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Changer l'Europe, les candidats à la présidentielle le veulent mais que pourrait vraiment obtenir la France en fonction des stratégies retenues ?
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Stratégie de puissance

Hamon, Mélenchon, Fillon ou Macron prévoient tous de "changer l'Europe" afin de réduire les effets négatifs que l'instance supranationale a sur la France. Mais dans certains cas, le mal semble être fait. Et la tâche risque d'être ardue.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Dans une interview donnée au journal Le Monde, Benoît Hamon indiquait : "Je propose aux Etats membres de la zone euro un traité budgétaire qui prévoit la mise en place d’une Assemblée démocratique représentative, qui serait principalement l’émanation des parlements nationaux". Du point de vue français, une telle disposition conduirait-elle à plus ou moins de pouvoir pour la France ?

Christophe Bouillaud : De fait, tout dépendrait du lien qui serait fait au sein de cette nouvelle Assemblée entre le poids démographique d’un pays et son poids en termes d’élus. Si, par extraordinaire, le nouveau Traité optait pour une proportionnalité stricte nombres d’habitants/nombres d’élus, la France, comme les autres grands pays (l’Allemagne, l’Italie et dans une moindre mesure l’Espagne), gagnerait énormément en matière de poids politique. En effet, actuellement le Parlement européen répartit les sièges entre pays en fonction du principe dit de "la degressivité proportionnelle", autrement dit selon une méthode qui attribue bien plus de sièges aux petits pays et aux micro-Etats qu’ils ne devraient en avoir en respectant une proportionnalité stricte. De fait, le principe "un homme=une voix" n’est pas respecté au niveau de l’élection du Parlement européen, comme l’a rappelé la Cour constitutionnelle allemande lors de son jugement de juin 2009 sur le Traité de Lisbonne, et cela est acceptable car, comme le dit la même Cour, l’Union européenne n’est pas du tout un Etat fédéral. Le "Parlement de la zone Euro", pensé lui comme un élément fédéral à mettre en face du pouvoir monétaire fédéral de la BCE, reviendrait sans doute partiellement sur ce défaut, mais cela voudrait dire que le Luxembourg par exemple devrait n’y avoir qu’un seul député pour que la taille du Parlement reste à peu près raisonnable. En effet, pour présenter les choses de manière simplifiée, si l’on pose que les 300000 Luxembourgeois ont droit à un député, il faut par exemple pour rester dans la règle proportionnelle stricte que les 68 millions de Français aient droit à 227 députés et les 80 millions d’Allemands à 266 députés. En pratique, bien sûr, la proposition d’Hamon, issue des idées de Thomas Piketty, vise tout bonnement à l’annihilation du poids politique des micro-Etats, qui sont par ailleurs des paradis fiscaux. Du coup, j’ai quelque doute que les petits pays de la zone Euro acceptent un tel Traité, qui les verrait perdre toute influence dans la gestion de la zone Euro. Du coup, on risque fort de rejouer le jeu de la "dégressivité proportionnelle". 

Dans cette même interview, Benoît Hamon indique qu'il veut "mettre l'austérité en minorité". Cependant, au regard des institutions européennes actuelles, et si la France voulait effectivement changer le régime économique de la zone, une unanimité des membres ne serait-elle pas nécessaire ? Le poids de la France au sein du Conseil européen est-il suffisant pour un obtenir un tel résultat ? A quelles conditions ?

Bien sûr, c’est une règle de base de l’Union européenne que tous les changements des traités exigent l’unanimité. Certes, comme on l’a vu lors du TSCG en 2011-12, il est possible de contourner les récalcitrants en faisant un traité de droit international à côté des traités européens existants. C’est probablement à ce genre de dispositifs que pense B. Hamon. Cela permettrait en tout cas d’éviter que l’un ou l’autre membre de l’Union européenne qui ne serait pas content de la création de ce noyau dur européen autour de l’Euro de bloquer le processus. En effet, pour intégrer un Parlement de la zone Euro au dispositif institutionnel actuel, il faut l’accord des 27 pays membres (en fait même 28 membres tant que le Royaume-Uni n’est pas sorti officiellement, soit probablement jusqu’en 2019). De même, pour intégrer un objectif de croissance et de plein emploi dans les missions officielles de la BCE, il faut un accord unanime des Etats de l’UE, puisque l’Euro devrait en principe être ou devenir la monnaie de tous les Etats (sauf le Royaume-Uni et le Danemark). Enfin, il faut noter qu’un changement de politique fiscale nécessite l’unanimité : les paradis fiscaux, en particulier l’Irlande, ont obtenu cette garantie de haute lutte (par exemple lors du Traité de Nice en 2001), et ne sont pas prêts à l’abandonner, puisque c’est leur principal gagne-pain. 

