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Fillon, Le Pen, Macron : la justice protège-t-elle le gouvernement profond ?
©France Bleu

Présidentielle

Pour la première fois de l’histoire de la Cinquième République, les trois candidats favoris (selon les sondages) de l’élection présidentielle “bénéficient” d’une mise en examen quelques semaines avant le scrutin. Mais chacun sous des formes différentes qui posent une vraie question sur la séparation des pouvoirs, garante de nos libertés fondamentales.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Pour la première fois de l’histoire de la Cinquième République, les trois candidats favoris (selon les sondages) de l’élection présidentielle “bénéficient” d’une mise en examen quelques semaines avant le scrutin. Mais chacun sous des formes différentes qui posent une vraie question sur la séparation des pouvoirs, garante de nos libertés fondamentales.

Les torpilles de la justice contre Marine Le Pen

Depuis plusieurs mois, Marine Le Pen est présentée, dans l’opinion publique, comme candidate assurée d’accéder au second tour. Très longtemps, un gimmick a occupé la scène parisienne: jamais elle ne pourrait gagner. Les semaines passent, et ce gimmick laisse la place à des interrogations, et même à des doutes. Et si elle gagnait?
Curieusement, les soupçons d’emploi fictif au Parlement Européen, connus depuis deux ans (la saisine de l’OLAF date de 2015, tout de même), donnent lieu à une mise en examen… le 22 février, s’agissant de sa cheffe de cabinet, et à uneconvocationde la candidate à la présidentielle le 10 mars en vue d’une mise en examen. Soit six semaines avant le premier tour.
Bien entendu, il faut être complotiste pour imaginer que cet enchaînement de dates illustre une dérive politique de la justice.

Les torpilles contre François Fillon

Le 25 janvier, soit trois mois avant le scrutin, la presse révèle les sales manies de François Fillon avec l’argent de l’Assemblée Nationale. Dans les heures qui suivent, le Parquet National Financier se saisit du dossier. Avec une naïveté confondante, le candidat républicain se précipite dans la gueule du loup, en déclamant qu’il a confiance dans la justice de son pays, et en réclamant d’être jugé vite.
C’est dire le malentendu qui se noue alors. L’un est convaincu d’être parfaitement innocent. Les autres entament un tour d’engrenage qui débouche (c’était cousu de fil blanc) sur une mise en examen un mois avant le scrutin. Mais vous n’aviez rien vu venir les mecs?
Ce faisant, on découvre qu’un François Fillon a pu être Premier Ministre pendant cinq ans (et ministre éminent à plusieurs reprises) sans soupçonner que la justice puisse être partiale ou instrumentalisée. On conclurait presque à la virginité de Sarkozy en matière d’intervention dans les affaires du Parquet. Ou alors François Fillon a été tenu très loin des dossiers sensibles pendant cette période.
Depuis le 25 janvier, la justice apparaît en tout cas comme un panier percé. François Fillon et ses proches ne peuvent pas dire un mot aux enquêteurs sans que le compte-rendu de leurs auditions ne se retrouvent dans la presse. Si la justice voulait vraiment “dépolitiser” son dossier, elle éviterait soigneusement ces fuites. Le fait que celles-ci soient immédiates et systématiques dissipe toute ambiguïté sur la vraie nature de l’enquête: il s’agit bien de charger un candidat donné favori il y a encore trois mois (et, à l’époque, sûr de gagner).

