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#RienN'estEcrit (mais quand même...) : par quels scénarios la gauche pourrait-elle remporter la présidentielle 2017 ?
©Rémi Mathis / CC BY-SA 3.0

Pas impossible

Si la victoire de la gauche au second tour de l'élection présidentielle semble compromise, elle demeure néanmoins possible : si la gauche bénéficie de certaines conditions, elle pourrait à nouveau remporter l'Elysée et s'affranchir du bilan du dernier quinquennat.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Depuis 1969, une majorité sortante a été réélue à plusieurs reprises à l'élection présidentielle. Ce fut notamment le cas de Valéry Giscard d'Estaing en 1974, de Mitterrand en 1988 ou de Jacques Chirac en 2002. Que traduisent ces précédents en matière de critères de réélection ? Quels succès (chômage, croissance, sécurité, prestance internationale, etc.) faut-il rencontrer pour espérer l'emporter à nouveau ? N'est-ce pas avant tout une question de personnalité, plus que de bilan ou de programme ?

Jean Petaux : Selon la formule consacrée, qu’affectionnent les candidats à toute réélection, et bien évidemment à la présidentielle : "On n’est pas réélu sur son bilan, mais enfin si celui-ci n’est pas mauvais ça ne nuit pas… !". La formule est à retenir car elle traduit bien la réalité de la pratique politique. Si l’on prend les différentes élections que vous évoquez elles présentent toutes des spécificités propres. La première, celle de 1974, est très particulière. D’abord la campagne est extrêmement courte (comme celle de 1969, cinq ans plus tôt pour l’élection de Georges Pompidou) consécutivement au décès du président en place. Celui-ci meurt le 2 avril et Giscard est élu le 19 mai. Il se passe 47 jours entre ces deux dates… Dans ce laps de temps VGE trouve le moyen d’éliminer Chaban dès le premier tour (le 5 mai) en réalisant un score supérieur de plus du double que celui du maire de Bordeaux (VGE : 32,60% et Chaban : 15,11%) et bat Mitterrand en remontant les 11 points que ce dernier avait d’avance sur lui (43,25% pour Mitterrand) au soir du 1er tour.

Là en l’espèce le bilan (qui était celui de Georges Pompidou et dont, pourtant, Giscard était le ministre des Finances depuis 5 ans) n’a pesé en rien dans le résultat de l’élection. Giscard bat Mitterrand d’une très courte tête (50,81% contre 49,19%) alors que 8,7 Français sur 10 sont allés voter. En voix il y a juste un peu plus de 400.000 voix d’écart sur 26,7 millions de votants…). Ce qui a joué principalement c’est la personnalité de Giscard d’un côté, sa jeunesse et son dynamisme revendiqué et, élément gagnant, la peur du "socialo-communisme" qui ne jouera plus en 1981.

Pour François Mitterrand réélu en 1988 (tout comme en 2002 pour Chirac dans la même situation de "président cohabitant sortant") la victoire ne se construit pas sur le bilan de Mitterrand ou de Chirac. Ils n’en ont pas, ils n’ont pas "gouverné" pendant les deux années qui ont précédé l’élection, ils ont "présidé". Si le bilan a joué, c’est celui de la droite en 1988 et de la gauche en 2002 qu’ils ont su habilement, l’un comme l’autre, retourner, tels des joueurs de judo, contre leur Premier ministre qui se présentait en challenger. En 1988, lors du débat d’entre deux tours Mitterrand "roule dans la farine" un Chirac totalement hypnotisé dans les "phares" du "véhicule présidentiel" ; en 2002, Jospin a la mauvaise idée d’attaquer le président sortant sur son âge, son état, ses capacités : il ne tarde pas à glisser sur la pente de l’élimination directe au 1er tour. Donc là encore, les personnalités vont jouer à plein mais surtout le bilan est plus un outil d’attaque que de défense.

