Mini-révolution : l’Insee recueille bien des données de type ethnique, et voici ce qu’elles révèlent de l’immigration en France<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Société
Mini-révolution : l’Insee recueille bien des données de type ethnique, et voici ce qu’elles révèlent de l’immigration en France
©Reuters

Migrants

Même si les informations arrivent au compte-gouttes, on peut observer un net regain de l'immigration en France depuis 1999.

Michèle Tribalat

Michèle Tribalat

Michèle Tribalat est démographe, spécialisée dans le domaine de l'immigration. Elle a notamment écrit Assimilation : la fin du modèle français aux éditions du Toucan (2013). Son dernier ouvrage Immigration, idéologie et souci de la vérité vient d'être publié (éditions de l'Artilleur). Son site : www.micheletribalat.fr

Voir la bio »

Contrairement à ce qu’on lit régulièrement dans la presse, l’Insee recueille des données de type ethnique - pays et nationalité de naissance des parents – comme le font maintenant de nombreux pays européens, certains depuis déjà assez longtemps. L’Insee s’y est mis dans les années 2000, de manière régulière avec l’enquête Emploi depuis 2005 et l’enquête Logement depuis 2006. Mais ces enquêtes ne couvrent pas tous les âges. L’enquête Emploi, par exemple, interroge des personnes âgées d’au moins 15 ans dans les ménages ordinaires (c’est-à-dire hors logements collectifs), tout en collectant des informations sur les enfants d’une qualité jugée insuffisante par l’Insee qui préfère compléter les données de l’enquête Emploi par celles des enquêtes annuelles de recensement pour les moins de 15 ans encore au foyer des parents. La Cnil a donné son feu vert en 2007 pour la collecte des mêmes informations dans les enquêtes annuelles de recensement, ce qui aurait l’avantage de couvrir plus simplement tous les âges et de permettre des études locales fines. Mais l’Insee refuse toujours de sauter le pas, compte tenu de l’ambiance du débat public sur les statistiques ethniques et du débat syndical en interne. Autrement dit, l’Insee a les moyens de faire beaucoup mieux que ce qu’il fait, mais il s’y refuse pour éviter de compromettre sa réputation, la tranquillité de l’établissement et de mettre, pense-t-il, en danger le recensement, sur lequel repose le système statistique français. Il donne donc, de temps en temps, des informations sur les enfants d’immigrés en combinant les données des enquêtes annuelles de recensement et celles des enquêtes Emploi.

Justement, l’Insee vient de sortir un Insee-Première intitulé Être né en France d’un parent immigré, Une population diverse reflétant l’histoire des flux migratoires. Ce quatre pages présente la situation en 2015 : 7,3 millions auraient au moins un parent immigré (11 %).

Première remarque : Pourquoi n’avoir pas présenté en clair les données sur la population immigrée à la même date pour accompagner ces résultats ? On aurait ainsi la population d’origine étrangère sur deux générations. L’Insee publie deux tableaux qui donnent des informations sur les enfants d’immigrés, les immigrés et ceux que l’Insee appelle "ni immigrés ni enfants d’immigrés", sans avoir seulement chiffré les trois ensembles. Au passage, l’Insee doit absolument trouver un nom à l’ensemble qui représente 80 % de la population qui ne soit pas un privatif. J’ai proposé de les appeler "natifs au carré". 

Si l’on ajoute les deux générations (immigrés et enfants d’immigés), cela donne un total de 13,5 millions, soit 20,4 % de la population. On a donc un peu plus d’un habitant sur cinq d’origine étrangère sur deux générations en 2015. On aimerait, ce qui n’est pas bien difficile à faire, que l’Insee donne la même information sur la France métropolitaine, pour laquelle j’ai fait trois estimations plus anciennes (1986, 1999, 2011), ce qui permettrait de donner une idée de l’évolution. Si l’on ramène les chiffres de l’Insee à la France métropolitaine, on a, à peu près, 13,2 millions de personnes d’origine étrangère sur deux générations (soit 20,5 %), à comparer à 12,1 millions quatre ans plus tôt et 9,8 millions en 1999, soit 19,2 % en 2011 et 16,8 % en 1999. La population d’origine étrangère sur deux générations aurait donc augmenté de 9 % entre 2011 et 2015, contre 2,6 ‰ seulement pour les natifs au carré. 

