Comment l'Albanie est devenue le producteur de cannabis n°1 en Europe<!-- --> | Atlantico.fr
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Rien que l'année dernière, plus de 2 millions de plants de cannabis ont été détruits. Seulement, la police ne réalise que des arrestations de routine, sans véritablement de plan pour mettre fin à cette économie parallèle.
Rien que l'année dernière, plus de 2 millions de plants de cannabis ont été détruits. Seulement, la police ne réalise que des arrestations de routine, sans véritablement de plan pour mettre fin à cette économie parallèle.
©GENT SHKULLAKU / AFP

Maritirana

Depuis la fin des années 1990, la production de cannabis s'est fortement accélérée en Albanie. Un fléau auquel le gouvernement a déclaré la guerre. Mais entre la corruption et la pauvreté qui règne dans le pays, la bataille semble déjà perdue d'avance.

On pourrait croire, à raison, que le plancher sur lequel le journaliste de la BBC vient de poser les pieds, non loin de la capitale albanienne, Tirana, est recouvert de moquette. Il s'agit en effet de cannabis, et plus exactement de weed (herbe), c’est-à-dire de feuilles de la dite plante. "Il y a environ 20 kilos ici", estime son interlocuteur, un jeune homme en charge de la production de cette drogue, douce mais illégale dans bon nombre de pays à travers le monde, y compris l'Albanie. "Cette année, j'ai produit 350 kilos d'herbe", ajoute-t-il. Plus tard, ce même journaliste débarque dans un grenier tout de vert vêtu, situé dans la petite ville de Rrëshen, plus au nord. Les étagères, les tables et même le van garé devant l'entrée regorgent de la sulfureuse herbe. Ces quatre tonnes de cannabis, saisies par la police, vont quant à elles finir brûlées. Pour le marché italien, où l'Albanie exporte beaucoup, ce sont là 6 millions d'euros qui partent en fumée.

Il ne s'agit là que d'un extrait de l'article de la BBCpublié le 1er décembre sur le sujet. Un passage qui nous donne une idée de l'ampleur du trafic de cannabis qui gangrène ce petit pays, ancienne démocratie populaire du bloc de l'Est. L'histoire d'une guerre entre les autorités albanaises et les milliers de producteurs de cannabis qui peuplent le pays. Un affrontement que personne n'est visiblement en mesure de remporter.

Du jardin mal entretenu naît la mauvaise herbe

Il est bien difficile pour le gouvernement albanais de mettre fin à la production de cannabis. Comme pour venir à bout des mauvaises herbes, on en arrache une, et il en repousse une autre plus loin. Il faut dire qu'ils sont nombreux, les paysans albanais à avoir senti le bon filon. Depuis la chute du bloc soviétique au début des années 1990 et la crise financière qu'elle a provoquée, l'Albanie a bien du mal à sortir de sa torpeur et reste encore aujourd'hui considérée comme un pays en développement, indique le site Lamota.org. Dans cette société et économie en friche, bon nombre d'habitants ont quitté les villes pour rejoindre la campagne. Là-bas, ils pouvaient ensemencer leurs sols en toute tranquillité. Et surtout gagner bien plus d'argent que la société n'en a à leur offrir.

Une vocation qui, peu à peu, a colonisé une grande part des cultures paysannes du pays. La commune de Lazarat, près de la frontière grecque, illustre bien cette tendance. Tout d'abord discrète, elle a tranquillement surpassé tous les autres pays européens et fini par devenir le véritable poumon vert de l'Europe, autrement dit la capitale européenne du cannabis. N'en déplaise à Amsterdam. Ce n'est qu'en 2012 que deux voyageurs hollandais, sûrement jaloux de cette prospérité dérobée, dénoncent ce trafic dans les colonnes de Courrier International. En 2013, la police albanaise tente de déloger les trafiquants de cette ville à l'économie cannabis-dépendante (90% des 7 000 résidents du village sont impliqués dans le trafic), qui leur répondent à coup de mitrailleuses et roquettes antichars. Aujourd'hui encore, la lutte fait rage. On donnerait sa vie pour protéger un commerce qui produit quelques 900 tonnes de cannabis et rapporte 4,5 milliards d'euros par an, soit plus du tiers du PIB national. À l'échelle nationale, ce chiffre grimpe à 5 milliards d'euros.

