Adieux de Barack Obama : les Etats-Unis face au lourd prix politique de l’échec du “Yes We Can” (malgré un bilan pratique défendable)<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Adieux de Barack Obama : les Etats-Unis face au lourd prix politique de l’échec du “Yes We Can” (malgré un bilan pratique défendable)
©Reuters

Goodbye Mister President

Le 20 janvier prochain, Donald Trump succédera à Barack Obama comme président des Etats-Unis. Après huit années passées à la Maison-Blanche, les espoirs suscités par son célèbre "Yes we can!" sont difficiles à apercevoir dans l'électorat américain divisé. Le bilan, s'il n'est ni négatif, ni positif, est à contraster.

Yannick Mireur

Yannick Mireur

Yannick Mireur est l’auteur de deux essais sur la société et la politique américaines (Après Bush: Pourquoi l'Amérique ne changera pas, 2008, préface de Hubert Védrine, Le monde d’Obama, 2011). Il fut le fondateur et rédacteur en chef de Politique Américaine, revue française de référence sur les Etats-Unis, et intervient régulièrement dans les médias sur les questions américaines. Son dernier ouvrage, Hausser le ton !, porte sur le débat public français (2014).

Voir la bio »

Atlantico : La campagne de Barack Obama, dont le slogan était "Yes we can" avait suscité un espoir d'une ampleur inédite au sein de la société américaine post crise économique de 2008. Promesse de renouvellement de la classe politique, de progrès économiques et sociaux, de réforme d'une finance responsable de maux importants... Alors qu'il vient de prononcer ses discours de fin de mandat, quel bilan peut-on faire aujourd'hui de l'action de Barack Obama ? Peut-on dire aujourd'hui, alors que Donald Trump a été élu, que l'espoir qu'il avait réussi à incarner est un espoir déçu 8 ans plus tard ?

Yannick MireurL’élection d’Obama restera comme une date historique, autant parce qu’il est le premier président de couleur que par le souffle qui a accompagné sa candidature. Ce souffle a puisé dans les réflexions sur l’américanité qui infusent ses deux ouvrages. Il ne faut pas sous-estimer la valeur de ce travail sur lui-même et sur le sens de la nation américaine. Cela fait de lui un homme politique exceptionnel, comme Theodore Roosevelt par exemple, dont il s’est inspiré en certaines occasions. La déception est donc à la mesure du souffle qui l’a porté au pouvoir. L’élection de Trump signe donc une amère défaite pour Obama, car la singularité du nouveau président témoigne de l’échec à ressouder la société américaine qui animait le message "yes we can". Plus qu’une défaite électorale, c’est la promesse de l’aube Obama, si l’on peut dire, qui échoue dans cette élection assez rocambolesque.

Avec Trump, c’est l’Amérique dépositaire de l’esprit américain des origines qui prend les rênes - ou les reprend - pour rendre à l’Amérique sa grandeur (" Make America Great Again "). Le profil des hommes de Trump, le secrétaire au Commerce Ross, le secrétaire à la Défense Mattis, le directeur national du Renseignement Coats, Rex Tillerson et d’autres, est révélateur. Business (c’est-à-dire travail) et patrie, en quelque sorte, qui sont en deux mots l’âme de l’Amérique WASP dont les couches populaires sont anxieuses devant les chamboulements de la mondialisation et l’évolution démographique du pays. L’universitaire Samuel Huntington avait tiré le signal d’alarme sur ce dernier point en soulignant l’impact culturel de l’hispanisation, tandis que le monde ouvrier s’est détourné d’une gauche progressiste qui l’a délaissé au profit des minorités et du politiquement correct, tout en n’affrontant pas les causes du déclassement qui le voit s’étioler. Cela explique la diabolisation du libre-échange. Or Obama en a épousé le principe - comme ses prédécesseurs – prêtant le flanc aux accusations d’impéritie économique et d’alourdissement du rôle de l’Etat avec la couverture maladie universelle, l’Obamacare. Pour autant, ce qui est un prétendu "retour aux sources" est trompeur car la dernière chose dont Trump dispose, c’est un blanc-seing moral. Non seulement le parti républicain ne l’a pas soutenu, mais Hillary Clinton a une large avance dans le vote populaire. Son ascension exacerbe les tensions dans la société américaine qu’Obama avait souhaité apaiser. Trump les exacerbe et il en est en même temps le produit. Cela pointe vers l’échec numéro un d’Obama, qui a précipité dans la désillusion son slogan et l’espoir des Américains de voir s’éteindre les feux de la division : la réforme politique. Les Etats-Unis ressortent de huit années d’Obama encore plus divisés qu’ils n’étaient après le mandat Bush.

Le paradoxe est qu’il ne se noie pas dans l’impopularité qui avait submergé la fin du mandat républicain. Il est tenu en estime par une large partie de l’opinion. Que lui a-t-il manqué ? Son style, trop pondéré et cérébral, n’était pas adapté sans doute aux attentes de beaucoup, et ses réformes, notamment sociales, ont été mal expliquées. Mon sentiment est qu’enrayer la spirale de la polarisation politique, voire idéologique, qui est à l’œuvre depuis vingt ans, était quasiment impossible. Il aurait fallu une grande réforme institutionnelle mais les institutions, à commencer par les partis politiques, n’auraient pas suivi. Le sentiment anti-Obama dans une partie de l’opinion et dans la droite républicaine était aussi trop fort. C’est pourquoi les désillusions après un homme tel qu’Obama laissent l’Amérique sans idéal, focalisée sur les fondamentaux : le travail et la réussite. C’est sans doute là qu’elle est la meilleure.

