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Attentat de Berlin : quand les réfugiés syriens, en Allemagne, trouvaient les mosquées locales beaucoup trop radicales
©MAJA HITIJ / AFP

Étonnant...

Alors que Berlin a subi un attentat meurtrier, Reuters révélait, fin octobre, plusieurs témoignages inquiétants de réfugiés syriens en Allemagne. L'islam est devenu en Europe, et notamment en France, le support d'une rupture, d'une radicalité.

Ce décryptage a été initialement publié le 9 novembre dernier

Atlantico : L'agence Reuters a recueilli le témoignage de plusieurs réfugiés syriens (voir iciqui trouvent que les mosquées allemandes de langue arabe sont trop conservatrices, prônant notamment une interprétation très littérale du Coran. Cette tendance au conservatisme est-elle une caractéristique des mosquées allemandes ou bien la retrouve-t-on un peu partout en Europe ? 

Ghaleb BencheikhIl faut se garder des généralités, compte tenu du désordre qui règne autour de l'islam. Toutefois, il est vrai que la tendance générale en Europe, mais également en contexte islamique depuis quelques décennies, est à la radicalité. Ceci s'explique, a fortiori en Europe, et notamment en Allemagne, par le fait que l'implantation des musulmans est récente ; pour certains, elle est même invasive et dangereuse. Ce n'est plus l'islam apaisé de la tradition multiséculaire, mais qui relève désormais de la revendication, un islam prêché par des doctrinaires, des idéologues, etc. De ce fait, l'islam tel qu'il est pratiqué en Europe actuellement présente un aspect d'activisme de l'islam, et notamment en France et en Allemagne. On remarque que cet activisme, du moins en Allemagne, est davantage l'apanage des mosquées tenues par des musulmans de souche arabe plutôt que turque, alors que la caractéristique de l'islam en Allemagne est d'être davantage coloré par la souche turque. Ce qui est étonnant et intéressant dans le témoignage de ces réfugiés, c'est de dire qu'ils trouvent ce type d'enseignement plutôt radical, contrairement à ce qu'ils ont pu connaître chez eux avant la tragédie syrienne. Il convient d'en tenir compte et de ne pas rester passif face à cette situation.

La religiosité aliénante est devenue un refuge de frustrés, d'aigris, de laissés pour compte, de marginalisés, etc. J'ajouterais que, devant ce qui est devenu une société de la permissivité, de la dépravation, etc., il n'y a pas mieux que de revenir au cœur de l'enseignement primitif, ce qui est d'ailleurs le fondement du salafisme. En guise d'explication à ce phénomène de radicalité, je dirais également qu'il n'est pas interdit de considérer que ces derniers temps, des tendances plutôt activistes pour un islam politique auraient pris sous leur coupe quelques mosquées aussi bien en France qu'en Allemagne, et d'une manière générale en Europe. 

Comment interpréter ce jugement de la part de réfugiés syriens, qui établissent ainsi la comparaison entre la pratique de l'islam dans leur pays d'origine et cette pratique en Europe ? Qu'est-ce que cela révèle de la manière dont l'islam existe et est pratiqué actuellement sur notre continent ? 

Quand les pratiques religieuses, quelles qu'elles soient, sont enracinées dans un continuum de temps et d'espace, on constate plutôt de la "tolérance". En revanche, quand on est davantage déraciné, ou plutôt dans une sorte de réimplantation, et surtout quand on est considéré, à tort ou à raison, comme allogène, étranger, intrus, etc., il y a la volonté de trouver un liant pour pouvoir supporter le regard qui agit alors comme un repoussoir. Pour cela, le tournant de la rigueur est souvent pris - ce qui devient du rigorisme - et on bascule alors dans une approche plutôt tatillonne, radicale même dans certains cas. Comme on a peur du laxisme et qu'il y a toujours plus radical que soit, cela finit par verser dans le littéralisme.

