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Bois : le juteux pillage mondial de la Chine
©Reuters

Bonnes feuilles

Voici un portrait détonnant de la Chine, de son impressionnante montée en puissance, mais aussi d’un désastre écologique majeur, de fragilités sociales préoccupantes, d’une fuite en avant économique de plus en plus problématique, d’un nationalisme dangereusement attisé par un Parti qui l’utilise comme recette pour sa pérennité. Vivant et inspiré, sans langue de bois, ce livre fourmille de surprenantes histoires vraies. Il se lit comme un roman. (2/2, "La Chine conquérante : enquête sur une étrange superpuissance", de Jacques Gravereau, aux Editions Eyrolles).

Jacques Gravereau

Jacques Gravereau

Jacques Gravereau, fondateur et directeur de l'Institut HEC Eurasia, professeur à HEC, est l'un des grands experts européens des développements de l'Asie et de la mondialisation, auteur entre autres du Japon au XXe siècle et de L'Asie majeure.

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La Chine a entrepris depuis quelques années de pomper systématiquement les ressources en bois et en poisson de la planète dans la plus grande opacité. Elle n’est certes pas la première ni la seule puissance prédatrice. Le Japon, la Corée-du-Sud, la Russie, dans un passé pas si lointain, plusieurs pays occidentaux aussi, ont pratiqué depuis longtemps l’exploitation illégale et outrancière des forêts et des océans mondiaux. Mais la taille même de la Chine et sa voracité croissante posent la question de la finitude des ressources naturelles de la terre, rien de moins, et accessoirement celle de la pertinence des règles du jeu internationales. La Chine construit à tout va. Elle consomme en proportion des quantités ahurissantes de bois d’oeuvre. Elle fabrique également des meubles pour ses nouveaux appartements et pour ses bureaux, et pas seulement de qualité standard. Les nouveaux riches chinois apprécient en effet les copies de meubles traditionnels d’essences rares, pour lesquelles la demande a explosé. Au surplus, la Chine est également le premier exportateur du monde de meubles, de lames de plancher ou de contreplaqués, que l’on trouve dans tous nos magasins à des prix défiant toute concurrence.

Or, le pays n’a presque plus de bois. Pour la bonne raison qu’il a coupé pratiquement tous ses arbres exploitables à la grande période triomphante de l’économie de gaspillage socialiste, qui n’épargne pas les successeurs de Mao. Bien entendu, le sacrifice massif des forêts chinoises a provoqué des catastrophes. Au nord du pays, la progression du désert de Gobi n’est plus enrayée, la sécheresse devient dramatique, les « vents jaunes » de sable balayent Pékin au printemps avec une fréquence qui a triplé. À l’ouest, les montagnes boisées retenaient autrefois une bonne partie de l’eau du ciel et des rivières et contribuaient à la régulation des grands fleuves en aval, dans le grenier des grandes plaines agricoles. La révélation a eu lieu en 1998. De gravissimes inondations sont survenues sur une superficie égale à celle de la France, affectant plus de 200 millions de personnes, dont un grand nombre a dû être déplacé. Les autorités ont réagi à ce moment-là en bannissant la coupe des arbres sur 42 millions d’hectares, tout en lançant un programme massif de plantation de nouvelles espèces en y investissant des sommes folles. Mais on se doute que les résultats d’une telle politique ne peuvent se mesurer qu’en dizaines d’années, si jamais elle fonctionne, car les sols asséchés aux marches du Gobi sont devenus définitivement stériles.

La Chine va donc se servir ailleurs. Depuis la déclaration de Bali de 2001, fondatrice d’un nouvel ordre forestier mondial, la communauté internationale a tenté de mettre de l’ordre dans ce marché ténébreux et foisonnant. Elle a recensé les pratiques et dressé une liste de 36 pays à haut risque, où la suspicion de coupes sauvages était généralisée, bien entendu dans un environnement corrompu. On a mis depuis lors beaucoup de moyens pour en savoir plus. Interpol estime que 30 % de la filière bois mondiale est douteuse et que 50 à 80 % des coupes dans certains pays tropicaux sont illégales, pour des montants qui peuvent atteindre 100 milliards de dollars. Toutes les deux secondes, la surface d’un terrain de football disparaît. Sur une année, cela fait 5 millions d’hectares de forêts non renouvelables, car on n’y replante pas.