Discriminations raciales, place des Etats-Unis dans le monde, creusement des inégalités sur quels points concrètement a-t-il selon vous échoué ? 

Les questions raciales perdurent et perdureront car elles sont propres à la nature humaine, de mon point de vue. En revanche, et cela illustre les limites de l’action politique, Obama a échoué à changer les conditions des drames auxquels on a assisté sous sa présidence et qui jalonnent la vie américaine, à savoir les homicides lors d’interpellations policières. Le libre port d’arme est la cause principale de ces situations, mais là encore une vaste Amérique que le reste du pays méconnaît ou ignore, est attachée au Second amendement et rend un changement d’ampleur impossible. Tout comme serait d’ailleurs impossible à un républicain de toucher à la Sécurité sociale, car contrairement à ce que l’on pense les droits sociaux sont sacrosaints aux Etats-Unis aussi. Trump ne s’y risquera pas. Obama a essayé, mais toucher au port d’arme sans majorité forte au Congrès ne vaut pas la peine d’être seulement évoqué. Il est des permanences dans une société que le pouvoir politique ne peut amender. Seul le changement générationnel et démographique pourra absorber une pratique singulière qui paraît si décalée à l’âge de la transition digitale !

Cette transition digitale est la source des malaises qui frappent les sociétés industrialisées. Les délocalisations et la concurrence étrangère n’expliquent pas la désindustrialisation, c’est l’innovation technologique qui en est la cause première, aux Etats-Unis et ailleurs. Peut-être Obama n’a-t-il pas expliqué assez bien cette grande rupture qui touche le capitalisme américain. Du capitalisme d’Henry Ford à celui de Steve Jobs et Bill Gates, il y a un grand remplacement à l’œuvre sur le marché de l’emploi, et la formation peut seul y répondre. Le sujet était déjà présent sous Kennedy avec le lancement du Kennedy Round de l’OMC (alors le GATT). Les inégalités accompagnent cette transition. La tâche dantesque de réguler l’industrie bancaire et du crédit, le système de santé, et le commerce, alors que l’importation de produits made in China a nettement profité au pouvoir d’achat des moins nantis, tout cet enchevêtrement de causes et d’effets désynchronisés, Obama n’a pas réussi à l’orchestrer. L’Amérique manque donc d’une vision expliquée simplement comme Reagan sut le faire. La pédagogie a manqué ce président à l’esprit pénétré de la complexité du monde, comme il est pénétré des contradictions de son américanité métisse.

Sa politique étrangère a pareillement pâti du défi immense à relever, celui d’adapter la surpuissance américaine à un profil plus agile dans un monde multipolaire. Le recadrage des relations arabo-américaines dans le discours du Caire restera à mon sens une référence. Mais la mise en œuvre a été difficile ; dans le cas israélo-palestinien en raison de l’influence au Congrès du lobby pro-Likoud, dans le cas du dégel avec l’Iran en raison d’une absence de contrepartie tangible pour les Etats-Unis qui peut lui être reprochée. D’une façon générale, il laisse un leadership américain amoindri, tourné vers la négociation, mais après une aventure irakienne qui est la plus désastreuse de l’histoire du pays après le Vietnam.

Pour autant, Barack Obama semble avoir amélioré concrètement la vie des Américains, notamment à travers le retour au plein emploi, ou avec le plan Obamacare. Quelle vision de l'Amérique peut-on dresser d'Obama à travers ses échecs et ses succès ?

L’héritage ne peut être écarté lorsque l’on essaie de juger les mandats Obama. Il a pris la main après une présidence qui avait largement échoué. Sa vision de la société avec un équilibre entre Etat et marché corrigé, et des affaires internationales avec un rôle mondial repensé, pourra resservir malgré les défauts d’exécution. L’intervention publique pour juguler la crise, par exemple celle de l’industrie automobile si emblématique du capitalisme industriel US et du mode de vie américain, ou l’Obamacare qui a permis à vingt millions d’Américains de se couvrir et qui est inspiré de ce que Mitt Romney avait fait au Massachusetts pour un système efficace, montrent que les axes de sa politique épousent l’esprit bipartisan qui avait inspiré son arrivée au pouvoir. Les Américains se souviendront de la décence de ses propositions et des mots de John McCain lors de son discours de concession. Je ferais le pari que l’on se souviendra de sa hauteur de vue, mais aussi de son inexpérience qui aura entravé son action autant que les circonstances politiques de sa mandature. Si l’on compare à la période du Pledge for America de Newt Gingrich aux législatives de 1994, plateforme idéologique forte contre Bill Clinton et sa Troisième voie, on dira avec raison qu’Obama aura manqué de pugnacité dans la bataille politique. C’est un homme de discours plus que de coups. Il laissera une idée de l’Amérique. C’est d’abord aux Américains, et non seulement à leur président, de la faire leur.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !