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Le Guide Michelin sera-t-il ringardisé par le web ?
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Etoile filante

Le célèbre guide annonce lundi son traditionnel palmarès des étoilés. Concurrencés par les blogs et les services en ligne, a-t-il encore sa place dans le paysage de la critique gastronomique ?

Julien Tort

Julien Tort

Julien Tort est bloggueur, photographe, chroniqueur gastronomique et traque l'excellence culinaire. Guide et professeur de cuisine, il se refuse à opposer la santé et le plaisir.

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Ce lundi, on nous annonce le palmarès des étoiles du Guide Michelin – il se murmure qu’Emmanuel Renaut, au Flocon de Sel à Mégève, pourrait faire son entrée dans le club très fermé des triples étoilés, et c’est tout le mal qu’on lui souhaite.

Mais si le Michelin reste incontestablement une référence, force est de constater que son hégémonie dans le monde de la critique gastronomique est vacillante. Même notre pape de la critique national, François Simon, ne semble plus se livrer au jeu des « scoops » (ou plutôt, des amplifications de rumeur) sur les étoiles à venir et à partir.

La question qu’on se (me) pose le plus, c’est : à quoi bon les inspecteurs du Michelin quand le monde entier est devenu critique gastronomique ? Les blogs, les forums, les Yelp et les TripAdvisor, disent les branchés, ont rendu le guide gastronomique caduque. Aujourd’hui, si je veux savoir ou bien manger, je vais sur Internet, sans doute même je demande à Siri [le système de reconnaissance vocale de l’iPhone, ndlr]. D’ailleurs, même le site de Michelin intègre un genre de Wiki – au jugement supposément expert du guide se superposent des témoignages d’inconnus.

Manque d'objectivité et d'expertise

Mouais. Pas sûr que ce soit si simple. Avez-vous déjà essayé de trouver un bon restaurant sur Internet ? Les pires rades ont des critiques élogieuses, voire dithyrambiques. Des zéros pointés sont décernés par des gens très contrariés qu’on ne leur ait pas apporté l’addition avant qu’ils ne la demandent, ou que le sommelier ait goûté leur vin. Pour bien des restaurants intéressants, je vous mets au défi de trouver un compte-rendu sur Internet. Et quand on en trouve un, à moins qu’on soit familier avec son auteur, on passe beaucoup trop de temps à essayer d’en savoir plus sur ses goûts pour essayer de déterminer si on a des chances de partager son opinion (à supposer qu’on partage son expérience).

Je ne parle pas des « faux » témoignages par des amis de la maison, ou au contraire par ses concurrents. Certains éditeurs de livres demandent même à leurs auteurs d’écrire leur propres critiques favorables sous un pseudo.

La plus-value du blog

Franchement, ce n’est pas pour prêcher pour ma paroisse, mais la source la plus fiable et la plus utile, sur Internet, ce sont les blogs. Sur un blog, on peut espérer dépasser le « j’aime/j’aime pas » et que l’auteur explique les qualités et les défauts objectifs du restaurant. Certains (trop peu) font même des efforts pour offrir des photos de qualité prises en situation réelle pour vous donner un vrai sens du restaurant – voyez Bruno Verjus ou Sophie Brissaud. D’ailleurs les photos, c’est tellement utile que, pour ma part, j’en reste là la plupart du temps en ce qui concerne les comptes-rendus de repas – il est rare qu’on ait plus à dire sur un restaurant que de montrer et d’expliquer les plats et l’ambiance.

Mais les écueils restent nombreux. D’abord, les blogueurs comme les journalistes sont gravement atteints de la maladie du kiviendouvrir – ils se précipitent en masse dans des restaurants qui, parfois, n’ont pas encore ouvert, chroniquent un repas et n’y reviennent plus jamais. Parfois, ils disent que c’est fabuleux parce que les restaurateurs ont mis les petits plats dans les grands pour l’ouverture. D’autres fois, au contraire, ça tombe sur un restaurant qui n’a pas trouvé sa vitesse de croisière, et on le fusille avant qu’il ne soit au point. Je me dis parfois qu’on devrait créer un blog qui s’engage à ne JAMAIS passer en revue un restaurant de moins d’un an.

Il faudrait aussi ne jamais écrire sur un restaurant où on n’est pas allé plusieurs fois. Un restaurant, surtout un bon, n’est pas une machine – il y a des mauvais soirs, des mauvais plats, et puis il y a aussi des plats fabuleux qui le sont par accident.

Mais franchement, la pire maladie des bloggeurs et de leurs alliés objectif de la nouvelle critique (oui, le fooding, omnivore, tout ça), c’est quand même d’avoir fait de la gastronomie une branche de la mode.

Culture ingénieur contre culture mode

On avait l’idée, à tort ou à raison, que la critique gastronomique consistait en un jugement technique sur un restaurant : surtout sa cuisine, mais aussi son service et autres aspects secondaires. C’est cette critique que le Michelin incarne, avec sa culture d’ingénieurs – et pourtant, il leur arrive de plus en plus de s’en écarter, quand ils ne veulent pas rester à l’écart d’une « sensation », en lui décernant des récompenses pour montrer qu’ils sont dans le coup. Pire encore, le Michelin a aussi enlevé des étoiles juste pour démontrer sa propre modernité, comme avec Gérard Besson à Paris (dont le successeur gagnerait, paraît-il sa première étoile – félicitations). 

On voit fuser, explicitement ou implicitement, des idées de « pertinence stylistique » et de « modernité » pour juger des restaurants. Les nouveaux critiques s’instaurent arbitres des élégances, pionniers de l’avant-garde, et s’invitent dans les revues de mode. Les chefs suivent d’ailleurs le mouvement, posent pour GQ, et avoir une jolie petite gueule devient indispensable pour réussir dans la restauration... aussi.

Alors, dans cette jungle nouvelle, je ne suis pas sûr que les inspecteurs anonymes et professionnels, les méthodologies rigoureuses, et aussi les informations pratiques (avez-vous essayé de trouver les jours d’ouverture d’un restaurant sur Internet ?) soient si dépassés que ça. Bien sûr, j’adorerais que Michelin se modernise, propose des applications pour téléphones qui soient vraiment utiles, etc. Bien sûr aussi, j’aimerais qu’ils expliquent leur choix, non pas pour se justifier, mais pour laisser à chaque lecteur l’occasion de se faire sa propre idée sur un restaurant. Mais enfin, le guide rouge, je le garde dans ma boite à gants, et c’est presque toujours mon point de départ quand je me demande où aller. 

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