Deuxième remarque : La répartition par origine et par âge des enfants d’immigrés reflète bien, comme l’explique la note de l’Insee, l’ancienneté des courants migratoires. Mais on ne peut pas traiter les flux migratoires qui suivent le milieu des années 1970 en bloc comme le fait l’Insee, ce qui lui fait dire qu’ils auraient été moins importants qu’avant. On est obligé de distinguer le dernier quart du XXème siècle de ce qui a suivi. J’ai montré que le taux d’accroissement moyen annuel de la proportion d’immigrés a été quasi-nul entre 1975 et 1999. Mais il n’en va pas de même après (1999-2015), période pendant laquelle ce taux d’accroissement moyen annuel a été légèrement supérieur à celui des Trente Glorieuses : 1,5 % contre 1,3 % entre 1946 et 1962 et 1,4 % entre 1962 et 1975. La population d’origine subsaharienne est celle qui croit le plus rapidement. En quatre ans (2015-2011), sur deux générations (immigrés, enfants d’immigré(s)) elle aurait ainsi augmenté de 43 %. Elle est extrêmement jeune. 80 % des enfants d’immigrés subsahariens ont moins de 25 ans en 2015. 

Troisième remarque : L’Insee fait quelques distinctions par origine, mais pas toujours. Selon ce qui est étudié, la composition par origine s’éloigne beaucoup de celle de l’ensemble des descendants directs d’immigré(s). Il en va ainsi des unions formées par les descendants d’immigrés de 25 ans ou plus, informations recueillies dans les ménages de l’enquête Emploi. Deux tiers d’entre eux vivent avec un conjoint natif au carré nous dit l’Insee. Mais au-dessus de 24 ans, deux tiers sont des enfants d’Européens, ce qui explique en grande partie le résultat trouvé. Seulement 4 % des plus de 24 ans sont subsahariens, par exemple. Autant dire qu’il est trop tôt pour examiner les unions qu’ils ont pu former. 

L’Insee publie un tableau de répartition des immigrés et enfants d’immigrés qui recoupe les informations maintes fois publiées par Bernard-Aubry et moi-même sur la localisation des jeunes d’origine étrangère et les analyses de Christophe Guilluy : 51 % des natifs au carré résident dans des communes de moins de 50 000 habitants, alors que 58 % des enfants d’immigrés et 63 % des immigrés habitent dans des communes de 50 000 habitants ou plus. Comme le note l’Insee, "les descendants d’immigrés vivent donc globalement dans les mêmes zones géographiques que les immigrés de même origine, même après avoir quitté le foyer parental". Des analyses beaucoup plus fines et plus sûres pourraient être menées si l’on disposait des informations utiles dans les enquêtes annuelles de recensement.

C’est une bonne chose que l’Insee ait commencé de publier des données sur les populations d’origine étrangère. Il faudrait maintenant qu’il ait le bon goût de ne pas tout séparer en publiant de temps en temps des données sur les immigrés et, encore plus rarement, en décalé, des données sur les enfants immigrés, ce qui oblige à faire des recherches, pas toujours fructueuses, sur le site de l’Insee (ce serait un sujet en soi), pour agencer les deux ensembles. Il serait également utile que l’Insee collecte désormais les informations utiles dans les enquêtes annuelles de recensement. Il n’y a pas de raison pour que les questions sur le pays et la nationalité de naissance des parents soient plus mal accueillies qu’elles ne l’ont été dans les autres enquêtes moins volumineuses. L’Insee en a testé maintes et maintes fois l’acceptabilité sur de très gros échantillons. Maintenant, il faut sauter le pas ! 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !