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L'indépendance californienne : rêve ou réalité ?
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Calexit ?

Si l'idée d'une indépendance californienne peine à faire son chemin, elle pourrait connaître un nouvel essor suite aux récentes déclarations de Peter Thiel entrepreneur américain, soutien de Donald Trump et nouveau conseiller Technologique de ce dernier.

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa est spécialiste des Etats-Unis et maître de conférences à l’université Assas-Paris II. Il est chercheur au centre Thucydide. Son dernier livre s'intitule Géopolitique des Etats-Unis (Puf, 2022).

Il est également l'auteur de Hillary, une présidente des Etats-Unis (Eyrolles, 2015), Qui veut la peau du Parti républicain ? L’incroyable Donald Trump (Passy, 2016), Trumpland, portrait d'une Amérique divisée (Privat, 2017),  1968: Quand l'Amérique gronde (Privat, 2018), Et s’il gagnait encore ? (VA éditions, 2018), Joe Biden : le 3e mandat de Barack Obama (VA éditions, 2019) et la biographie de Joe Biden (Nouveau Monde, 2020). 

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Atlantico : Comment expliquer la position de Peter Thiel, gros soutien de Donald Trump et nouveau conseiller technologique, favorable à la sortie Californienne des Etats-Unis ?

Jean-Eric Branaa : La question qui se pose avec Peter Thiel est celle de son positionnement politique. On relève qu’il s’implique beaucoup en politique ces derniers temps et personne ne sait réellement ce qu’il a en tête. C’est donc un milliardaire très en vue de la Silicon Valley qui s’est fortement impliqué pendant la campagne de Donald Trump, à qui il a donné plus d’un million de dollars. Aujourd’hui il fait partie intégrante de l’équipe de transition, c’est-à-dire qu’il a une voix au chapitre dans les choix qui sont opérés pour les postes fédéraux, y compris ministériels.  

Les rumeurs ne tardent pas lorsqu’il y a une telle actualité et un engagement aussi fort : on entend qu’il serait intéressé par le poste de gouverneur, alors que le mandat de l’actuel dirigeant de la Californie, Jerry Brown, s’achève l’année prochaine (en novembre 2018). La Californie est l’Etat le plus peuplé d’Amérique, avec 39 millions d’habitants, qui offrent une qualité de vie sans pareille, entre mer et montagne, une offre culturelle hors du commun et une population très jeune et dynamique : c’est notamment pour ça que la Silicon Valley s’y est développée, avec ses fleurons comme Apple, Google, Facebook et Twitter, ou encore Hollywood et l’industrie du cinéma, et qu’on y trouve beaucoup d’autres entreprises, ainsi que de grandes et prestigieuses universités telles que Sandford ou UCLA. Gouverner un tel État est une fonction très prestigieuse, qui peut aiguiser bien des appétits. Avant Thiel, Meg Whitman, PDG d’eBay, a tenté l’aventure. Mais 144 millions de dollars engloutis pour sa campagne n’ont pas suffit. Carly Fiorina, qui a dirigé Hewlett-Packard, y a également laissé des plumes lorsqu’elle a brigué un mandat de sénateur. Car comme Peter Thiel, ils sont tous les deux républicains, et ont échoué. C’est peut-être pour changer d’étiquette que Peter Thiel rejoint aujourd’hui ce mouvement qui propose la sécession, histoire de se refaire une virginité politique ou de prendre la tête d’un futur mouvement sans étiquette, un peu comme Emmanuel Macron en France, en tentant d’être plus tendance, plus dans l’air du temps.

Dans une récente interview accordée au New York Times, Peter Thiel a déclaré au sujet du calexit que ce serait "une bonne chose pour la Californie et une bonne chose pour le reste du pays". Avant d'ajouter : "Cela aiderait Mr Trump à se faire réélire en 2020". En quoi cela pourrait-il l'aider ?

Le développement d’un groupe sécessionniste est une aubaine pour Donald Trump, qui peut ainsi s’appuyer sur l’idée que les citoyens sont les seuls à décider au final, même lorsque leurs élites estiment que ces décisions sont contraires aux intérêts du pays. Or, très officiellement, les gouvernants prétendent qu’il est impossible de faire sécession : tous les Etats auraient perdu ce droit après la guerre civile de 1861-65. Et il est vrai qu’Abraham Lincoln a fait de cette interdiction la pierre angulaire de la reconstruction de son pays. Pourtant, un arrêt de la Cour Suprême rendu en 1868, Texas v. White, dit le contraire et  définit l’Union des Etats américains comme étant aussi complète, aussi perpétuelle et indissoluble que l’union entre les treize États fondateurs (…) sauf en cas de révolution ou de consentement donnés par les États ». Sur le plan du droit, c’est donc une chose possible. Il ne reste plus qu’aux citoyens à manifester cette volonté pour qu’elle devienne réelle : c’est très exactement ce qui s’est passé en Europe avec le Brexit et que Donald Trump a fortement soutenu.

