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​Comment la stratégie économique de compétitivité de François Hollande a abouti au pire résultat de l’histoire du commerce extérieur français alors qu’il s’agissait de sa priorité
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Cocorico

Alors que François Hollande avait fait de la compétitivité l'alpha et l'oméga de sa politique économique, les chiffres publiés par les douanes pour le mois de janvier 2017 laissent apparaître le plus mauvais score de l'histoire du pays, avec un déficit de 7.9 milliards pour un seul mois.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Sarah Guillou

Sarah Guillou

Sarah Guillou est économiste à l’OFCE dans le domaine de l’économie internationale et des politiques publiques affectant la compétitivité des entreprises. Son travail mobilise l’exploitation statistique de bases de données d’entreprises et de salariés ainsi que les données de commerce international par pays. Une partie de ses recherches porte sur les politiques industrielles et les politiques commerciales.

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Atlantico : Ce mercredi 8 mars, l'administration des douanes publiait les résultats du commerce extérieur français pour le mois de janvier 2017, soit le plus mauvais chiffre historique avec un déficit de 7.9 milliards d'euros sur un seul mois. Au-delà des explications présentées par les douanes, notamment sur les "niveaux extrêmement bas" des ventes d'Airbus, quelles sont les causes fondamentales de cette situation, alors même que la "compétitivité" figurait en tête de liste des priorités de François Hollande ?

Sarah Guillou : Les chiffres mensuels sont par nature conjoncturels. Ils sont soumis aux aléas des chocs sectoriels, aux cycles économiques infra-annuels et saisonniers. L’interprétation d’un chiffre mensuel dans l’absolu est, sinon anecdotique, à tout le moins fortement contextualisée. Le chiffre n’a pas immédiatement de valeur structurelle. Cependant la forte sensibilité à des chocs conjoncturels (baisse des ventes d’Airbus, remontée des prix du pétrole..) est la marque de la forte dépendance de la balance commerciale à certains postes en particulier et le signe d’un portefeuille de produits excédentaires très polarisé. En effet, les exportations françaises sont tirées principalement par l’aéronautique, l’agroalimentaire (surtout les boissons), et la pharmacie. Quand ces postes subissent des chocs négatifs, ainsi en est-il de la balance commerciale.

Les politiques économiques n’y sont pas pour grand-chose. La politique en faveur de la compétitivité, notamment avec le Crédit d’impôt compétitivité emploi, de François Hollande ne peut se déceler dans un chiffre mensuel qui peut être gouverné par des accidents conjoncturels.  C’est dans la comparaison des chiffres annuels qu’il est possible de saisir des tendances plus structurelles et des réponses à la politique économique.

Nicolas Goetzmann : Il existe un décalage entre les logiques économiques présentées et défendues par le personnel politique et la réalité du commerce extérieur. La simple idée de politique de "compétitivité" est contestable. Un bon moyen de se représenter les évolutions est de faire une séparation claire et nette entre le niveau d'activité interne au pays et le niveau d'activité du "reste du monde". Si le niveau d'activité français est faible, ce qui implique un faible niveau d'importations, et que le niveau d'activité du reste du monde est fort, ce qui implique un haut niveau d'exportations, la balance commerciale française sera orientée favorablement, parce qu'elle exporte plus qu'elle n'importe. Mais une telle situation ne serait en aucun cas une bonne nouvelle, puisque le moteur de cet éventuel excédent serait la faible activité nationale. C'est en raisonnant ainsi que l'on peut appréhender la situation actuelle, parce que le déficit du mois de janvier est d'abord la conséquence de la bonne tenue des importations (demande intérieure française), alors que les exportations semblent indiquer une stagnation du niveau des exportations (même si le recul du mois de janvier marque une correction découlant du cas spécifique Airbus).