Par ailleurs, à traités inchangés, il n’est cependant pas impossible qu’une majorité d’Etats décident que tout le dispositif ordo-libéral en faveur de l’austérité, compris dans les Traités et encore renforcé avec le TSCG de 2011-12 soit mis en sommeil. Il serait aussi possible de changer la composition de la Commission, suite à sa mise en minorité au Parlement européen, pour qu’elle arrête littéralement de s’en préoccuper. Il n’y aurait plus alors que la Cour de justice pour rappeler tout ce beau monde au respect des traités. Il ne faut donc pas sous-estimer les possibilités de modification de politique économique dans le cadre actuel des traités, si tout le monde ou presque est d’accord pour faire autrement. De fait, il y a déjà eu une modification de fait de l’ordo-libéralisme, puisque la BCE a décidé en 2012 de faire exactement le contraire en matière monétaire que ce qu’aurait fait une banque centrale conservatrice luttant contre l’inflation, et elle a aggravé son cas ensuite avec le QE ("quantitative easing"). Ce choix a provoqué un conflit avec la Bundesbank. 

Quant au poids de la France, il a été d’évidence faible tout au long du quinquennat qui s’achève. La coalition anti-austérité qu’Hollande voulait construire n’a jamais fonctionné vraiment. Maintenant, la situation est paradoxale : un Président français anti-austérité élu en 2017 aurait moins d’alliés possibles, puisque, par exemple, Matteo Renzi n’est plus aux affaires en Italie et que la droite espagnole est solidement ancrée au pouvoir. Mais la preuve est encore plus éclatante qu’en 2012 que l’austérité est vraiment un désastre : il suffit de regarder ce qui arrive à la Finlande, à l’Italie, ou encore pire à la Grèce, ou inversement au Portugal, pour comprendre que la zone Euro affronte un énorme problème de gestion macroéconomique. Et encore c’est un euphémisme. Donc un Président français pourrait jouer sur cet échec, mais cela voudrait dire accepter d’ouvrir une vraie crise avec le camp d’en face. La lettre de S. Moscovici à B. Hamon publiée par Libération ces jours-ci montre bien que cette idée est inenvisageable pour certains socialistes. Il faudra pourtant en passer par un rapport de force pour mettre "l’austérité en minorité". 

De façon plus pragmatique, quel seraient les leviers "conjoncturels" que pourraient utiliser l’exécutif français pour changer réellement l'Europe, entre jeu de coalitions et le contexte international actuel ?

La carte principale que la France pourrait utiliser dans la négociation n’est autre que celle de la sécurité européenne. La menace est désormais quadruple : les islamismes radicaux ; une Russie plutôt agressive en Ukraine et bien décidée à mettre son grain de sel dans nos affaires ; une Amérique à la Trump qui parait pour la première fois depuis 1947/8 se désintéresser de l’unité occidentale et mépriser l’Union européenne ; et enfin une Turquie en plein virage néo-ottoman et dictatorial. Cela fait beaucoup pour des pays qui se croyaient "sortis de l’histoire". 

Or, face à ces menaces, sans notre pays, il n’existe pas de "défense européenne" un peu crédible. Et, plus encore, il faut admettre que ce ne sont pas les petits pays qui vont défendre l’Union, mais les grands pays (France, Allemagne, Italie) qui ont les traditions militaires et la population active nécessaire. Il ne manque en fait que des moyens économiques à ces grands pays pour relancer leur effort de défense. La persistance des paradis fiscaux européens et l’émergence d’une défense européenne bien financée ne sont pas compatibles.

La seconde carte qu’un futur Président français pourra utiliser sera les conditions de son élection contre Marine Le Pen. Plus le résultat du second tour aura été serré, plus il sera facile à ce Président de jouer le jeu de la menace face à ses partenaires européens en se présentant comme la dernière chance de sauver l’Union européenne d’une victoire de cette dernière ou de son parti en 2022. 

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