Les réfugiés syriens ont été contraints de fuir leur pays, du fait de leur situation ; ce n'est pas là une migration de nature économique. Nous sommes généralement en présence de gens instruits, c'est-à-dire "sensés". Ils découvrent alors que ce n'est pas la tradition religieuse à laquelle ils étaient habitués, ce qui les choque.

L'islam est devenu, tout du moins en France, le support d'une rupture, d'une radicalité. Ces deux dernières décennies, la tradition islamique a été prise en otage par les radicaux, les doctrinaires, voire les criminels et les terroristes, mais également par l'idée d'un retour en force de la religion - après que les routes de Katmandou ont été taries - se manifestant, dans le cadre islamique, par l'ostentation des pratiques, l'excès de zèle, des effets vestimentaires et alimentaires, etc. Ce que j'appelleune "normativité religieuse excessive". 

D'où proviennent ces différences observables à l'échelle européenne d'une mosquée à une autre sur le plan idéologique ? Pourquoi cette difficulté, que l'on retrouve aussi bien en France qu'en Allemagne, à la constitution d'un islam national avec tout ce que cela implique (lieux de culte, formation des imams, etc.) ?

L'idéal eût été d'avoir un islam d'expression germanophone. Lorsque je suis allé à Sarajevo, j'ai été agréablement surpris de voir que la liturgie se faisait en serbo-croate. Il n'y a donc aucune raison pour que celle-ci ne se fasse pas en langue nationale suivant les pays.

Pour ce qui est de l'obédience sunnite, il convient de préciser qu'il n'y a pas de clergé. Quant au clergé chiite, il est d'ordre académique et non pas sacerdotal. Outre cette difficulté, en France, nous connaissons également celle due au tissu social des citoyens français, qui n'est pas harmonisé. Le manque de connaissance, de formation des imams, etc., produit la catastrophe que nous connaissons actuellement.

Selon moi, aussi bien en France qu'en Allemagne, il y a lieu - sans mettre à mal la laïcité en France - de mettre en œuvre une osmose entre la volonté des citoyens musulmans eux-mêmes et des pouvoirs publics de mettre fin à ce chaos, notamment par la construction de mosquées si le besoin s'en fait sentir. Personnellement, je préconise davantage la construction d'instituts, d'universités et d'écoles afin d'immuniser le citoyen par le savoir et la connaissance plutôt que de se laisser crétiniser par la religiosité aliénante, et surtout pour former comme il se doit les thérapeutes de l'âme, c'est-à-dire les imams, pour qu'ils sachent conduire une bonne liturgie.

Si l'on revient au cas allemand et à la différence établie entre les mosquées en langue arabe et celles en langue turque, je dirais que l'islam turc, avant l'époque Erdogan, était plutôt un islam d'école juridique hanafite caractérisée par sa souplesse, son aisance et son apaisement par rapport à d'autres écoles rigoristes. De même, avant l'ère Erdogan, il n'y avait pas de domestication, d'idéologisation de l'islam turc, alors que l'on observe cela, d'une certaine façon, dans l'islam arabe. 

Comment les musulmans vivant déjà en Europe ont-ils tendance à réagir et à accueillir les migrants de confession musulmane au sein de leurs communautés ?

J'ai le sentiment qu'il y a une compassion, une sympathie : beaucoup de mosquées ont organisé la collecte de la zakât pour les familles syriennes, ainsi que la chorba pour tous (dîner le soir), etc. Dans le même temps, il y a également un sentiment de honte intériorisée, du type "si nos frères vivaient sous des cieux plus cléments, alors ils ne seraient pas dans cette situation". On pourrait aussi envisager la possibilité qu'ils puissent en vouloir aux pays du Golfe de ne pas accueillir ces familles de réfugiés, et ce en dépit de leur largesse et de leur aisance matérielle. Mais sincèrement, je crois que la tendance générale est à la solidarité et à la générosité. 

Propos recueillis par Thomas Sila

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