Sources. douane.gouv.fr

Concernant l'idée de compétitivité, la logique n'est pas très sérieuse. L'idée sous-jacente de la compétitivité est que la baisse des charges des entreprises permettrait à celles-ci de proposer des produits et services à de meilleurs tarifs à leurs clients, et ainsi de vendre mieux à l'étranger. Mais il a déjà été établi que le CICE n'avait eu aucun impact sur les exportations ; comme l'indiquait France Stratégie en septembre 2016 "Il y a accord pour estimer qu’aucun effet du CICE sur l’investissement, la R&D et les exportations n’est visible à l’horizon de court terme (2013-2014) sur lequel sont menées les évaluations". Parce que la baisse de charges n'a pas servi à rendre les biens et services moins chers, mais à améliorer les marges des entreprises. Ce que France Stratégie validait également " Cela suggère que les entreprises ont consacré une partie importante du CICE à la reconstitution de leurs marges." Et il ne s'agit même pas de condamner le CICE pour cela, mais simplement de montrer que la logique de "compétitivité" ne tient pas la route. De plus, comment croire qu'une baisse des charges de 6 ou 7 points, c’est-à-dire sur le coût du travail, qui est lui-même une fraction du prix final du bien, peut avoir un effet significatif, alors que dans le même temps, les variations de la monnaie européenne ont été fortes. Depuis que le pacte de responsabilité a été présenté en janvier 2014, l'Euro a baissé de 24%. C'est donc plutôt de ce côté-là, c'est à dire de la politique monétaire, qu'il faut regarder.

Les douanes rappellent également que "le déficit des 12 derniers mois atteint 53,1 milliards contre 47,9 milliards pour l’année 2016 et 45,1 milliards en 2015." Dans quelle mesure la politique menée par François Hollande a-t-elle pu contribuer à ces résultats ?

Sarah Guillou : Or, comme vous le faites remarquer, les résultats annuels ne font que confirmer la mauvaise performance mensuelle.

La politique économique de F. Hollande n’a donc pas « inversé la courbe » de la balance commerciale ! L’instrument principal de la politique de redressement de la compétitivité a été le CICE mis en place en 2013 et consistant en un crédit d’impôt de 4% puis 6% en 2014 de la masse salariale brute en-dessous de 2,5 SMIC. On peut alors interpréter les résultats de cette politique de trois manières : (i) on peut penser qu’elle a été efficace et que sans elle, le déficit commercial se serait creusé encore plus ; (ii) ou bien, on peut juger que l’effet ne se produira qu’à partir de la fin de 2017, soit 3 ans à partir de la mise en place du taux de 6%, parce que la traduction du CICE dans les prix prend du temps tout comme les investissements pour améliorer la compétitivité hors-prix ; (iii) ou bien encore que la politique a été inefficace soit parce que le levier était insuffisant ou mal ciblé.

Les résultats des évaluations des chercheurs commanditées par France Stratégie ont exclu la première solution. La solution (ii) ne peut être encore exclue eu égard aux données disponibles et au manque de recul. Quant à la solution (iii), elle n’est pas exclue et s’imposera si en revanche la solution (ii) est évincée. De fait, le CICE est d’un montant assez faible si on en attend une forte baisse des prix puisque le coût du travail n’est pas majoritaire dans le coût de production des entreprises exportatrices, qui plus est, qui importent beaucoup de leurs consommations intermédiaires n’incluant pas le CICE. En outre, si on montre que les exportateurs français sont en moyenne assez sensibles à la concurrence en prix et peuvent tirer profit d’une baisse du coût du travail en la répercutant sur les prix, le CICE n’a pas forcément été vécu comme une baisse du coût du travail puisqu’il s’agit d’une créance fiscale ou crédit d’impôt.

Au final, l’instrument n’a pas encore fait ses preuves à ce jour.

Nicolas Goetzmann :Encore une fois, François Hollande n'y est pas pour grand-chose, ni dans un sens, ni dans l'autre. Il y a une surévaluation très forte des effets potentiels des petites mesures politiques mises en place au niveau national, alors que ce qui importe vraiment, c'est la macroéconomie européenne. Depuis 2012, on peut distinguer deux périodes. Avant et après la mise en place de l'assouplissement quantitatif par la Banque centrale européenne. Avant, (avant le 1er trimestre 2015), la demande intérieure européenne était faible alors que la demande mondiale était plus forte, ce qui conduit à une expansion plus rapide des exportations par rapport aux importations.

Evolution à prix courants des importations et des exporations. T2 2012-T1 2015.

Au cours de cet intervalle, les exportations françaises avaient progressé de 9.12% alors que les importations subissaient une hausse de 5.36%, ce qui a permis une amélioration du commerce extérieur français, mais n'est absolument pas synonyme de bonne santé économique. Depuis début 2015, la situation du commerce extérieur français se dégrade concomitamment à la reprise économique. Entre le 1er trimestre 2015 et le dernier trimestre 2016, les exportations ont progressé de 3.94% alors que les importations progressaient de 5.90%. Parce que l'assouplissement quantitatif de la Banque centrale européenne a eu pour conséquence de donner un coup de fouet à la demande intérieure française. Il suffit encore une fois d'observer que le commerce extérieur français s'est amélioré au cours des années 2012, 2013, et 2014, alors que la croissance de ces années était plus de deux fois inférieure à celles des années 2015 et 2016, lorsque le commerce extérieur s'est dégradé.

