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Pourquoi il est illusoire d’espérer que les recettes économiques de la gauche dure ne pourraient contenir la dynamique des populismes de droite
©Reuters

Radical

Pour Bernie Sanders, candidat malheureux à la primaire démocrate américaine, un populisme de gauche serait la réponse appropriée au populisme de droite, incarné par Donald Trump. Pourtant, que ce soit aux Etats-Unis ou en Europe, il n'est pas nécessaire d'en arriver là pour vraiment changer les choses.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Atlantico : Le 20 novembre 2016, deux semaines après la victoire de Donald Trump, le candidat perdant de la primaire démocrate américaine, avait indiqué que la stratégie à adopter était de "se lever avec la classe ouvrière de ce pays et...de s'attaquer aux forces de l'argent". En la rapportant au cas européen, en quoi une telle réponse, d'une gauche "ultra" est-elle adaptée en réponse aux populismes de droite, incarné aux États Unis par Donald Trump ?

Nicolas Goetzmann : Une réponse populiste de gauche n'est en rien adaptée à la situation, tout comme un populisme de droite d'ailleurs. La cause principale de l'émergence de ces courants est l'incapacité congénitale des partis de gouvernement, droite et gauche confondues, de proposer un véritable "changement de régime". Il est possible de remonter assez loin à propos de cette dynamique. Entre 1945 et les années 80, les populations s'intégraient dans une société construite sur le plein emploi et l'État Providence, avec des niveaux d'inégalités entre les différentes "strates" de la population qui ne progressaient pas. Du point de vue européen, cela correspond aux premières briques de la construction de l'Union européenne sur la base d'un "capitalisme intégré". Dès la fin des années 70, le courant libéral porté par Margaret Thatcher, elle-même inspirée par Friedrich Hayek, a été perçu comme une solution pour changer le cours d'une économie qui était écrasée par des niveaux d'inflation à deux chiffres. Reagan a suivi, et la France a suivi avec le tournant de la rigueur initié par Mitterrand en 1983. L'Allemagne, sous influence de l'ordo libéralisme d'après-guerre, a également été de la partie. Cette vision de l'économie a été incarnée par ce que l'on appelle encore aujourd'hui par la "social-démocratie"; de François Mitterrand, Laurent Fabius, Pierre Beregovoy, Lionel Jospin, François Hollande, Manuel Valls et désormais Emmanuel Macron. Le cas européen est spécifique parce qu'il opère sur deux niveaux. Au niveau européen, c’est-à-dire la macroéconomie, la stratégie développée et soutenue par ces dirigeants a été une forme d'austérité permanente. Ce qui explique très facilement un taux de chômage moyen de 8.7% entre 1983 et aujourd'hui en France. A l'inverse, au niveau local, et pour justifier une étiquette de "gauche", l'enjeu était de prendre une forme de contre-pied en évitant de saccager totalement le modèle social français. Ce qui est un peu moins le cas depuis ces dernières années. Mais la macroéconomie gouverne l'ensemble et les efforts locaux étaient dérisoires pour contrer la machine d'une politique monétaire extrêmement stricte au niveau européen, qui fut la continuaton de la politique du franc fort.

Cette social-démocratie, qui n'a de "social" que le nom est incapable de proposer autre chose, les personnes qui la composent sont totalement persuadées de proposer le choix de la raison et du sérieux, contre tous les extrêmes. Pourtant, c'est précisément cette vision qui est la cause du marasme. La crise économique qui dure depuis 10 ans n'est que l'aboutissement d'un phénomène structurel qui est en place depuis 1983, qui est la principale source des inégalités, de la croissance de la finance, et de la fragilisation de la position des salariés. Et tous les socialistes (mais également la droite) qui ont gouverné depuis cette date ont été laminés par des électeurs qui se considéraient trahis à juste titre. Dès lors, la réponse n'est pas un "populisme de gauche" ou à un retour à la social-démocratie dont se revendiquait Lénine en 1917 (ce qui permet aussi de montrer à quel point cette expression n'a plus aucun sens). Il s'agit d'en finir avec ce courant de pensée, qui est celui de la "pensée unique", et il serait préférable que la prise de conscience ait lieu en interne aux partis. Prendre les élus par la main, pour leur montrer ce que leurs politiques "raisonnables" ont fait du pays en quelques décennies. La population française ne s'y trompe d'ailleurs pas du tout. Les français veulent l'Europe mais pas de cette Europe-là. Ce qui est demandé, c'est ce "changement de régime" européen, d'en finir avec ce qui est appelé le plus souvent "néolibéralisme" pour en revenir à un capitalisme intégré, entre plein emploi et État providence. La réponse n'est pas le collectivisme. Et il ne s'agit pas d'un défi économique, parce que les outils pour y parvenir sont sur la table, mais d'un défi politique, qui appelle une prise de conscience des dirigeants, une capacité à reconnaître ses erreurs. Pour le moment, ceux qui refusent cette prise de conscience se regroupent derrière la candidature d'Emmanuel Macron, qui permet de réunir les socio-démocrates de droite et de gauche, tous deux défaits durant leurs primaires respectives, et qui tentent leur chance avec ce nouveau candidat de la bonne vieille social-démocratie ascendant tournant de la rigueur. Une vraie vision "moderne" qui date de 1983 en France, et dont les prémices remontent jusqu'à Raymond Barre.

