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"L'Arabe cruel et hyper-viril" : l'image créée par l'extrême-droite française après la perte de l'Algérie
©wikipédia

Bonnes feuilles

En 1962, l’indépendance algérienne transforme le rapport des Français aux « Arabes ». L’extrême droite, qui veut contrer tout effort de penser le passé colonial, développe aussitôt un discours non plus centré sur l’empire et sur l’Algérie, mais sur la France elle-même : l’homme arabe, violent, violeur, vorace, vient « envahir » la France par le biais de l’immigration. À partir de Mai 68, un autre discours, arabophile celui-là, tenu par une large partie de la nouvelle gauche, défend un homme révolutionnaire arabe viril, vaillant. Extrait de "Mâle décolonisation" de Todd Shepard aux Editions Payot (2/2).

Todd Shepard

Todd Shepard

Todd Shepard, historien, enseigne à l'université Johns Hopkins (Etats-Unis).

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L’évocation des proxénètes arabes mettait en avant la responsabilité des clients français. Dans ces discussions, ces derniers étaient vus comme une source de cette supposée « crise de la virilité » qui captivait l’extrême droite française et de nombreux médias mainstream. À partir de 1962, dans les interminables discussions sur la conquête du marché français par les proxénètes algériens et les nombreuses évocations de leurs prédécesseurs du FLN, ceux qui fréquentent les prostituées sapent la vitalité de la nation à plusieurs titres : ils sont tombés au rang d’animaux ; ils ont perdu toute virilité ; et – vraie rupture par rapport aux idées similaires à d’autres époques – ils ont contribué à la défaite de leur pays en Algérie tout en continuant de l’affaiblir en métropole. L’entretien de Dallayrac avec Ahmed insistait sur ce point, au moyen d’une racialisation à outrance. Le militantisme politique du jeune homme ne s’arrêtait pas avec le triomphe du « djihad », du moins dans sa bouche : « “J’ai un besoin de vengeance [contre la France] à satisfaire sur les femmes françaises… Des Ahmed” », Dallayrac cite là Ahmed, « “il y en a dix, il y en a cent, il y en a mille. Petit à petit, ils imposeront leur peau bronzée chez toutes les putains de France. Elles travailleront pour nous parce qu’elles ont besoin d’avoir des hommes et non pas des lavettes comme les petits macs français qui ne sont même pas foutus de défendre leur gagne-pain.” » On retrouve ici une série de tropes très répandus, dans lesquels l’Arabe cruel se caractérise par une hypervirilité – un trop plein d’agressivité brutale et de libido débridée que beaucoup d’auteurs d’extrême droite des années 1960 qualifieront explicitement de masculinité « animale » – dont le succès met à nu la virilité défaillante des Français.

D’après ces textes, la mainmise algérienne sur la prostitution en France résultait d’une faiblesse nationale – l’incapacité des hommes français à se maîtriser ou à répondre à la menace algérienne – qui avait placé les Algériens en position de contrôler certaines femmes françaises. Un grand nombre de théoriciens non abolitionnistes expliquaient que cette prise de pouvoir avait engendré une sévère dégradation du proxénétisme, si on songeait à l’âge d’or des maisons closes. Pour citer une étude parue en 1969, « le souteneur actuel paraît surtout d’envergure sordide, médiocre, ou moyenne ». Le Dr Durban, son auteur, attribuait cela sans hésitation à « la montée en flèche de l’élément arabe, qui à Paris du moins a surclassé le classique clan corse ». Dans ces analyses, l’affaiblissement de l’homme français faisait du tort aux Françaises, en l’occurrence les prostituées. La réussite « arabe » était due à ce que Durban appelait un « profond et ancestral mépris de la femme » (pire encore que celui des Corses, qu’avec d’autres il détestait, mais dont il attribuait les succès, dans le secteur de la prostitution, à « un type de civilisation hyperpatriarcal »).

Ces théories présentaient comme une évidence le fait qu’un respect profond de « la femme » avait présidé au succès des anciens proxénètes (français). Mais aucune analyse antérieure (et aucune source primaire) ne permet de confirmer cela. On est frappé de voir à quel point l’anathème jeté, après Vichy, sur les tenanciers de maisons closes « français » – patrons violents, exploiteurs brutaux, collabos – avait disparu. Le « maquereau algérien » se voyant accuser de tous les maux, il blanchissait le sombre passé français, et surtout ceux qui l’avaient incarné.

©Editions Payot & Rivages, Paris, 2017.

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