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Petit tour d’horizon culturel de l’URSS au "temps béni"
du socialisme
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Siècle rouge

Vladimir Fédorovski, diplomate russe qui a subi de l'intérieur le système totalitaire et participé à sa destruction et Alexandre Adler, intellectuel européen d'abord séduit par le communisme, qui a finalement perdu ses premières illusions, racontent "Le Siècle rouge". De la révolution bolchevique à la guerre froide, de la perestroïka à l'arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine. Extraits (1/2).

Alexandre Adler et Vladimir Fédorovski

Alexandre Adler et Vladimir Fédorovski

Alexandre Adler est, entre autres, éditorialiste au Figaro et à Europe 1. Il est spécialiste des questions de géopolitique internationale contemporaine

Vladimir Fédorovski est porte-parole du Mouvement des réformes démocratiques en Russie lors des grands bouleversements à l'Est et auteur de plusieurs best-sellers internationaux. Il est aujourd'hui l'écrivain d'origine russe le plus édité en France.

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Alexandre Adler : Les Russes distinguent le Siècle d’or de la littérature et de la culture russes – avec Pouchkine, Lermontov, Gogol, et qui se termine avec Tolstoï – du Siècle d’argent, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, qui commence avec Tchekhov. C’est aussi une période de formidable essor, bien que beaucoup plus amère. La grande épopée romantique du siècle précédent a fait place au scepticisme, tandis que la révolution est en train d’accumuler son énergie, mais ces années ont laissé, notamment en Europe avec Tchaïkovski et les ballets de Diaghilev, de très nombreuses traces.

Si des personnalités comme celles d’Eisenstein, de Maïakovski ou de Meyerhold, par exemple, avaient quelque chose du Siècle d’or, en plus sombre, l’époque brejnévienne, dont on pourra dire ensuite tout le mal qu’on voudra, correspond au Siècle d’argent. C’est en effet une époque où les gens ne croient plus à la politique ni d’ailleurs à grand-chose d’autre. Ils se cherchent, avec un goût de l’intériorité très prononcé, ne travaillent pas beaucoup car le système ne le permet pas, mais discutent intensément entre eux. Tout cela donne l’impression que la Russie s’est arrêtée en chemin pour réfléchir à propos de la voie à suivre, étant précisé que cette pause s’accompagne d’une dégradation constante mais douce-amère de la société et de l’économie.

L’intelligentsia, en revanche, est très active – plus active probablement qu’en France, il existe une grande différence qualitative entre Tarkovski et Godard – et c’est pourquoi elle va prendre le pouvoir avec Gorbatchev. C’est l’époque des grandes œuvres de Soljenitsyne qui dénoncent le goulag, et de Grossman qui, dans Vie et Destin, dresse un bilan épique de la guerre, du stalinisme, de ses aberrations et de l’amour que les Soviétiques ont tout de même pu concevoir pour ce régime, ouvrage écrit à la fin des années soixante avec l’ambition d’être le Guerre et Paix de la génération de la Seconde guerre mondiale. Confisqué par le KGB, le manuscrit réapparaîtra mystérieusement, au demeurant en bon état, dans les années quatre-vingt, alors qu’Andropov est au pouvoir.

Le cinéma d’Andreï Tarkovski, comme la musique de Boulat Okoudjava ou les poèmes de Vladimir Vissotski sont autant de témoignages un peu âpres de cette découverte d’un monde plus dur, celui de la vraie Russie qui réémerge ainsi des décombres d’une union soviétique malade.

Vladimir Fédorovski : À ce propos, je citerai mon ami le pianiste Mikhaïl Rudy, pourtant condamné par contumace à une dizaine d’années de goulag pour avoir été l’un des premiers artistes dissidents : « Mes amis français prétendent que sous Brejnev la culture n’existait pas, alors qu’elle était de loin plus intéressante et plus riche que celle de la France, aujourd’hui ! »C’est incontestable : les concerts, la littérature, les discussions, le cinéma ont marqué toute cette époque.

Valentin Kataïev, mon parrain en littérature, connu en France avec sa fameuse comédie Je veux voir Mioussov, raconte que lors d’une de ces réunions d’écrivains que Khrouchtchev avait coutume d’organiser pour boire et discuter avec eux de la façon dont les Russes allaient dépasser les américains et construire le paradis sur terre, il lui avait demandé : « Allez-vous nous envoyer au goulag ? » Pourquoi ? Parce que Khrouchtchev pratiquait un stalinisme mou, c’est-à-dire qu’il n’expédiait pas les gens au goulag aussi longtemps qu’ils ne bougeaient pas…

A.A. : L’union soviétique présente une caractéristique assez curieuse : elle met les écrivains en prison, alors même qu’ils jouissent de beaucoup plus de prestige que dans nos sociétés. Au pauvre Sartre qui avait bien essayé de se faire arrêter, de Gaulle avait écrit « Cher maître » pour lui signifier que cela n’était nullement dans ses intentions ! De fait, les écrivains étaient certes lus en France, mais n’avaient pas le prestige que leur accordait cette société sans Parlement ni contre-pouvoir, où le respect traditionnel pour la culture leur conférait une sorte de noblesse dans le régime. Autant les instances intermédiaires ne fonctionnaient pas, autant tous les dirigeants, au premier rang desquels Khrouchtchev, étaient sensibles à ce que pensaient et disaient les écrivains.

V.F. : Ossip Mandelstam, grand poète emblématique de cette époque, a très bien formulé tout cela. Sa femme se souvient qu’avant d’être envoyé au goulag, où il mourra, alors qu’elle se plaignait des mauvais traitements que l’union soviétique réservait à ses écrivains, il avait répondu : « Détrompe-toi, la poésie et la littérature sont ici ce que l’on aime le plus, puisque ce sont ces activités qui justifient que l’on fusille leurs auteurs ! » Cela en dit long sur l’importance accordée à la poésie.

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Extraits deLe Roman du Siècle rouge, Éditions du Rocher (16 février 2012)

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