Une simple pancarte "Maison à vendre" illustre au Kosovo le drame des chrétiens serbes qui fuient leur terre où ils subissent humiliations, injures et persécutions des Albanais musulmans<!-- --> | Atlantico.fr
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Petit garçon serbe au fusil factice dans les rues de son village au Kosovo (avril 2016).
Petit garçon serbe au fusil factice dans les rues de son village au Kosovo (avril 2016).
©Katharine Cooper

Bonnes feuilles

De la Syrie au Kurdistan irakien, des chrétiens de Maaloula aux Yézidis d'Irak, des peshmergas kurdes aux habitants serbes des enclaves assiégées du Kosovo, Katharine Cooper et Pierre-Alexandre Bouclay, mêlant leurs photos et leurs textes, fixent pour toujours les sentiments qui habitent ces populations malheureuses, victimes des politiques déréglées et des "lâchetés occidentales". Un authentique carnet de voyages poignant qui nous conduit de Palmyre au Champ des Merles au Kosovo. Extrait de "Peuples persécutés d'Orient", de de Pierre-Alexandre Bouclay, avec les photos de Katharine Cooper, aux éditions du Rocher 2/2

Pierre-Alexandre Bouclay

Pierre-Alexandre Bouclay

Pierre-Alexandre Bouclay est grand reporter à Valeurs Actuelles. Depuis 2004, il suit les questions relatives à l'actualité internationale et aux problèmes de sécurité. Il a spécifiquement travaillé sur les Roms, la Russie, les révolutions et la guerre en Ukraine, le Kosovo et depuis quelques années, la Proche-Orient.

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C’est une modeste bicoque, avec un jardinet propret et un rez-de-chaussée aux volets clos. Sur la grille bleu ciel, un panneau : "Maison à vendre"… Une image banale de la vie quotidienne, sauf au Kosovo, où elle illustre le drame des chrétiens serbes menacés de disparaître de leur propre terre.

Dans leur petit intérieur, Dragan et son épouse, Svetlana, endurent depuis quinze ans les humiliations, les injures et les persécutions des Albanais musulmans… Si les volets sont fermés, c’est pour opposer un dérisoire barrage aux voleurs qui les cambriolent en toute impunité. Naguère, le couple remplaçait systématiquement les objets volés ou cassés, et jusqu’aux plantes saccagées du petit jardin. Mais qu’à partir en Serbie : "Des musulmans sont encore entrés chez nous. Cette fois, au lieu de voler, ils ont déposé un paquet de poison sur le garde-manger !"

Face à ces persécutions quotidiennes, d’autres Serbes, bien décidés à garder leur terre, se regroupent au sein d’enclaves – un village, un quartier ou une simple rue. Littéralement assiégés, privés de droits, ils tentent de maintenir à distance la menace d’une épuration ethnique, voire d’une nouvelle guerre civile. C’est pour rencontrer ces oubliés de la communauté internationale que nous sommes partis sur les routes du Kosovo.

Venant de Belgrade, nous avons franchi la frontière à l’aube. Après avoir traversé des gorges silencieuses et doucement réveillé des villages assoupis, notre voiture s’aventure sur de sinueuses petites routes taillées à flanc de montagne. À condition de détacher son regard du vide qui borde nos roues, on peut voir le château de la Française Hélène d’Anjou, devenue reine de Serbie en 1250. Au long du chemin, de petits autels fleuris signalent les accidents mortels et, mieux que n’importe quel radar, incitent les chauffeurs à la vigilance. Au volant : Arnaud Gouillon, fondateur de Solidarité Kosovo (SK), seule ONG française active sur place. Il est venu pour la première fois au Kosovo à l’âge de 19 ans, choqué par les pogroms antiserbes qui avaient embrasé la région en 2004 : "Il y avait eu 19 morts, 900 blessés et 5 000 personnes chassées de leurs maisons. Avec une poignée d’amis, nous avons organisé un convoi de matériel et de jouets pour les enfants. Nous avons tout mis dans un camion et nous sommes partis sans connaître la langue, sans avoir jamais mis le pied là-bas !" Aujourd’hui, Arnaud Gouillon parle couramment serbe et vit à Belgrade, avec son épouse et son enfant. À l’aéroport, dans les rues, les restaurants, des inconnus viennent le saluer ou se faire photographier avec lui ! En 2015, il a été classé parmi les 20 personnalités les plus importantes de Serbie. Presque gêné, il explique : "Disons que les Serbes ont été touchés de voir un Français prendre leur défense. Je suis souvent invité dans les médias."