Le royaume du cannabis sur la route des Balkans

Il faut dire que la position géographique de l'Albanie est idéale. Un climat tempéré, des collines verdoyantes, un littoral, ainsi qu'une proximité avec le gros fumeur de cannabis qu'est l'Europe analyse le site Sensi Seeds. Pour lutter contre cette économie illégale, l'Italie veut bien prêter main forte à son voisin albanais, et mettre à disposition sa Garde des finances, la police douanière italienne. Et elle fait bien : avec le Monténégro et la Grèce, l'Italie représente un gros marché pour les cultivateurs albanais. Si un kilo de weed coûte 100 à 200 euros en Albanie, il coûte en terre italienne environ 1 500 euros. Pour vous donner une idée,  un tel paquet rapporterait en France quelque 10 000 euros à ses dealeurs.

Alors, bien sûr, le gouvernement affirme remuer ciel et terre pour mettre fin à ce trafic. C'est en tout cas ce qu'affirme à la BBCle ministre de l'Intérieur, Saimir Tahiri. "Entre 2013 et 2016, les graphiques montrent que la superficie de zones où l'on cultive du cannabis s'est réduite de 30%, indique-t-il. Ça veut dire qu'on est sur le bon chemin". Rien que l'année dernière, plus de 2 millions de plants de cannabis ont été détruits. Seulement, la police ne réalise que des arrestations de routine, sans véritable plan pour mettre fin à cette économie parallèle. D'un côté, nombre de policiers ont tout à gagner à faire durer le combat. "Bien sûr, la police a été corrompue. Depuis mon premier jour en tant que ministre (en 2013, ndlr), plus de 3 000 agents sont passés devant les tribunaux ou au conseil disciplinaire. Ils représentent 20% de la totalité de nos troupes", constate-t-il, lucide.

Lutte infinie

De quoi confirmer les dires recueillis par le journaliste de la BBC quelques heures plus tôt, quand le jeune homme rencontré affirmait payer la police à hauteur de 20% de ses recettes pour qu'on le laisse cultiver en paix. "C'est notre châtiment, avait-il expliqué. Il n'y a pas d'emploi ici. Pas d'argent pour faire pousser quoi que ce soit d'autre. Je sais que ce que je fais n'est pas bien, mais il n'y a pas d'autre solution". Un autre témoigne : "En tant que serveur, je ne gagne que le tiers de ce que je peux gagner avec le trafic de cannabis […] À quatre heures du matin, on peut déjà voir une foule se former dehors pour aller travailler dans les champs. Les rues sont bondées d'hommes, de femmes et même d'enfants". Des paysans qui sont la cible privilégiée des autorités, disent les critiques. Saimir Tahiri dément : "Nous en avons après les gros poissons. Nous enquêtons actuellement sur 1 600 criminels, et avons déjà fait 400 arrestations. Nous voulons mettre derrière les barreaux ceux qui financent, organisent et profitent de ce trafic".

Mais M. Tahiri y peut-il réellement grand-chose ? Face à la pauvreté, combien de jeunes hommes et femmes décideront de ne pas céder à la facilité de l'argent facile, disponible de l'autre côté de la rue ? Combien de policiers vont continuer à profiter crânement de ce trafic ? Il serait peut-être temps qu'une alternative se mette en place. Laquelle ? C'est toute la question. Il semblerait que la dépénalisation ne soit pas la meilleure des solutions, malgré les clameurs grandissantes en sa faveur. Que peut-on faire pour éviter les risques liés à la consommation de cannabis ? De la prévention ? Ou bien faire en sorte que plus personne n'ait de raisons de fumer ? Le mal, si l'on peut l'appeler ainsi, semble indélébile. Et le combat entre gouvernements et consommateurs de cannabis, perdu d'avance. 

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