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La levée de bouclier allemande face au potentiel rachat d’Opel par PSA révèle-t-elle l’angoisse de Berlin quant à la viabilité de son modèle de développement économique ?
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Auf wiedersehen

Le mardi 14 février, le constructeur français PSA déclarait envisager une "acquisition potentielle" de son concurrent Opel, propriété de General Motors. Suite au communiqué, les réactions allemandes ont été vives, entre indignation face au secret des négociations et inquiétudes sur le front de l'emploi, Opel employant 20.000 personnes sur le territoire allemand.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Atlantico : Alors que l'Allemagne est souvent présentée comme le premier promoteur d'une vision industrielle à vocation exportatrice, qu'elle souhaite voir se développer en Europe, ne peut-on pas voir un paradoxe dans une telle levée de boucliers suite au cas PSA-OPEL ?

Nicolas Goetzmann : Il y a bien un paradoxe. Au cours des dernières semaines, alors que Donald Trump symbolisait le retour à un néoprotectionnisme tout en dénonçant les excédents commerciaux allemands vis-à-vis des États Unis, la Chine et l'Allemagne ont fait un pas l'un vers l'autre pour représenter la défense du libre-échange. Il s'agit là d'une vision venant "d'en haut", des dirigeants politiques et industriels. Le cas PSA-Opel a un enjeu politique plus concret pour la population, avec une inquiétude légitime qui pèse sur les salariés du constructeur convoité par PSA. Cette confrontation permet de mettre en évidence le conflit intérieur de la mondialisation, entre ses gagnants et ses perdants, et ce n'est pas si fréquent pour l'Allemagne. D'autant plus que cette année 2017 est marquée par de lourds enjeux électoraux, avec une Angela Merkel qui n'est plus aussi dominatrice qu'elle ne l'était. Pour les partenaires européens de l'Allemagne, cela peut également provoquer une gêne. Puisque l'Allemagne a des excédents commerciaux qui représentent une valeur équivalente à près de 9% de son PIB, cela signifie que l'Allemagne produit bien plus qu'elle ne consomme. Et cette "surproduction" est consommée ailleurs. Les autres pays pourraient donc considérer, à raison, que l'Allemagne devrait soutenir sa consommation et ses investissements, justement pour équilibrer ses comptes. Parce qu'évidemment le problème n'est pas que l'Allemagne produit trop, le problème est qu'elle n'en distribue pas les fruits à sa population, qui se trouve en incapacité d'absorber ce qu'elle produit. Le résultat, c'est que cette "demande" manquante plombe l'économie européenne. Le cas PSA-OPEL permet simplement de révéler à l'Allemagne que cette forme de développement économique peut faire des dégâts. Des dégâts qui ont été subis par les économies du sud de l'Europe depuis une dizaine d'années.

Comment expliquer ce qui semble révéler d'une forme de double discours ? En quoi cette situation peut-elle également mettre à jour une forme d'inquiétude allemande quant au devenir de son potentiel industriel dans une économie mondiale en profonde mutation ?

Les États-Unis et le Royaume Uni sont entrés en dissidence. Ils ne veulent plus voir de "cavaliers solitaires", c’est-à-dire des pays qui assument ce modèle de développement ancrés dans une sous consommation, et dont le succès repose sur la croissance de ses partenaires. Les cibles privilégiées sont la Chine et l'Allemagne. Il y a donc une inquiétude légitime en Allemagne à ce sujet. De plus, l'évolution de l'économie mondiale révèle de plus en plus des phénomènes de changements rapides, notamment dans le numérique. Or, ce n'est pas vraiment le fort de l'Allemagne. D'autant plus que le pays a un taux d'investissement faible, inférieur à celui de la France. L'investissement public est également un handicap dans le pays. Ce qui met l'Allemagne dans une situation de vulnérabilité réelle. Il faut également noter que le pays affiche le plein emploi alors que la BCE continue de soutenir l'activité économie européenne, ce qui conduira mécaniquement l'Allemagne à rehausser ses salaires, et donc à perdre en "compétitivité" par rapport à ses partenaires. Depuis l'année 2015, et le cas des réfugiés syriens qui correspondaient également à un besoin de l'industrie allemande, la "technique" du recours aux immigrés pour éviter de voir le coût du travail progresser bat de l'aile. Elle ne pourra plus être reproduite dans les mêmes proportions. L'Allemagne est sans doute capable de se réinventer, mais elle est aujourd'hui confrontée à de réels défis. Cela peut être une opportunité, pour les européens, de redéfinir le modèle de développement du continent.

Faut-il y voir un signe de la nécessité de changement de modèle économique ? En quoi une telle vision reposant sur le "tout exportateur" pourrait ne plus être à l'ordre du jour dans un contexte politique marqué par le protectionnisme de Donald Trump ou la décision britannique de sortie de l'Union européenne ?

L'Union européenne a totalement changé de dynamique. Au cours des années 2000, l'Union s'est incarnée dans son développement territorial, absorbant des pays un à un. Depuis, les choses ont changé. Les Russes ont posé une limite à l'Est, la Turquie s'éloigne de jour en jour, et le Royaume Uni va sortir de l'ensemble. D'une phase d'expansion, l'Union est passée à une période de stagnation voire de régression. Elle est donc sérieusement menacée. Pour faire face à cette régression, l'Union européenne pourrait s'appuyer sur ses forces. L'Union européenne dispose d'un marché intérieur gigantesque, en excluant le Royaume Uni, la barrière des 500 millions d'habitants reste proche. Or, ce marché intérieur est ravagé par un chômage de masse qui sévit depuis près de 10 ans sur le continent. C'est donc en soutenant ce marché, en recréant des emplois, c’est-à-dire en abandonnant ce modèle mercantiliste allemand, que l'Europe peut retrouver des forces, aussi bien en termes économiques qu'en termes politiques. En poussant le continent à un niveau d'activité conforme à son plein potentiel, les investisseurs seront présents, ce qui permettra de soutenir l'innovation, la recherche, c’est-à-dire toutes les composantes de la croissance à long terme. Cette discussion doit avoir lieu, il s'agit d'ailleurs du seul réel enjeu de ces prochaines années pour l'Union européenne. 

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