dans laquelle la morale catholique tend à être marginalisée.

Il me semble que le temps est venu pour la droite de réfléchir au problème de la définition de son identité idéologique. Elle ne doit, ni ne peut renoncer à ce qu'elle est, une force politique réaliste et conservatrice, mais il lui faut réféchir à ce que peut et doit être un conservatisme moderne, si je puis dire, adapté à l'époque. Ce conservatisme, en premier lieu, ne doit pas être réactionnaire. Le réactionnaire, depuis la Révolution française, c'est celui qui interprète le projet moderne dans tous ses aspects (émancipation individuelle, égalité démocratique, libéralisme économique, développement scientifique et technique) comme un déclin de la civilisation. Il est politiquement voué à l'échec car, qu'on le veuille ou non, il existe un sens de l'Histoire (on ne reviendra pas sur l'abolition de l'esclavage, sur l'émancipation des femmes, pas davantage qu'on ne reviendra à l'éclairage à la bougie et à la France des paysans) dont il est impossible de changer la direction. Un conservatisme au service de la  prospérité et de la grandeur nationale - ce qui constitue l'identité de la droite - doit épouser le mouvement de l'histoire et vouloir résolument l'alliance de la science et du capital, clé de la réussite économique à l'ère moderne, ainsi que la mise en oeuvre des règles du jeu économiques qui permettent de conquérir une position dominante dans le monde de la concurrence internationale tous azimuts. Il doit vouloir aussi utiliser et réformer la construction européenne de manière à ce qu'elle favorise cette recherche de puissance et de souveraineté. Le conservatisme ne doit pas se définir par la négation du changement historique mais par la prudence, une réflexion permanente sur l'identité qu'il faut préserver et consolider afin d'accompagner et de rendre possibles les changements nécessaires. Dans une économie de l'innovation, par exemple, le conservatisme en matière d'éducation est vital, quand le réformisme qui abaisse les exigences au nom de l'égalité démocratique s'avère une erreur funeste. Faire la part de ce qui doit changer et de ce qui doit être conservé à tout prix, tel devrait être le rôle historique de la droite.

Maxime Tandonnet : Nous assistons en ce moment à une recomposition de la vie politique extrêmement spectaculaire, comme il s'en produit deux ou trois par siècle. Nous sommes clairement en train de sortir du clivage droite/gauche tel qu'il s'est imposé sous la Ve République, notamment à partir de 1970, opposant d'une part une alliance socialiste, écologiste et communiste à une coalition gaulliste et de centre droit pro-européen. Ce schéma est en train de voler en éclat. A travers le phénomène Macron, un puissant centre est en train de se mettre en place, regroupant des socialistes tendance sociale-démocratie et le centre droit, tandis qu'une grande partie de la gauche se radicalise autour de M. Hamon et M. Mélenchon. Ce phénomène marque un retour à la configuration de la IIIe République, où la vie politique était conditionnée par un parti radical au centre de l'échiquier politique, qui conditionnait les majorités par son attitude et faisait pencher la balance d'un côté ou d'un autre.

Dans ce contexte, que devient la droite? Il est évident qu'en cas de défaite en 2017 à la présidentielle, mais aussi aux législatives, elle est menacée dans son existence même, écartelée entre la nouvelle force centriste qui émerge et le parti lepéniste qui lui ravit une partie de ses électeurs. Nous en revenons là aussi à la IIIe République: ce qu'on appelle aujourd'hui la droite et que l'on appelait à l'époque les "modérés" était constitué de notables comme André Tardieu, Paul Reynaud, sans véritable formation organisée, en dehors d'une "Alliance démocratique", aux contours flous. Si la droite gagne les élections, la question est réglée, elle continue. Si elle les perd, il lui faudra, après un tel désastre, tout reconstruire et créer les bases d'un nouveau rassemblement politique.     

Dans quelle mesure pourrait-on considérer que la droite se serait déconnectée des véritables attentes de son électorat au cours des dernières années? Dans le cas d'une reconnexion avec ces attentes, comment cela pourrait-il se traduire ? 

Eric DeschavanneJe ne crois pas que la politique puisse se réduire au marketing électoral consistant à proposer ce qui est supposé correspondre aux attentes d'un électorat. On reproche à la droite classique d'avoir un électorat vieillissant. Il s'agit en réalité d'une force : les "vieux" constituent un pôle de sagesse et de prudence dans la société. Ils lisent, se cultivent et s'informent davantage que les jeunes et les actifs. Leur point de vue est donc exigent et avisé. La droite doit se montrer à la hauteur de cette exigence : elle a pour responsabilité de proposer une offre politique réaliste qui ambitionne le redressement national tout en préservant l'unité de la nation. Il lui faut incarner du mieux possible les vertus de courage et de prudence, sans céder à la tentation de faire miroiter de fausses espérances qui apparaissent rapidement frelatées et font à terme le lit de la défiance et de la résignation.

Maxime TandonnetLe problème de la droite française est qu'elle ne sait plus qui elle est, ni ce qu'elle est en ce moment, écartelée entre la poussée lepéniste et le phénomène Macron. La vérité, c'est que le retrait de Nicolas Sarkozy a laissé un vide immense qui n'est pas comblé. Lui seul occupait un leadership, assurait une autorité. Les hommes et femmes de la droite se reposaient beaucoup sur son charisme. En matière d'Europe, de sécurité, de frontière, ses conceptions exerçaient une emprise sur les esprits. La droite doit apprendre à vivre sans lui, sans son charisme. Il faut que la droite se réorganise, qu'elle dispose d'une nouvelle formation politique. En l'absence d'un leader naturel, seule une approche collégiale peut être synonyme de réussite. Il est impératif de mettre fin aux querelles d'ego.

La priorité est de façonner son identité au regard du monde moderne. Par exemple sur l'Europe, entre le conservatisme de la force centriste en train d'émerger et l'instinct destructeur lepéniste, il existe une autre voie pour refonder une nouvelle Europe plus unie et plus démocratique. C'est à la droite d'y réfléchir et de la proposer. De même, à l'évidence, le système politique français est totalement désintégré, en pleine décomposition, rongé par une personnalisation excessive des enjeux et une fuite dans les limbes de la politique qui ne s'intéresse plus au monde des réalités mais ne cesse de dériver dans les chimères, les scandales et les manipulations, comme nous le constatons en ce moment, à 40 jours de l'élection présidentielle. Refonder la République pour la remettre au service de l'intérêt général est le défi du siècle qui vient. La droite aurait tout intérêt à s'emparer de ce sujet considérable. Il faut remettre le débat d'idées et de projets au cœur de la société pour réconcilier les Français avec la vie politique. L'avenir de la droite passe par cette prise de conscience.

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