Les deux favoris déstabilisés

Curieusement, les deux candidats qui sont chargés dans cette barque sont ceux qui mettent le plus en danger les intérêts du gouvernement profond, c’est-à-dire tous ces capitalistes de connivence qui vivent peu ou prou grâce à l’intervention ou à la garantie de l’Etat, et qui voient avec terreur arriver en tête des sondages des candidatures qui promettent (sincèrement ou non) de rompre avec l’immobilisme de notre Titanic.
Marine Le Pen est, de longue date, leur épouvantail. Avec elle, il est acquis que l’appareil d’Etat changera de main. La candidate du Front National a suffisamment subi les avanies de ce système pour ne pas vouloir le frapper très fort, en son coeur. Son enracinement idéologique est à rebours de leurs croyances et de leurs valeurs. Même si, en façade, elle maintient un visage respectable sur les questions d’homophobie et autres, on voit bien que la divergence ne tardera pas à apparaître entre le fond traditionaliste incarné par sa nièce et les amuseurs publics comme Philippot dont une partie grandissante du parti demande la tête.
Le même soupçon de traditionalisme pèse d’ailleurs sur François Fillon. Ses liens avec la Manif pour tous sont régulièrement rappelés, comme une explication entre les lignes des malheurs qui lui arrivent. L’accusation est d’ailleurs injuste, puisque François Fillon est entouré par une clique de technocrates qui rédigent ses notes et ne manquent jamais une occasion d’affadir son programme, chaque fois qu’ils le peuvent. Son intention de procéder à une baisse réelle des dépenses publiques inquiète forcément tous ceux qui se gavent aujourd’hui avec force subventions et “aides à la presse”.

Deux hypothèses sur les affaires et la justice

Il y a donc deux hypothèses, deux lectures possibles de l’attitude de la justice.
L’une, angélique, béate, explique que la justice est indépendante et qu’elle fait simplement son travail. On ne peut voir malice dans ces enchaînements troublants de circonstance sans être complotiste ou pré-fasciste, voire nostalgique de Vichy et de Nuremberg réunis.
L’autre interroge. Elle s’étonne que l’autorité judiciaire intervienne avec une telle célérité et une telle nervosité dans le débat de la présidentielle. Elle est encore plus troublée au vu des fuites constantes de la justice, alors que l’enquête est réputée secrète. Tout ceci apparaît comme une opération téléguidée qui utilise la justice pour orienter le débat politique.

L’étonnant positionnement de la justice vis-à-vis d’Emmanuel Macron

Comme nous l’avions annoncé (avec une marge d’erreur d’une journée), la justice a bien ouvert une enquête préliminaire visant Emmanuel Macron le 14 mars. Mais… surprise, ce n’est pas sur son patrimoine, qui pose quand même de sacrés problèmes. C’est sur une affaire mineure d’événements à trois francs six sous organisé sans appel d’offres lorsqu’il était ministre. Cette fameuse French Tech Night avait d’ailleurs fait l’objet d’une interpellation de la part de l’association Anticor… créée par le juge Halphen, soutien affiché d’Emmanuel Macron, et par Séverine Tessier, ancien collaboratrice parlementaire socialiste.
Et le patrimoine d’Emmanuel Macron alors? Anticor ne juge pas utile que le parquet financier s’en saisisse. Pour cette association dont Christiane Taubira fut parraine, le dossier relève seulement de la Haute Autorité de la Transparence de la Vie Publique, dont l’inefficacité est désormais bien connue.
Deux poids deux mesures? oui, bien sûr. Anticor joue ici le rôle d’écran de fumée. On fait croire qu’Emmanuel Macron aussi est passé au crible. Mais le jeu est pipé et tout est fait pour qu’il soit blanchi.
On peut d’ailleurs dire le résultat des courses dès aujourd’hui: dans trois semaines, la Haute Autorité rendra son verdict sur le patrimoine de Macron et dira que tout va bien. Et, selon les sondages, le parquet classera l’affaire de la French Night Tech avant le premier tour si Macron est en difficulté, entre les deux tours s’il est donné en position confortable.

Y a-t-il un flash totalitaire en France?

Bien entendu, la France n’est pas une République bananière. 99% des décisions judiciaires sont prises de façon indépendante. Ce qui gêne, c’est le 1% manquant. Ce 1% là encore n’est pas systématiquement biaisé. En revanche, la raison d’Etat se réserve le droit de modifier le cours des décisions concernant ce résidu pour orienter l’opinion sur la courbe qu’elle lui souhaite voir prendre.
C’est ce qu’on appelle un flash totalitaire. L’opinion publique ne supporterait pas de vivre plusieurs mois sous ce régime. En revanche, comme une pasteurisation, le gouvernement profond n’hésite pas à produire des flashs totalitaires où, de façon “chirurgicale” comme on disait lors de la guerre en Irak, l’Etat de droit est violé pendant quelques heures pour remettre l’âne en marche.
Que ces flashs totalitaires se répètent aussi fréquemment depuis quelques semaines en dit long sur la déliquescence du régime.

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