De vastes enquêtes menées en Indonésie, en Birmanie, en Russie, au Laos, au Mozambique, à Madagascar, confirment ces évaluations, même si l’on parle plus souvent de la forêt amazonienne. La Chine s’est jointe au mouvement général vertueux, pour soigner son image, mais sur le papier seulement. Elle a bien signé des mémorandums avec l’Indonésie en 2002 ou avec la Birmanie en 2006, mais seulement sous la forme de papiers juridiquement peu contraignants. En réalité, la Chine est devenue – de loin – le principal utilisateur de bois mondial illégal. Les quantités sont ahurissantes. Pour les experts, la magnitude est de l’ordre de 120 millions de mètres cubes, provenant des 36 pays classifiés « à haut risque », et représente plus de la moitié des énormes importations chinoises.

Le bois illégalement acquis provient de la planète entière. De Sibérie, d’abord, où le trafic nocturne de camions transfrontaliers fait rage, en graissant la patte aux douaniers de part et d’autre, mais également de Papouasie-Nouvelle-Guinée, des Îles Salomon, de Birmanie, du Congo, de Guinée équatoriale, du Mozambique, de la Tanzanie, du Liberia, de Sierra Leone, du Pérou, d’Indonésie, de la Thaïlande ou de la Malaisie. Ce ne sont pas des élucubrations mais les résultats d’investigations fort sérieuses de chercheurs britanniques scrupuleux, indépendants et vérifiables. Ces pratiques frauduleuses sont-elles le fait d’un foisonnement de trafiquants hors de contrôle ? Il n’en est rien ! La moitié des achats chinois de bois illégal dans les pays tropicaux est réalisée par de grandes entreprises d’État – donc théoriquement sous contrôle public – le plus souvent dépendantes des provinces les plus consommatrices, au premier rang desquelles Shanghai. La forme adoptée fait également l’objet d’une politique définie tout à fait officiellement au niveau national. Le système de taxation local mis en place privilégie en effet lourdement les achats de matière brute (grumes, madriers) de faible valeur, afin de créer de la valeur ajoutée en Chine pour mieux exporter des produits finis (contreplaqués, meubles, etc.).

On avait déjà assisté il y a trente ans à une « guerre du contreplaqué » entre le Japon et l’Indonésie, pour les mêmes raisons, qui avait mis des années à se résorber. Mais le poids de la Chine est tel que les pays les plus faibles ne peuvent tout simplement pas l’envisager. Malgré l’interdiction officielle pure et simple d’exportation des bois douteux par certains grands pays, la mise en oeuvre laisse encore à désirer, c’est une litote. Que se passe-t-il réellement dans les profondeurs d’une forêt indonésienne ou congolaise ? Le trafic des très précieux bois de rose et de santal, si demandés, a pris des proportions dramatiques aux portes même de la Chine : en Thaïlande, au Vietnam, en Birmanie, au Cambodge.

Que faire ? Va-t-on assister, pour le bois destiné à la Chine, au même déni que les pêcheurs de baleines japonais jettent année après année à la face de la communauté internationale ? Le problème – mais aussi l’avantage – du commerce international, est qu’aucun pays ne peut se réfugier derrière « l’ingérence dans les affaires intérieures », car l’accumulation de preuves dans les nombreux pays producteurs rend la défense des intérêts particuliers ou « stratégiques » de plus en plus artificielle. Un ordre international du bois est en train de se mettre en place cahin-caha. L’étau se resserre. Mais combien de temps cela prendra-t-il ?

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