Dernière élection que vous évoquez : 2007 et l’arrivée à l’Elysée de Nicolas Sarkozy. Là encore c’est une séquence très particulière. Sarkozy n’a cessé depuis des années (2004 en fait) de "cogner" sur l’inaction de Chirac, de se moquer de lui (souvenons-nous de la "charge" de Nicolas Sarkozy contre les combats de Sumotoris qu’apprécient beaucoup le président Chirac, immense connaisseur de la culture japonaise…). Autrement dit Sarkozy en 2007 se présente comme le candidat de la rupture. Peu importe qu’il soit ministre depuis 2002 et qu’il l’ait été encore bien avant, entre 1993 et 1995. Il ne donne presque pas le sentiment d’être de la "majorité sortante"… Pour un peu en 2007 il oserait même un "Sortez les sortants" du plus bel effet en termes de démagogie auprès de Français toujours prompts à dénoncer les propos "démagos", toujours aussi prompts à se comporter comme des "gogos" et à "marcher" à ce genre de carburant politique. Là encore ce qui va faire que Sarkozy va emporter brillamment cette élection de 2007 c’est sa personnalité, opposée à celle de sa concurrente, Ségolène Royal. Personnalité de Sarkozy construite par lui et censée favoriser un changement radical et rapide….

En 1974, Valéry Giscard d'Estaing est élu président après avoir été ministre à de multiples reprises et avoir devancé Chaban-Delmas. En 2007, Nicolas Sarkozy "tue le père" et est élu après Jacques Chirac. Dans quelle mesure Emmanuel Macron pourrait-il incarner une nouvelle fois de telles figures ?

Jean Petaux : C’est en effet une posture que pourrait prendre Macron. L’ennui avec le meurtre du père (même adoptif comme Brutus participant au meurtre collectif de César) c’est qu’il peut engendrer des dommages co-latéraux assez difficiles à maitriser et, en tout état de cause, à éviter. Giscard quand il devance Chaban ne "tue pas le père". Giscard n’a pas de "père" en politique sous la Vème République (hormis peut-être Antoine Pinay, plus figure de la IVème d’ailleurs que de la Vème). Il a participé au "meurtre collectif" de de Gaulle en 1969 en faisant voter "non" au référendum qui va causer le départ du général de l’Elysée. Il est le ministre des Finances de Pompidou depuis 1969 mais, hélas pour le président Pompidou, celui-ci est bien mort et pas seulement d’un meurtre symbolique politique. VGE n’a donc pas "à le tuer". Ce que "tue" Giscard (symboliquement s’entend encore une fois) en devançant comme il l’a fait Chaban, ce sont "les barons du gaullisme historique". Et d’ailleurs c’est bien pour cela que Chirac l’accompagne avec ses 43 parlementaires dans ce "pogrom politique à droite" : avec la défaite de Chaban c’est "l’UDR canal historique" (celle du RPF de 1946) qui est décapitée. Quant à Chirac lui non plus n’a jamais tué le père. Il a "tué" politiquement Giscard en faisant voter contre lui au second tour de la présidentielle de 1981 mais Giscard n’était pas son père. Le "père politique" de Chirac, tout le monde le connait : c’était Georges Pompidou.

Quant à Sarkozy, si tant est qu’il ait un père en politique, cela serait forcément Edouard Balladur. Mais Sarkozy est trop indépendant pour s’enfermer dans l’équation d’un seul "vecteur". Il se sert de Balladur pour ce que l’ancien Premier ministre lui apporte de "sagesse et de responsabilité"… Seulement pour cela !

Alors votre question porte sur Emmanuel Macron et sur sa relation psychologique avec son "père" Hollande. Pas certain d’une part qu'Emmanuel Macron s’inscrive dans cette "filiation politique-là". Pas certain non plus que François Hollande le reconnaisse aussi comme "son fils politique". Dans tous les cas, ce que l’on peut dire, c’est que le "fils" est plus "prodigue" que ce que ne s’attendait à trouver le père…

Au regard des précédents historiques évoqués et des données sondagières actuelles, comment la gauche pourrait-elle arriver à remporter l'Élysée une deuxième fois, en 2017 ? Quels sont les scénarios susceptibles de l'y porter à nouveau ? Avec qui, contre qui ?