Quels sont les moyens dont dispose le gouvernement afin de parvenir à une balance excédentaire ? La France est-elle vouée à présenter des résultats aussi négatifs ?

Sarah Guillou : Une balance excédentaire n’est pas forcément un objectif de politique économique. Elle est le reflet d’équilibre macroéconomique entre épargne et dépense tout autant que de la compétitivité des entreprises. Le déficit commercial est aussi le reflet de la spécialisation : le recul de l’industrie, moteur des exportations, est aussi la cause du déficit structurel et de son accentuation (tout comme c’est le cas aussi aux Etats-Unis). Mais tant qu’on génère assez de revenus par ailleurs pour se payer le déficit, ce n’est pas forcément un problème. Ce qui compte ce sont les parts de marché des entreprises qui sont les vrais révélateurs de leur compétitivité.

Or les douanes ne les présentent pas, mais c’est bien là où le bât blesse : elles diminuent dans de nombreux secteurs et pas seulement au profit des pays nouvellement présents sur les marchés internationaux mais très souvent aussi relativement à nos partenaires européens. In fine, les pertes de parts de marché accentuent le déficit commercial. Le CICE avait pour objectif la convergence du coût du travail français vers celui de ses partenaires. Or on voit bien que c’est insuffisant pour deux raisons : d’une part les coûts de production restent encore trop distants, d’autre part pour bien des secteurs la compétitivité ne se construit pas seulement sur les coûts du travail ou de la production mais sur les déterminants de la compétitivité hors prix. Or le gouvernement n’a pas entamé le traditionnel soutien à la R&D des entreprises, via le crédit impôt recherche, et l’a même augmenté d’autres dispositifs annexes. Mais les investissements n’ont pas eu lieu car les entreprises ont d’abord rétabli leurs marges. Normalement, l’étape suivante se traduira par la reprise des investissements productifs et de montée en gamme telle qu’elle est annoncée par les entreprises dans les enquêtes prospectives. On peut toutefois interroger une stratégie politique qui consiste à subventionner les salaires autour du SMIC n’incitant pas les entreprises à monter en gamme grâce à des salariés plus productifs et payés plus chers.  Le double objectif du CICE contient en lui-même une contradiction : l’emploi ou la compétitivité hors prix ne répondent pas aux mêmes incitations.

Nicolas Goetzmann :Une balance excédentaire n'est pas un but en soi. Les États Unis ont la plus forte économie du monde alors qu'ils n'ont pas présenté un excédent depuis plus de 40 ans:

Commerce extérieur des États Unis. En millions de USD. Source Census Bureau

Pourtant, qui peut douter du fait que les États-Unis produisent des biens "désirables" pour le reste du monde ? En l'espèce, cette situation américaine découle du fait que les étrangers investissent massivement dans les actifs américains, ce qui produit également un effet sur la balance commerciale. C'est également un élément à prendre en compte pour la France, qui bénéficie d'une position privilégiée en ce qui concerne les investissements directs de l'étranger.

Ce n'est pas une balance excédentaire très largement positive qui va sortir la France du marasme. Parce que si cela est le but, le résultat peut être obtenu en faisant baisser les salaires et en stoppant tous les investissements. Le contraste d'une dépression intérieure avec une économie mondiale en bonne santé peut permettre d'obtenir satisfaction mais est-ce véritablement un objectif souhaitable ? (Pourtant, il s'agit bien du processus structurel qui frappe le pays, et qui a pour résultat de voir le New York Times se demander pourquoi la France subit "une décomposition en cours")

Le meilleur moyen pour que l'économie français retrouve des couleurs, c'est un large soutien à sa demande intérieure, par le biais d'une politique monétaire bien plus agressive qu'elle ne l'est actuellement, ce qui permettra de bénéficier d'un retour sur le marché de 67 millions de consommateurs, d'une revitalisation du pays, de voir des entreprises profitables, des salariés embauchés, un surplus d'investissements, et donc de produits de plus en plus concurrentiels (non pas pour leurs prix, mais pour leur qualité, leur valeur ajoutée). Et même en faisant cela, il est encore possible que les flux d'investissements étrangers en France soient tels qu'il sera tout bonnement impossible de présenter une balance excédentaire. Mais cela ne sera pas un signe d'une mauvaise santé de l'économie du pays. Tout depénd des causes.  

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