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Manuel Valls a-t-il d'ores et déjà perdu ?
©CHARLY TRIBALLEAU / AFP

Obstacles infranchissables

S'il fait actuellement la course en tête dans les sondages pour le premier tour de la primaire de la Belle Alliance Populaire, Manuel Valls pourrait néanmoins pâtir de sa personnalité et du bilan du quinquennat Hollande dans son objectif de rassembler la gauche.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Alors que Manuel Valls concoure aujourd'hui à la primaire de la gauche, peut-il selon vous remporter cette primaire malgré une personnalité clivante et une image écornée à gauche (en témoigne l'incident vécu ce jeudi à Strasbourg) ? A-t-il selon vous réussi à créer l'électrochoc qu'il espérait à l'annonce de sa candidature ?

Jean Petaux : Il ne faut pas trop exagérer à mon sens l’incident vécu jeudi après-midi par Manuel Valls à Strasbourg. Encore que l’on ne peut, encore une fois, qu’être étonné par la facilité avec laquelle quelqu’un peut agir à l’égard d’une personnalité, avec des intentions négatives. Il se trouve qu’en l’espèce il s’agissait de la projection d’une bien inoffensive farine (c’est arrivé à François Hollande lors de la campagne présidentielle de 2012 et cela ne l’a pas pénalisé…) mais cela aurait pu tout aussi bien être un produit dangereux voire un autre type d’acte…

Pour revenir à Manuel Valls et à sa candidature à la primaire de la BAP, il est manifeste que l’ancien Premier ministre, après avoir tactiquement très bien joué pour bloquer François Hollande en position de "PAT" sur l’échiquier politique, n’est pas du tout à son avantage dans cette nouvelle partie, celle qui consiste à emporter la bataille des primaires de la gauche gouvernementale. Disons-le clairement : Manuel Valls est à la peine. Son entrée en campagne n’a absolument pas provoqué une adhésion massive. Il n’y a pas eu plus d’électrochoc que "d’effet de blast" (pour employer un vocabulaire à la Sarko auquel ne répugne pas le "communicant" Valls) qui aurait suivi l’annonce de sa candidature. Pire que cela, on voit que le "TSV" (Tout Sauf Valls) a plutôt le vent en poupe. Peut-être, compte tenu de la "jurisprudence Juppé" est-ce la meilleure chose qui peut s’offrir à Manuel Valls : surtout ne pas apparaître comme le favori, être donné battu, etc. Certes le "modèle Fillon" crée des désirs de couleurs camouflées, d’imperméable passe-murailles et de veste matelassée bleu-nuit pour éviter d’être repéré par la patrouille des sondages… Mais quand même : Nicolas Sarkozy ne faisait pas la course en tête dans la primaire de la droite, il a quand même bien été victime d’un TSS (Tout Sauf Sarkozy) aussi scandaleux au niveau de la règle du jeu politique que redoutablement efficace pour l’éjecter sans hésitations ni murmures du second tour de la primaire. Donc Manuel Valls peut se "gauchir" (lamentable épisode que celui sur le 49.3 jusqu’à aller dire que cet article de la Constitution n’est pas démocratique… pour complaire aux démagogues et aux gauchistes incultes…) tout ce qu’il peut, il aura bien du mal à résister aux tirs en rafales du TSV. Seule une faible participation peut vraiment jouer en sa faveur. Autrement dit, un corps électoral se déplaçant à la primaire de fin janvier plutôt en phase avec les 50 000 adhérents à jour de leur cotisation (voilà où en est le PS aujourd’hui en nombre de militants), quantitativement limité et circonscrit au périmètre adhérent serait la meilleure chose pour lui. Si la gauche de la gauche se mobilise pour intervenir dans la primaire de la Belle Alliance Populaire, Manuel Valls sera irrémédiablement condamné, peut-être même, tout comme Sarkozy l’a été, dès le premier tour.

Même dans le cas où Manuel Valls venait à remporter cette primaire, pourrait-il vraiment rassembler la gauche en vue de la présidentielle ? En plus de sa personnalité, ne souffrira-t-il pas dans cet objectif du bilan du dernier quinquennat, qu'il est désormais seul à assumer suite au renoncement de François Hollande ?