Avec son ONG, Gouillon fournit de l’aide d’urgence aux plus démunis et multiplie les opérations d’aide à l’enfance : "Le convoi de Noël et les classes d’été, au cours desquels nous emmenons de petits Serbes du Kosovo en vacances, restent les temps forts de notre année." Mais son objectif principal est de permettre à ceux qui le souhaitent de s’ancrer durablement : "Nous construisons des fermes, des serres, de petites entreprises artisanales, des écoles, nous aidons les monastères, nous fournissons du matériel agricole, tout ce qui peut permettre à une communauté de travailler et vivre dignement – éventuellement en autarcie."

Durant nos cinq heures de route, Arnaud et notre guide Milovan, par ailleurs diacre orthodoxe, vont répondre à toutes nos questions, des plus saugrenues aux plus pointues. Ce faisant, tout en nous parlant des boissons nationales (la rakia et la slivovitsa, un alcool de prune "pour les hommes") ou du champion de tennis Novak Djokovic – véritable héros national, très impliqué dans la défense des enfants serbes –, ils nous résument la tragique histoire du Kosovo.

"Depuis le Moyen Âge et l’arrivée des Ottomans dans les Balkans, les Serbes sont persécutés, explique Arnaud. À la fin du XVIIe siècle, beaucoup ont quitté le Kosovo pour fuir les violences des Turcs et des Albanais. C’était le premier exode de masse, mais ils composaient encore 60% de la population. En 1941, rebelote : la guerre les chasse à nouveau. Les Albanais, alliés des Allemands, colonisent la région et, en seulement cinq ans, passent de 35% à 70% de la population !"

Milovan renchérit : "Le pire, c’est que le maréchal Tito, après la guerre, a interdit le retour des expulsés et encouragé l’immigration albanaise. Pour lui qui était croate, la Yougoslavie ne pouvait être forte qu’avec une Serbie faible."

Arnaud reprend : "C’est pourquoi en 1974, Tito a créé la province autonome du Kosovo, qui favorisait encore les Albanais au détriment des Serbes. Ce statut spécial a été supprimé en 1989, mais les Serbes n’étaient plus que 15% sur cette terre qu’on appelait avant 'Vieille Serbie'."

La suite est connue. En 1999, prenant prétexte de la mise en scène du massacre de civils albanais (il s’agissait en réalité de membres de l’UCK, guérilla séparatiste albanaise) et après l’échec programmé des négociations de Rambouillet, l’OTAN, sous pression des États-Unis, lance une "guerre humanitaire", dont l’iniquité provoqua, en 2000, la démission du chef des forces spéciales de la coalition occidentale, le Français Jacques Hogard. 200 000 chrétiens serbes fuient à nouveau un Kosovo qui proclame, en février 2008, une indépendance reconnue par seulement 70 États… dont la France. Des puissances comme la Russie, la Chine, l’Inde, l’Espagne, la Pologne mais aussi l’ONU, l’UE ou l’Organisation de coopération de Shanghai refusent de reconnaître cet ovni géopolitique susceptible d’encourager tous les irrédentismes.

Aujourd’hui, le Kosovo, "État fantôme" de 11 000 km2, est peuplé de deux millions d’habitants, dont 94 % d’Albanais musulmans. Les catholiques albanais représentent moins de 2 % de la population mais réussissent à passer inaperçus auprès de la majorité musulmane grâce à une langue commune. Les Serbes orthodoxes, qui étaient 250 000 en 2000, ne sont plus que 120 000, dispersés dans des enclaves en proie aux persécutions, au centre et au sud de la région (40 %) ; ou concentrés dans le nord du Kosovo (adossé à la Serbie) et vivant, vaille que vaille, à l’heure de Belgrade. Habitués à l’insécurité, les Serbes du Kosovo n’ont plus qu’une seule certitude : ils ne se laisseront pas chasser sans bouger d’un territoire qui, bien plus qu’une province, est le berceau même de leur nation.

"Kos, raconte Arnaud, signifie 'merle', du nom de la défaite du champ des Merles, en 1389, qui ouvrit cinq siècles de résistance à l’occupation ottomane, mais qui marque l’acte de naissance de la Serbie. Kosovo signifie littéralement “ce qui appartient au merle” mais, pour être exact, il faut parler de Kosovo-Métochie – du grec “metokhion”, désignant les terres de l’Église."

Ce qu’est le Kosovo, coeur spirituel de la Serbie, avec plus d’un millier d’édifices religieux, dont le patriarcat de l’Église serbe, à Pec, et des joyaux, comme le monastère de Gra`canica, classés au patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO.

Extrait de "Peuples persécutés d'Orient - Carnet de voyages de Palmyre au Champ des Merles", de de Pierre-Alexandre Bouclay, avec les photos de Katharine Cooper, publié aux éditions du Rocher, décembre 2016. Pour acheter ce livre, cliquez ici

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