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François fragilisé : le Vatican au bord de la crise de nerfs
©Reuters

Ça va craquer...

La pose d'affiches mettant en cause le pape le matin du 6 février dans les rues de Rome montre une nouvelle fois que les évolutions voulues et mises en place par le pape continue d'entretenir une forte tension au Vatican.

Christophe Dickès

Christophe Dickès

Historien et journaliste, spécialiste du catholicisme, Christophe Dickès a dirigé le Dictionnaire du Vatican et du Saint-Siège chez Robert Laffont dans la collection Bouquins. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages consacrés à la politique étrangère et à la papauté (L’Héritage de Benoît XVI, Ces 12 papes qui ont bouleversé le monde). Il est enfin le fondateur de la radio web Storiavoce consacrée uniquement à l’histoire et à son enseignement.

 

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Atlantico : Dans les rues de Rome au matin du 6 février, des affiches s'adressaient au souverain pontife en ces termes : "Mais où est ta miséricorde ?". En cause, l'éviction récente du Grand Maître Fra' Matthew Testing comme point d'orgue d'un jeu d'évictions et de nominations très mal vécu par une partie de l'administration vaticane. Quelle est l'ampleur et la raison des divisions et mécontentements au sein du Vatican aujourd'hui ?

Christophe Dickès : Il est vrai que depuis plusieurs mois, le Vatican a été le théâtre d’un véritable chamboulement. En octobre dernier, tous les membres de la Congrégation pour le Culte divin ont été remplacés du jour au lendemain ! Ce dicastère, qui gère les questions en matière de liturgie, sujet central dans l’Eglise, est l’équivalent de nos ministères. Seul le cardinal Sarah, qui jouit d’une popularité incontestable, a été épargné par ce que qu’il faut bien appeler une purge administrative.

Quelques semaines plus tard, parce qu’ils avaient critiqué le pape au cours d’une conversation privée, trois prêtres de la Congrégation de la Doctrine de la Foi ont été renvoyés du jour au lendemain sans autre forme de procès et sans aucune explication. Il faut souligner que, dans leur grande majorité, les employés du Vatican apprécient peu François. Par exemple, la réforme des services de communication du Saint-Siège, qui a des effets directs sur des institutions historiques (Radio Vatican, Osservatore romano), est très mal vécue de l’intérieur.

Enfin, le Vatican est aujourd’hui au centre d’une lutte sur l’interprétation de l’exhortation apostolique Amoris laetitia. Un texte écrit par le pape à la suite du synode sur la famille (2014-2015) et qui laisse entendre, sans l’affirmer clairement, que les divorcés remariés peuvent accéder à la communion. Or, quatre cardinaux ont demandé au pape François une clarification sur ce texte qu’ils estiment en opposition objective avec les écrits de Jean-Paul II et l’enseignement de l’Eglise sur le mariage. Ils ne sont pas les seuls à faire cette analyse : des évêques, des théologiens et des canonistes sont montés au créneau sur cette question en évoquant entre autres le trouble des fidèles. A ce jour, le pape a offert comme seule réponse un silence que beaucoup estiment hautain, en désaccord avec la fonction pontificale dont le rôle est précisément d’arbitrer les conflits.

La division s'est ressentie jusqu'en France au sein de la communauté catholique avec l' "affrontement" sur la question des migrants de Laurent Dandrieu et d'Erwan Le Morhedec. Cette escarmouche révèle-t-elle des failles dans la gestion de l'Eglise aujourd'hui, ou une rupture plus profonde et durable ? N'y accole-t-on pas trop rapidement le clivage gauche-droite ?

Dans les faits, les motifs d’insatisfaction sont différents selon les cas et selon les pays. Ainsi, les employés du Vatican ont du mal à accepter la réforme de la curie, pourtant indispensable dans le processus de modernisation du Saint-Siège. Ce ressentiment a été net dès après l’élection du cardinal Bergoglio, qui a refusé de verser une prime exceptionnelle aux employés, alors qu’il s’agissait d’une tradition à chaque changement de pontificat. 

De l’autre côté de l’Atlantique, les conservateurs américains restent très sceptiques à l’égard d’un pape qui ne cesse de critiquer le libéralisme et semble, à la différence de Jean-Paul II, moins préoccupé par la thématique de la Vie (avortement, euthanasie), symbole d’une Eglise sur la défensive face au relativisme des sociétés modernes. Or cette question a été un des enjeux majeurs de l’élection présidentielle aux Etats-Unis. En France, c’est évidemment l’accueil des migrants qui a cristallisé plusieurs critiques contre le pape dans le contexte que l’on sait, comme l’a montré la polémique entre Laurent Dandrieu et Erwan Le Morhedec. 

Mais il existe aussi une critique venant de l’aile progressiste de l’Eglise: par exemple, cette dernière minimise les discours du pape sur la nécessité du sacrement de pénitence. La réconciliation avec les catholiques traditionalistes de la Fraternité sacerdotale Saint Pie X est aussi considérée d’un très mauvais œil par l’aile gauche.

Peut-on dire que le pape a un problème de gouvernance ?

Le pape a un programme visant à réformer l’Eglise dans ses structures de gouvernement et dans sa façon d’agir dans le monde. Mais paradoxalement, il souhaite mettre fin à la structure monarchique de l’Église tout en exerçant un pouvoir de façon monarchique ! Si bien qu’aujourd’hui, plusieurs vaticanistes (Marco Tosatti, Sandro Magister, Edward Pentin) n’hésitent plus à utiliser les termes d’autocratie ou de discipline de fer à propos de son règne. 

Dans les faits, François est un homme seul dont le regard tendu ne trouve de repos qu’au moment de ses rencontres avec les fidèles le jour des audiences ou à l’occasion des célébrations place Saint-Pierre. Cette solitude du pouvoir ne lui fait pas peur. Il a toujours affirmé prendre ses responsabilités à ce sujet. Mais comme l’a souligné le grand canoniste italien Carlo Fantappiè dans le dernier livre de Virginie Riva (Ce pape qui dérange), le pape n’a pas obtenu une légitimation du changement. Or toute réforme a besoin de cette légitimation pour s’inscrire dans le temps.

Le Vatican n'est-il pas malgré tout une institution difficile et lente à réformer ? Les papes réformateurs n'ont-ils pas tous connus la levée de boucliers que connait François aujourd'hui ?

Oui, vous avez raison. François n’est absolument pas le premier pape à rencontrer des oppositions dans l’enceinte de l’Etat de la Cité du Vatican. Saint Pie X, qui a réformé la curie en 1907 de façon bien plus drastique que le pape argentin, a rencontré de très nombreuses oppositions. Jean-Paul II, dans un tout autre registre, a lutté contre une curie qui ne croyait absolument pas à la possibilité de la fin du communisme. Quand il y eut la tentative d’assassinat en 1981, beaucoup de cardinaux se sont dit que le pape Wojtyla allait abandonner sa "chimère". Il n’en fut rien. Jean-Paul II se releva afin de reprendre le "combat" comme avant. Et que dire de Benoit XVI ? Nicolas Diat montre très bien dans son livre L’homme qui ne voulait pas être pape (Albin Michel, 2014) que dès les premières heures du pontificat, une opposition se forme contre lui afin de scruter le moindre de ses faux pas. Bref, les tensions internes au Vatican ne sont pas une nouveauté. Ce n’est pas pour autant qu’il faut les minimiser. 

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