Jérôme Fourquet : En se basant sur les sondages actuels, il existe effectivement des scénarios permettant à la gauche de l'emporter en 2017. Il faudrait qu'un candidat de gauche accède au second tour. Vraisemblablement, il devrait être opposé à François Fillon. 

En reprenant les dernières données, le scénario qui permet le plus aisément d'atteindre une telle situation est le suivant. D'une part, il faudrait que Marine Le Pen soit fortement concurrencée par François Fillon. Cela pourrait faire baisser son score aux alentours de 20%... ce qui est loin d'être le cas à l'heure actuelle. Elle engrange pour le moment entre 22% et 24% des intentions de vote, mais en prolongeant à l'extrême la tendance, on peut imaginer une occurrence où cela ramènerait son score suffisamment bas. Cette captation de l'électorat frontiste par François Fillon (ou, présenté autrement, le retour à la maison d'un pan entier de l'électorat de droite parti au FN) pourrait ramener le FN à un score très bas.

Dans ces conditions, qui relèvent presque de la politique fiction, un candidat de gauche pourrait être en mesure de coiffer au poteau Marine Le Pen et, par conséquent, se qualifier au second tour. À mon sens, ce candidat de gauche pourrait être Emmanuel Macron, particulièrement si François Bayrou ne se présentait pas. Cela laisserait tout un espace libre au centre-droit. Cet électorat pourrait se sentir d'autant plus orphelin que, dans l'hypothèse que nous défendons actuellement, François Fillon mènerait une candidature très à droite pour dégonfler le FN. Ce qu'il prendrait au FN, logiquement, il le laisserait dans la nature sans parvenir à le capter sur son aile gauche. Cela créerait un éventuel sas de progression pour Emmanuel Macron. Pour que l'équation soit totalement complète et crédible, on pourrait rajouter une primaire du PS qui se passe mal, dans des conditions délétères et une campagne très virulente. Idéalement pour Emmanuel Macron, un candidat comme Arnaud Montebourg ou Benoît Hamon l'emporterait de peu sur Manuel Valls : cela lui permettrait de récupérer un espace sur le centre-gauche. Toute une partie de l'électorat PS serait déboussolé par le spectacle de la lutte des chefs qu'auraient donné les candidats, ainsi que par le fait qu'une ligne très à gauche l'emporte, avec comme premier objectif celui de limiter la montée de Jean-Luc Mélenchon.

Cela fait, évidemment, beaucoup de "si". Cependant, ajoutons à cela un accord passé entre Emmanuel Macron et le Parti Radical de Gauche (PRG), qui retire son candidat pour le soutenir – ainsi qu'un candidat écologiste qui ne parvient pas à récupérer les signatures nécessaires pour déposer sa candidature. Dans un tel contexte, tout un électorat central demeure flottant (des écolos à un pan des électeurs UDI-Juppé) et se retrouve orphelin. Cela pourrait créer une dynamique. Ce scénario se construit sur la base de sondages actuels, et permet, éventuellement d'envisager une victoire de la gauche en 2017.

Jean Petaux : On peut toujours "parier" sur l’improbable et "jouer la cote" comme le font les bookmakers britanniques en matière d’élection au moins dans les derniers jours de la campagne; Que faudrait-il à la gauche pour l’emporter en 2017 ? La réponse est simple : un miracle !

Plus concrètement on peut lister quelques "obligations".

