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Entre des tribunaux en crise et la surpopulation carcérale, une justice française au bout du rouleau ? Ces leçons que notre pays pourrait bien tirer des pratiques étrangères
©Flickr

Bonnes feuilles

Notre justice se porte très mal : de nombreux habitants souffrent quotidiennement d'une grande insécurité, le personnel judiciaire travaille dans des conditions déplorables, plusieurs attentats terroristes ont ensanglanté notre pays, nos prisons, surchargées et indignes de notre époque, deviennent de véritables écoles du crime, la justice est décrédibilisée, perçue comme politisée et partiale. Il est urgent d'agir. Extrait de "Justice Année Zéro" de Louis Vogel, aux Editions Ramsay (1/2).

Louis Vogel

Louis Vogel

Louis Vogel est professeur de droit à l’Université Panthéon-Assas et avocat. Il a été président d’Assas de 2006 à 2012 et président de la conférence des Présidents d’université de 2010 à 2012. Il est actuellement maire de Melun et président de la Communauté d’agglomération Melun Val de Seine. 

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Aujourd’hui, notre justice pénale est en crise et les moyens et la vision d’ensemble font défaut. De fait, la politique pénale mise en œuvre ces dernières années a été dictée essentiellement par des impératifs logistiques ou économiques, plutôt que par une véritable vision de la peine.

L'aménagement automatique des peines évoqué plus haut et le fait de proposer la réduction des peines comme une solution à la surpopulation carcérale en constituent le meilleur exemple. Raisonner ainsi, c’est confondre le débat sur la fin avec la gestion des moyens : une logique administrative se substitue à une vraie réflexion sur le sens et les modalités de la peine aujourd’hui. Certains réclament ainsi l’instauration d’un numerus clausus dans les prisons, afin de mettre un terme à la surpopulation carcérale : pour qu’un nouveau détenu aille en prison, il faudrait qu’un autre en sorte. Une telle solution est tout simplement indigne de l’idéal de justice d’un État de droit.

Pourtant, on ne peut se contenter de réclamer l’augmentation des places de prison. Même si j’y suis favorable, et prône donc l’augmentation nécessaire du financement de construction de prisons, il serait erroné de voir dans cette position une réponse suffisante à la nécessité de repenser des peines adaptées à la société d’aujourd’hui. Nous devons mener à la fois un effort d’augmentation des places de prison et une réflexion sur le sens et les modalités de la peine. Bien loin d’être antagonistes, ces deux actions s’avèrent au contraire nécessairement complémentaires. Un regard sur les pratiques étrangères nous l’apprend. À observer les pratiques actuelles d’autres pays démocratiques, retenons trois leçons.

Leçon nº 1, venue du Canada : donner toute sa place à la criminologie pour nourrir une nouvelle politique probatoire. Depuis de nombreuses années, on vante les mérites de la politique probatoire du Canada. L’expérience qui y est menée est séduisante : elle étend avec une relative générosité les périodes de probation, tout en les assortissant à la fois de conditions très strictes à respecter, et d’un accompagnement étroit et complet du condamné. La probation au Canada, et plus particulièrement au Québec, est une réussite qu’on mesure sur la chute du taux de récidive, avant tout parce que les moyens humains nécessaires ont été dégagés. On compte ainsi un agent de probation pour 30 condamnés, ce qui permet un suivi réel, individualisé, accompagnant une réinsertion efficace. En comparaison, les agents de probation français sont chacun chargés du suivi de 130 dossiers en moyenne. La politique de probation mise en place au Canada, à la fois beaucoup plus ambitieuse, mais aussi beaucoup plus ferme que la nôtre, doit nous inspirer. En effet, en plus de cette politique de probation exemplaire, le Canada met aussi en œuvre une politique de fermeté et de dissuasion très forte, donnant toute sa place aux apports de la criminologie, ce dont nous devrions également nous inspirer.

Leçon n° 2, venue d’Allemagne : l’importance de la rapidité de la réponse pénale et de l’application de la sanction pour assurer son efficacité et sa signification. En effet, alors même que l’Allemagne a moins de détenus par rapport à sa population, elle incarcère plus que la France. Comme le notait un rapport de Dominique Raimbourg, Président socialiste de la Commission des lois et rapporteur de la réforme pénale de Christiane Taubira, l’Allemagne a des flux d’entrants plus importants, mais pour des périodes courtes. L'Allemagne incarcère plus, mais moins longtemps, afin de mener une politique de fermeté et de dissuasion qui porte ses fruits.

Leçon n° 3, venue des pays scandinaves : l’exploration d’alternatives à la prison classique afin de diminuer la récidive. L’exemple finlandais est particulièrement parlant (et trouve des échos dans les pratiques norvégiennes et danoises). La Finlande est en effet passée, en l’espace de quelques décennies, d’un des taux d’emprisonnement les plus élevés à un des taux les plus bas, avec un effet positif sur le taux de récidive. L’explication de ce paradoxe apparent ? Un soin particulier porté aux détenus pendant la peine, dans des environnements carcéraux radicalement repensés, et qui facilite la réinsertion, la réhabilitation et le réapprentissage de l’autonomie et de la vie en commun. Loin des « sorties sèches » qui restent la règle en France, la pratique finlandaise consiste en un accompagnement du détenu vers la liberté, pour faciliter des liens sociaux constructifs et limiter la tentation de la récidive. Le résultat impressionne : un taux de récidive largement réduit, pour un coût moindre – les centres de détention finlandais coûtent bien moins que les prisons confinées à la française.

Extrait de Justice Année Zéro de Louis Vogel, aux Editions Ramsay.

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