Pauvreté : cette France qui donne mal (et trop) en ne sachant pas du tout cibler ceux qui ont vraiment besoin<!-- --> | Atlantico.fr
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Les pauvres de nationalité française sont un peu plus aidés par notre protection sociale officielle et s’adressent un peu moins aux ONG.
Les pauvres de nationalité française sont un peu plus aidés par notre protection sociale officielle et s’adressent un peu moins aux ONG.
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Mauvaise approche

Les statistiques de l'Insee confirment une étude réalisée par le Secours catholique : en 2015, la pauvreté a augmenté en France et concerne près de 9 millions de personnes.

Jacques Bichot

Jacques Bichot

Jacques Bichot est Professeur émérite d’économie de l’Université Jean Moulin (Lyon 3), et membre honoraire du Conseil économique et social.

Ses derniers ouvrages parus sont : Le Labyrinthe aux éditions des Belles Lettres en 2015, Retraites : le dictionnaire de la réforme. L’Harmattan, 2010, Les enjeux 2012 de A à Z. L’Harmattan, 2012, et La retraite en liberté, au Cherche-midi, en janvier 2017.

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Atlantico : Selon une récente étude du Secours catholique, la pauvreté en France aurait augmenté en 2015 pour concerner près de 9 millions de personnes. Comment expliquez-vous cette augmentation ?

Jacques Bichot : Le Secours catholique a fait un travail dont il indique les limites : les personnes qu’il aide ne constituent pas un échantillon représentatif de la population  des personnes qui résident en France et sont en situation de pauvreté. Son apport à la connaissance de la pauvreté se situe davantage dans l’analyse des formes de pauvreté, des mécanismes qui conduisent à se trouver en situation difficile, et parfois désespérée.

Ceci étant, comme cette ONG réalise son étude chaque année depuis fort longtemps, à partir des fiches que remplit chaque bénévole pour chaque personne qu’il rencontre, il existe des évolutions que son étude met en évidence. Par exemple, il est frappant de voir que les personnes de nationalité étrangère, qui représentent 6,4 % de la population de la France, forment 36,4 % des personnes qui se sont adressées au Secours catholique en 2015. En 2000, ce pourcentage était seulement 20 %. Il existe donc un lien entre pauvreté et immigration, et plus précisément avec l’entrée de sans-papiers ou de demandeurs d’asile dont la demande est refusée, mais qui ne repartent pas pour autant.

N’en déduisons pas que, en l’absence de migrants venus plus nombreux de pays pauvres ou ravagés par la guerre, il y aurait eu une diminution de la pauvreté ! Certes, le Secours catholique nous indique que « malgré quelques fluctuations annuelles, le nombre de situations de pauvreté rencontrées reste d’un ordre de grandeur relativement stable depuis 15 ans ». Mais cela ne veut pas dire que, puisqu'il y a moins de Français qui viennent au Secours catholique, il y a moins de Français pauvres. Cela peut aussi vouloir dire que les pauvres de nationalité française sont un peu plus aidés par notre protection sociale officielle et s’adressent un peu moins aux ONG.

Pourtant, la part des dépenses consacrées par la France à la précarité, est, en termes de pourcentage de PIB, parmi les plus élevées des pays européens. L'allocation des ressources pratiquée actuellement est-elle la plus efficace ? 

Reconnaître une certaine efficacité à nos services sociaux ne signifie pas qu’ils soient merveilleusement organisés ! Si c’était le cas, la proportion de personnes envoyées par les services officiels parmi celles rencontrées pour la première fois par les équipes d’accueil du Secours catholique n'atteindrait pas 78 %. Ce chiffre incroyable – mais vrai, jusqu'à preuve du contraire – montre bien que les travailleurs sociaux payés par l’État, les collectivités territoriales ou des organismes sociaux comme les CAF sont assez mal armés pour résoudre les problèmes liés à la pauvreté. Le rapport du Secours catholique parle d’ailleurs des « limites des services sociaux et (de) leur potentielle insuffisance dans la prise en charge de l’ensemble des besoins, financiers mais également humains et psychologiques, exprimés par ces personnes. »

L’explication est simple : comme il est écrit dans le rapport, « les personnes les plus démunies viennent avant tout chercher une écoute, un lien social ». Non pas que l’argent ou les aides en nature soient inutiles ! Mais redonner un peu confiance en soi et en autrui à un malheureux plaqué par son conjoint et qui, du coup, fait tout de travers, requiert de l’empathie, ce que les bénévoles du Secours catholique fournissent probablement plus facilement que des fonctionnaires soucieux d’abord de savoir si M. X ou Mme Y peut rentrer dans le cadre de l’alinéa C de l’article R 324-5 du Code Machin. Notre système d’assistance laisse peu de place à la discussion lente et renouvelée qui permet de comprendre peu à peu une situation compliquée, une réalité humaine que les papiers traduisent mal.

Pour rencontrer 608 000 ménages dans l’année, le Secours catholique a recours à 67 500 bénévoles : moins de 10 ménages par bénévole ! Cela permet de consacrer beaucoup de temps à chaque famille ou personnes isolée. Que les administrations ne puissent pas procéder de la même manière est compréhensible. Certes, en allégeant les règles et les procédures, on pourrait gagner un peu de temps pour le contact humain, mais il ne faut pas rêver à une transformation de nos services sociaux en ONG. En fait, la complémentarité des services sociaux officiels et des ONG est saine et naturelle. Il ne faut pas vouloir tout exiger de la « solidarité » officielle : dans ce domaine, public et privé doivent se donner la main. 

De nombreux candidats à l'élection présidentielle avancent l'idée d'un revenu universel pour remplacer les différentes prestations sociales. Cette solution vous semble-t-elle être la bonne ? Comment améliorer vraiment le traitement social de la pauvreté ? 

Par  « revenu universel », on entend une somme identique due par l’État à chaque personne. Cette formule est évidemment inapte à résoudre les problèmes de pauvreté, qui ne sont pas uniquement monétaires : l’aide dont les gens ont besoin quand ils sont « dans le besoin » peut-être un conseil, de la chaleur humaine, des soins médicaux ou psychologiques, une formation, une adaptation progressive à la vie sociale ou/et au travail, etc.. C’est ce que certains désignent par le mot anglais « care » : prendre soin de la personne, lui procurer un accompagnement adapté à son cas particulier. Le revenu universel est un fantasme nourri par des personnes qui voudraient éviter d’avoir à plonger les mains dans le cambouis. Mais, désolé, on ne s’occupe pas des pauvres simplement en faisant que chacun dispose au minimum du revenu mensuel permettant à une personne psychiquement équilibrée de vivre à peu près correctement.

L’allocation universelle, modèle réduit de la formule précédente, est destinée seulement aux pauvres, mais là aussi à tous les pauvres quelle que soit la cause de leur pauvreté. C’est également une utopie, pour la même raison : une personne mal voyante a des besoins, un unijambiste en a d’autres, un autiste d’autres encore, et idem pour une mère avec un enfant en bas âge, un homme que son divorce a fait sombrer dans l’alcoolisme, une jeune fille traumatisée à vie par un inceste, etc. Il n’y a pas de passe-partout qui ouvre toutes les prisons où moisissent des pauvres.

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