Par ailleurs, et ce n’est pas négligeable, 61% des citoyens de Californie ont voté en faveur d’Hillary Clinton, dans l'État le plus peuplé du pays et qui détient le plus grand nombre des grands électeurs dans le College Electoral. Une sortie de la Californie de l’Union serait donc un formidable levier pour la réélection de Donald trump, les démocrates étant dès lors privé d’une immense réservoir de voix, tant pour le vote populaire que pour le vote au College Electoral.

L'idée de l'indépendance Californienne ne date pas d'hier, l'initiative ayant été lancée par  l'activiste politique Louis J. Marinelli en 2014 mais sans réel impact politique. L'élection de Donald Trump peut-elle faire avancer ce mouvement ?  

Il y a donc, c’est vrai, des sécessionnistes en Californie. En 2013, un entrepreneur de la Silicon Valley, Tim Draper, avait déjà lancé une initiative très similaire. Son projet était de diviser la Californie en six États indépendants. Il cherchait à séparer les quartiers riches des zones plus pauvres, afin d’augmenter l'attractivité de ces secteurs qui fonctionnent bien et attirent les investisseurs.

Les projecteurs sont aujourd’hui braqués sur un autre mouvement Yes California, qui soutient l’idée d'une rupture qui s’apparenterait au Brexit : ils l’ont surnommée le Calexit. Après l’élection de Donald Trump et le rejet immense que cela a suscité de la part des citoyens californiens, le groupe qui est à l’origine de cette idée  a pensé que la preuve de leur différence profonde avec le reste des Etats-Unis était faite et que le moment était favorable à leur cause ; ils ont donc proposé au procureur général d’organiser un référendum. A l’origine, leur mouvement avait été lancé par un groupe de gens qui payaient plus d’impôts fédéraux que l'État de Californie n’en recevait en retour de leur part, en proportion de leur contribution. Ce déséquilibre, associé au fait que les médias du pays critiquent un peu trop les Californiens à leur goût, les a conduit à s’organiser et à proposer cette sortie de l’union.

Quelle seraient les moyens mis en œuvres pour mettre en place cette indépendance ? Cette idée peut-elle peser réellement ? Est-elle réalisable ?

Yes California espère que le référendum pourra être organisé en 2019. Il faudra toutefois franchir plusieurs étapes: leur projet doit en premier lieu réunir assez de soutiens, sous la forme de signatures, 585 407 pour être précis, qui doivent être collectées dans les six mois après le dépôt de la proposition de référendum. Déjà, 13,000 bénévoles sont au travail pour les tenter de réussir ce pari. Si tout se passe bien, il faudra encore que 50% des électeurs de l’Etat se déplacent pour voter et que 55% d’entre eux soutiennent le Calexit.

Il faut tout de même rappeler que ce mouvement n’est pas nouveau ni unique : Yes California lui-même n’est que la continuité d’un précédent mouvement, Sovereign California, qui n’a pas réussi à percer. Louis Marinelli, qui était à l’origine de ce groupe a été obligé de le rebaptiser car tout le monde pensait qu’il était associé à un groupe dont le nom était très proche, Sovereign Citizens, qui est un groupe d’opposants anti-gouvernemental. La police encadrait donc tous les événements organisés par le groupe de Marinelli et le public s’en méfiait beaucoup. La personnalité de son créateur, anti-gay, qui avait enseigné l’anglais en Russie et fervent supporter du 2nd Amendement n’a pas aidé à le rendre populaire. Il a donc été décidé de changer le nom et de pousser le co-président, Marcus Ruiz Evans, sur le devant de la scène.

La viabilité de l’idée, en revanche est réelle. Si on ne peut pas en dire autant d’états comme l’Alabama ou le Montana, la Californie possède suffisamment de richesses pour s’assumer en tant d’Etat indépendant, chacun en convient. Indépendante, elle serait la sixième puissance économique mondiale, devant la France, avec un PIB de 2 460 milliards de dollars (2 420 milliards de dollars pour la France).

Mais sauter le pas est une démarche à laquelle la majorité ne souscrira certainement pas. En revanche, il ne serait pas surprenant que cela aboutisse à la création d’un parti « national » californien, ou « nationaliste, » qui pourrait avoir rapidement des élus au sein de l’Assemblée de Californie. Ils tenteraient donc de faire bouger les choses de l’intérieur. C’est une affaire à suivre.

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