D’abord que son candidat puisse se qualifier pour le second tour de l’élection présidentielle. Autrement dit il aura fallu battre soit François Fillon soit Marine Le Pen. La gauche ne peut espérer faire cela qu’en étant unie avant le 1er tour, de Mélenchon à Macron. Or elle ne l’est même pas de Filoche à Valls en passant par Lienemann, Hamon, Montebourg autrement dit pour la "Belle Alliance Populaire". Car il ne suffit pas de prétendre organiser des primaires pour vouloir être en "ordre de marche". Les candidats à la primaire "BAP" peuvent avoir envie de se présenter et de concourir mais il n’est pas dit que toutes et tous obtiendront les signatures nécessaires. Ensuite ce n’est pas parce que les "battus" de la primaire se rallieront au "panache blanc" (ou de Saône-et-Loire ou "catalan") du vainqueur que leurs électeurs les suivront comme des chèvres le font avec leur pasteur. Ce qui peut très bien se passer c’est que si Montebourg est battu par Valls, outre que le premier a déjà dit qu’il restera dans son jardin sans aider le second, les électeurs du premier iront majoritairement voter Mélenchon plutôt que pour ce "droitier" de Valls. Inversement si Valls est battu par Montebourg, on imagine mal les électeurs du premier à la primaire voter pour le second au 1er tour de la présidentielle. Autrement dit les électeurs de Valls à la primaire, en l’absence de leur champion dans l’offre politique du 1er tour de la présidentielle, voteront plus sûrement Macron que Montebourg. Dans les deux cas, la gauche de gouvernement sera éparpillée et à la merci de la qualification d’office du FN et de LR, de Marine Le Pen et de François Fillon, pour le second tour de la présidentielle.

Donc, à l’inverse, imaginons que la "conciliation" vallsienne soit suivie d’effets. Que les candidatures à gauche fondent comme neige au soleil, alors Manuel Valls pourrait être en mesure de "challenger" soit Marine Le Pen soit François Fillon. Pour cela il faudrait aussi que ces deux adversaires se neutralisent et s’effondrent ensemble de sorte que le seuil de qualification au second tour en 2017 soit presqu’aussi bas que celui qui a prévalu le 21 avril 2002 : 16,86% !... (score de J.M. Le Pen). L’auto-neutralisation de Fillon par Le Pen et réciproquement est la seule voie qui peut marginalement aider la gauche de gouvernement pour une éventuelle victoire. Pour faire bonne mesure il faudrait y ajouter une candidature Bayrou qui retirerait à Fillon les voix du centre-droit.

Résumons-nous : le candidat du PS sera au second tour face à Marine Le Pen SI et SEULEMENT si :

1°) L’alliance maximale se fait à gauche et concerne aussi bien Mélenchon que Macron.

2°) Le "pire" des candidats contre le FN, Francois Fillon, crée une instabilité forte pour la candidate FN et fracture ainsi le FN sur ces deux lignes, celle de Philippot contre celle de Marion Maréchal-Le Pen. 

3°) Le candidat du PS issu de la Belle Alliance Populaire parvient à mobiliser toutes les énergies pour la campagne. Autrement dit qu’il parvienne à rallier à lui dans les 4 mois qui le sépareront de la présidentielle tous ceux qui auront voté à la primaire pour quelqu’un d’autre que leur champion mais qui, toute rancœur bue, resteront fidèle au vainqueur socialiste qui l’aura emporté.

Quels sont les éléments en mesure de bousculer le jeu aujourd'hui ? Comment un nouvel attentat, une crise européenne ou un retrait de candidat pourraient-ils impacter l'élection ?

Jean Petaux : En guise d’événements d’importance qui ont déjà sérieusement bousculé la donne, ce 6 décembre 2016, il y a d’abord eu l’élimination à droite de Sarkozy et Juppé. Puis le retrait "renoncement-démission" de Hollande. On peut ajouter à cela les événements extérieurs à la France : l’élection de quelqu’un qui a toute l’apparence d’un fou furieux à la Maison Blanche ; le Brexit quelques semaines plus tôt ; la  défaite de Renzi en Italie sur son projet de révision constitutionnelle par voie référendaire. Cela fait déjà une liste assez fournie et copieuse, et nous en oublions forcément. 

Reste évidemment la survenue d’un ou de plusieurs attentats qui auront des effets redoutables sur tous les candidats de la droite et à la gauche sans omettre l’extrême-droite. Mais tous ces événements ne sont encore qu’hypothétiques pour le plus grand nombre et il faut ardemment faire en sorte qu’ils n’adviennent pas.

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