Ces différents courants semblent pris entre deux injonctions de la part de leurs électeurs, sur une question culturelle et civilisationnelle d'une part, et sur une question économique d'autre part. De quelles façon l'absence de réponses sur ces questions, de la part des partis de gouvernement, a-t-elle pu conduire à une telle situation ? 

Deux points de vue sont sur la table. Certains considèrent que c'est la lutte des classes, et donc la question économique, qui est le moteur de l'histoire, et certains considèrent que c'est la question identitaire et culturelle qui est ce moteur. Évidemment, dans la réalité, ces deux facteurs préoccupent les populations. Mais la question économique me semble être la plus forte. C'est encore ce qui est révélé par un sondage IFOP qui indique que 62% des français considèrent que c'est la fracture sociale entre les riches et les pauvres qui menace la cohésion nationale, alors que la fracture religieuse et identitaire arrive en quatrième position (40%). La difficulté de cette question est qu'il y un effet de superposition qui est actuellement à l'œuvre. Pendant que la France se distinguait avec son chômage de masse qui perdure depuis 35 ans, les flux migratoires ont été importants. Il y a donc une perception, d'une part de la population, mais également d'une partie de la population immigrée, de confusion entre les deux dynamiques ; ou la question sociale se lie avec la question identitaire. Et là, le cocktail devient explosif. Le recoupement des deux dynamiques, cherchant à identifier une minorité à un groupe social, produit généralement, et historiquement, ce qu'il y a de pire.

Un exemple récent de cette superposition est le cas américain, de Nixon à Reagan (et Clinton y a franchement participé en 1996). En visant les pauvres, les dirigeants américains cherchaient en réalité à "ethniciser" la question sociale, ce qui a conduit à donner un soutien populaire à des politiques de restriction des dépenses sociales. Les gens votaient contre leurs propres intérêts économiques pour empêcher "l'autre" d'accéder aux aides sociales. Les sociétés européennes ne sont pas loin d'en arriver là. Il y a donc urgence à rétablir une économie suffisamment forte pour permettre l'intégration économique des immigrés, afin de briser la confusion entre social et identitaire, (et donc territorial) mais cela implique également d'adapter les flux migratoires aux capacités des pays. Parce que la stratégie combinée d'une répression macroéconomique et de flux migratoires importants revient à jouer avec le feu. Le Front national ne s'y trompe pas, et joue sur les deux tableaux, c'est ce qui lui permet de faire de meilleurs scores que ses homologues de gauche, par un simple effet de cumul.

Quelle est la stratégie à adopter en réponse aux différents populismes qui peuvent se manifester depuis plusieurs années au sein des pays occidentaux ?

Les populistes se nourrissent de l'immobilité idéologique des partis de gouvernement. Droite et Gauche existent encore, mais c'est le mode de développement économique, qui leur est commun, et qui est commun aux sociétés occidentales qui est en cause. Un retour à un capitalisme intégré (plein emploi et État providence) est possible. Il suppose une réorientation de la politique monétaire européenne qui ferait du plein emploi un objectif prioritaire (au même titre que la maitrise des prix) combiné à un État Providence développé, permettant la mise en place de véritables filets de sécurité pour la population. C'est d'ailleurs la différence principale entre l'Europe et les anglo-saxons. L'Europe a plutôt conservé son État Providence, à l'exception des pays qui se sont lancés depuis 2010 dans des cures d'austérité budgétaire, alors que le Royaume Uni et les États-Unis ont suivi des coupes drastiques dans les systèmes de protection sociale depuis les années 80. A l'inverse, l'Europe a suivi une politique d'austérité monétaire plus forte que celle des États Unis ou du Royaume Uni. Dans les deux cas, les populations les plus fragiles ont payé le prix fort, et les classes moyennes ont vu leurs revenus stagner tout en subissant des fortes hausses des prix des logements, autre conséquence notable du déséquilibre macroéconomique en cours.

D'une part, une forte relance de la politique monétaire, sur la base d'une modification des traités européens, permettrait d'accélérer considérablement les taux de croissance en Europe, et donc de faire baisser le chômage pour en arriver à un plein emploi réel. La première surprise des orthodoxes sera de pouvoir constater qu'une telle relance permet efficacement de contrer les déficits budgétaires et l'accroissement de la dette. D'autre part, l'État providence doit permettre le soutien des plus fragiles, mettre en place des "crédits" de formation pour celles et ceux qui n'ont pas eu la chance de suivre des études, et ainsi leur ouvrir la voie à de nouveaux emplois, sans oublier les politiques d'éducation. 

La social-démocratie (prête nom de l'austérité) est le meilleur allié du Front National, tout comme le Front national est le meilleur allié de la social-démocratie. L'enjeu, à droite comme à gauche, est de se défaire de ce courant de pensée, de proposer ce capitalisme intégré comme nouveau modèle commun, et de le mettre en place à l'échelle européenne. Ensuite, droite et gauche pourront en revenir à leurs moutons, en s'écharpant sur les clivages autour des "valeurs" habituelles. Entre temps, il se seront également débarrassés des différents populistes. 

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