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Le Prophète et le Prolétariat, ou la conjonction des ressentiment
©Reuters

Bonnes feuilles

Il existe assez de racismes véritables pour que l’on n’en invente pas d’imaginaires.Depuis trente-cinq ans, le terme d’« islamophobie » anéantit toute parole critique envers l’islam. Il a pour double finalité de bâillonner les Occidentaux et de disqualifier les musulmans réformateurs. Une grande religion comme l’islam n’est pas réductible à un peuple puisqu’elle a une vocation universelle. Lui épargner l’épreuve de l’examen, entrepris depuis des siècles avec le christianisme et le judaïsme, c’est l’enfermer dans ses difficultés actuelles. Et condamner à jamais ses fidèles au rôle de victimes, exonérées de toute responsabilité dans les violences qu’elles commettent (1/2). "Un racisme imaginaire", publié chez Grasset.

Pascal Bruckner

Pascal Bruckner

Pascal Bruckner est un romancier et essayiste. Il est l’auteur, entre autres, de La tentation de l’innocence (prix Médicis de l’essai, 1995), Les voleurs de beauté (prix Renaudot, 1997), Misère de la prospérité (prix du Meilleur livre d’économie, prix Aujourd’hui, 2002), Le fanatisme de l’Apocalypse (prix Risques, 2011) et Un bon fils. Son œuvre est traduite dans une trentaine de pays.

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En 1994, un certain Chris Harman, leader du SWP (Socialist Workers Party), le minuscule parti trotskiste britannique affilié à la quatrième Internationale, écrit un long article intitulé « Le Prophète et le Prolétariat ». Il y prône une alliance entre militants de gauche et associations musulmanes radicales qu’on aurait tort, selon lui, de qualifier de rétrogrades. Il faut au contraire ramener les brebis égarées de l’islamisme dans le giron de la gauche et les mobiliser au service de la seule cause qui vaille : la destruction du capitalisme. « Par le passé, la gauche a commis deux erreurs face aux islamistes. La première a été de les considérer comme des fascistes avec lesquels rien de commun n’était possible.

La seconde a été de les considérer comme des progressistes qu’il ne fallait pas critiquer. L’islam, comme toutes les grandes religions, a toujours su s’adapter aux conditions matérielles et osciller entre la promesse d’une certaine protection pour les opprimés et d’une protection pour les oppresseurs, garantis de tout renversement par la force. » Rappelant qu’aux riches est faite seulement l’obligation de l’impôt islamique, le zakat de 2,5 % en faveur des pauvres, Chris Harman voit dans l’appel au retour du califat, aux pratiques en usage au temps du Prophète, une façon de se révolter contre la situation de l’époque. Il s’agit de ressusciter l’esprit fondateur de l’islam comme le fit Khomeini en son temps. Les fondamentalistes ne veulent pas tant revenir en arrière que fusionner tradition et modernité, en régénérant la religion. Tous ne sont donc pas réactionnaires. L’islamisme, explique le leader trotskiste, est un mouvement révolutionnaire qui porte de réels intérêts de classe mais ne va pas jusqu’au bout de sa logique. Certaines classes, notamment dans l’agriculture, ont perdu le confort de leur mode de vie antérieur sans acquérir une quelconque sécurité matérielle. La mosquée devient alors leur point de repère, un sas entre une modernité mal comprise et un environnement traditionnel. Mais ces mouvements politico-religieux ne sont pas vraiment progressistes : ils épargnent les classes dominantes et s’ils mobilisent la colère populaire, ils l’étouffent aussi. La religion, selon un paradoxe déjà perçu par Marx, est indistinctement résistance et oppression.

De là qu’en terre d’Islam, les soulèvements dégénèrent souvent en combats fratricides. Les islamistes savent cristalliser la colère de la majorité et obéir « aux ordres d’un Comité central occulte » mais ils s’arrêtent à mi-chemin. Leur radicalisme est une « utopie émanant d’une fraction déchue de la nouvelle petite bourgeoisie ». On ne peut ni les condamner ni les approuver dans leur répression des femmes libres, des homosexuels et des minorités ethniques ou religieuses. Conclusion : « Les islamistes ne sont pas nos alliés mais nous ne devons pas les écarter tout à fait » car ils oscillent entre rébellion radicale et compromissions. Les communistes révolutionnaires doivent alors profiter de ces contradictions. « Là où les islamistes sont dans l’opposition, notre règle de conduite doit être : “Avec les islamistes quelques fois, avec l’État jamais”. » L’ironie de cette analyse tient tout entière dans sa disproportion : elle provient d’une secte microscopique, issue d’une dissidence d’un mouvement communiste à l’agonie, et qui juge opportun ou non de s’allier à une religion forte d’un milliard et demi d’hommes. L’islam parle au nom de Dieu, Chris Harman au nom de Léon Trotski, ce Staline avorté, le perdant radical du bolchevisme, assassiné au Mexique en 1940 par Ramón Mercader, sur ordre du Petit Père des peuples. D’où le désé- quilibre du Socialist Workers Party : ce groupuscule de quelques milliers d’adhérents, produit de multiples scissions de la quatrième Internationale.

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