Ce qui vaut pour Manuel Valls vaut pour tous les six autres candidats à la primaire. En tous les cas pour les trois autres candidats socialistes dont on peut au moins postuler qu’ils vont arriver en tête au soir du premier tour. En réalité, pas plus Montebourg, qu’Hamon, Peillon ou Valls évidemment, ne sont en mesure de rassembler qui que ce soit, à supposer que l’un d’eux emporte la primaire. La primaire génère une dynamique quand il existe une potentialité de victoire. En 2006-2007, la "fausse" primaire du PS (semi-ouverte) a permis quand même à Ségolène Royal de s’affirmer dans la compétition présidentielle. Si elle n’est pas parvenue à rallier le PS à sa cause, elle a au moins fait taire, publiquement, les deux rivaux qu’elle avait battus : Fabius et Strauss-Kahn. Mais cela n’a été rendu possible que parce que, même ténu, existait un espoir de victoire en mai 2007. Aujourd’hui, qui peut imaginer une seconde que sorte du "quarteron d’éléphanteaux socialistes" un possible président de la République ? Leur capacité de nuisance personnelle et leur aptitude à se neutraliser réciproquement sont telles qu’ils n’ont qu’une seule faculté encore intacte : celle de cultiver jusqu’à la lie le fameux axiome cher à Bon et Burnier : "Que le meilleur perde".

La question n’est même pas celle du bilan du quinquennat. Ce bilan mériterait d’être défendu tout simplement. Or, il ne le sera pas parce que pas plus Valls que d’autres ne sont à même de plaider pour lui. Comme l’heure est au bashing et à la démagogie, aucun candidat n’osera faire preuve du courage nécessaire à la défense et à l’illustration des principales réalisations du quinquennat. Mais la lâcheté de ces apparatchiks qui ont rongé leur frein depuis 2002 n’explique pas tout. On ne comprend rien à leurs relations si l’on ne prend pas en compte la détestation qu’ils se portent les uns les autres. Elle est directement liée au fait qu’ils ont été, pour trois d’entre eux (Hamon, Peillon et Montebourg) les "meilleurs amis du monde" au congrès du PS de Dijon en 2003 dans ce courant qui se voulait "refondateur" : le Nouveau Parti Socialiste et qui a été dans la minorité du PS de 2003 à 2005 face au courant majoritaire dirigé par François Hollande, premier secrétaire. Leur relation relève de la "violence symbolique mimétique". Tels Romulus et Remus qui se seraient trouvés un troisième frère de lait, ce sont les mêmes donc ils sont rivaux. Et si Valls (dans le rôle de Brutus ?) est en-dehors de cette histoire, cela ne le prédestine pas plus que les autres à recoller la porcelaine socialiste ébréchée, une fois passée la primaire de la BAP fin janvier. Il y a donc fort à parier que la primaire "socialiste et plus si affinités" soit un échec au plan de la mobilisation électorale et une mine pour ce qui est de la potentielle explosion qui suivra quand il sera manifeste qu’aucun des battus ne se ralliera vraiment au vainqueur.

Dans quelle mesure cette position difficile de Manuel Valls pourrait-elle faire les affaires d'Emmanuel Macron, son ancien grand rival au gouvernement ?

Emmanuel Macron a un avantage considérable sur le "Quarteron" : il n’est aucunement concerné par leurs querelles intestines. Le fait d’avoir délibérément placé sa candidature en-dehors du circuit des primaires lui permet de faire la course dans son couloir en faisant semblant de ne pas se préoccuper de ce que font ses potentiels rivaux. La défaite de Juppé lui ouvre des perspectives au centre-droit (la déclaration de Dominique de Villepin ce jeudi le prouve), l’incertitude que fait encore peser Bayrou pour l’heure le sert et le gauchissement de la campagne de Mélenchon le conforte dans sa position de "social-libéral centriste"… La configuration idéale pour Macron serait que Benoît Hamon remporte la primaire. On voit mal comment Manuel Valls ferait campagne pour ce dernier puisqu’il l’a viré sans ménagement du gouvernement le 25 août 2014. On imagine mal Vincent Peillon remplacé au ministère de l’Education nationale le 31 mars 2014 par… Benoît Hamon, se précipiter dans les bras de son successeur rue de Grenelle pour le soutenir… Et on imagine le courroux vexé de Monsieur Montebourg qui, forcément, se draperait dans sa vertu offensée pour rentrer sous sa tente (ou sa cabane Habitat). Hamon candidat officiel des socialistes à la présidentielle : le ridicule tiendrait lieu de liquidation pour le parti de François Mitterrand mais un boulevard politique s’ouvrirait devant Macron qui représenterait alors la seule carte crédible pour tout un pan de l’électorat social-démocrate voire social-libéral, orphelin du centre.

Si Valls l’emporte au soir du second tour de la Belle Alliance Populaire, le 29 janvier prochain, comme il n’aura pas plus le soutien de ses "frères" (pour certains...) jumeaux, ce sera forcément une victoire à la Pyrrhus, mais sa proximité idéologique avec Macron posera davantage de problèmes à ce dernier. Un phénomène de dédifférenciation se produira forcément entre l’un et l’autre, entre l’ancien Premier ministre et son ancien ministre de l’Economie. Le PS n’en sortira que plus affaibli encore au soir du premier tour de la présidentielle, le 23 avril 2017. Et la présence d’un candidat de gauche au second tour, le 7 mai, n’en sera que plus incertaine.

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