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Syrie : Alain Juppé pense-t-il vraiment pouvoir faire plier la diplomatie russe ?
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France, poids lourd ou léger...

Le ministre des Affaires étrangères doit rencontrer son homologue russe en marge d'une rencontre sur l'Afghanistan. Mais de quels moyens de pression dispose la France ?

Philippe Migault

Philippe Migault

Philippe Migault est auditeur de l'Institut des Hautes Etudes de la Defense Nationale (IHEDN) et du Centre des Hautes Etudes de l'Armement (CHEAr). Il dirige le Centre Européen d'Analyses Stratégiques (CEAS).

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Atlantico : Alain Juppé doit rencontrer ce jeudi son homologue russe, Sergey Lavrov, en marge d’une rencontre sur l’Afghanistan. La France a-t-elle encore des moyens de convaincre la Russie de faire évoluer sa position sur le dossier syrien ?

Philippe Migault : Très clairement, nous n’avons aucun moyen de pression sur la Russie. Il est tout à fait possible que Moscou reste parfaitement ancré dans sa position. On a l’air de s’imaginer en France, au Royaume Uni et aux Etats-Unis qu’à partir du moment où Paris, Londres et Washington font les gros yeux, Moscou cède. Mais nous ne sommes plus à l’époque de Boris Eltsine. La Russie est de nouveau une puissance qui monte avec une santé économique certaine.

La Russie est insensible aux pressions occidentales. Elle a le sentiment de s’être fait berner en Libye. Nous y avons dépassé de très loin le mandat donné par les Nations unies. Pour mémoire, il s’agissait alors de mettre en place une zone d’interdiction aérienne pour assurer la protection des populations civiles en danger. Dans les faits, les avions de l’OTAN se sont comportés comme l’aviation des rebelles, appuyant les troupes au sol. Ils ont pris fait et cause pour un camp, ce qui n’était pas prévu. C’était la première fois depuis des années que les Russes s’abstenaient au Conseil de sécurité de manière à ne pas entraver l’action de l’OTAN, ils ne risquent pas de recommencer sur la Syrie.

L’Occident d’un côté, la Russie et la Chine de l’autre. Est-ce le début d’une sorte de nouvelle "Guerre froide" ?

Pas du tout. L’OTAN n’est pas un bloc uni. Ce n’est plus qu’une structure politique moribonde. Cette organisation cherche tous les justificatifs imaginables à sa propre existence.

N’oublions pas par ailleurs que nous sommes entrés dans une économie mondialisée. On ne peut pas se permettre de bouder un pays avec lequel nos économies sont totalement interconnectées. La majorité du titane utilisé par l’aéronautique américaine vient de Russie. Une importante part de l’énergie qui alimente les Européens vient de Russie.

La Russie n’a aucune volonté de domination. D'ailleurs, cette dépendance économique est réciproque : l’Europe reste le principal débouché pour le gaz russe et Moscou a besoin de le vendre. C’est le marché le plus gratifiant pour l’industrie énergétique russe. Pour la Russie, cela reste la poule aux œufs d’or. Nous avons autant besoin des Russes qu’ils n’ont besoin de nous.

La Russie est un pays qui conclut des partenariats, économiques, industriels ou sécuritaires, avec des pays aussi variés que la France, membre de l’OTAN, l’Inde, allié de l’OTAN ou l’Iran, adversaire de l’OTAN. Sur quoi reposent les choix géopolitiques de la Russie ?

Le partenariat entre Moscou et New Delhi n’a pas loin de 40 ans. L’Inde est un allié proche de la Russie en matière de défense, de nucléaire civil, d’espace. En ce qui concerne l’Iran, ce n’est pas parce que l’on évoque des ventes d’armes que l’on peut parler de partenariat. La France fait d’ailleurs de même, elle vend du matériel militaire à des pays que l’on ne peut pas considérer comme des partenaires, au sens propre du terme. Ces discussions avec l’Iran n’ont pas le moindre rapport avec les tensions liées au bouclier anti-missiles.

La vraie question à se poser, c’est de savoir si nous avons intérêt à voir le mouvement qui se poursuit depuis un an dans le monde arabe continuer dans la direction actuellement empruntée. Sur ce plan, les Russes sont parfaitement pragmatiques. Ils font un constat simple : Ben Ali n’était pas un saint, il est parti, tant mieux. Par contre, qui est au pouvoir à la place ? Ennahda. Même chose en Libye : le pays est livré au chaos et aux trafics d’armes. Moubarak a été remplacé par un pouvoir partagé entre militaires, Frères musulmans et salafistes. Les Russes se posent la question : les Occidentaux ont-ils apporté la démocratie ?

C’est le vrai sujet. Qu’est ce qui menace l’Occident aujourd’hui ? C’est le terrorisme et le fondamentalisme sunnite : Al Qaïda, AQMI, les Taliban. Ces mouvances sont liées aux wahhabites, aux salafistes et à d’autres écoles de pensée qui sont toutes sunnites. Ils ont une haine de l’Occident mais ils ont aussi une haine de la Russie. C’est d’ailleurs là que Moscou se sent menacé : dans le Caucase, en Asie centrale et en Tchétchénie, les Russes sont confrontés aux mêmes adversaires que nous.

En laissant tomber la Syrie de Bachar al-Assad, qui est alaouite, il y a de fortes chances de voir naître un nouveau pouvoir sunnite. Des fondamentalistes musulmans pourraient aussi accéder au pouvoir. Le seul pays qui échapperait encore à cette suprématie des Frères musulmans, des salafistes et les wahhabites sera l’Iran. Soit nous voulons combattre le fondamentalisme sunnite et nous acceptons tous les alliés possibles, les chiites étant aussi menacés que les chrétiens. Soit nous continuons à avoir une politique qui estime que les dictateurs doivent partir afin de laisser les peuples libres. Une approche positive sur le papier mais qui a jusqu’ici laissé des populations aux mains de régimes aussi problématiques. A toutes ces questions, la Russie répond fermement non.

La diplomatie française pourrait-elle s’inspirer de cette approche pragmatique de la Russie ?

La diplomatie française se contente de faire de la gesticulation. On a répété à plusieurs reprises que l’usage de la force en Syrie était parfaitement exclu. A partir de là, sur quoi porte le débat ? Une déclaration pour dire « Bachar, c’est pas bien ! ».

La diplomatie française a perdu toute forme de logique depuis cinq ans. Nous avons accueilli Kadhafi dans les salons de l’Elysée en grandes pompes pour finalement envoyer nos avions stopper son convoi et permettre de le tuer quelques années plus tard. On a accueilli Bachar el-Assad lors d’un 14 juillet pour finalement nous retourner contre lui. Il y a un manque de constance évident dans la diplomatie française ces dernières années. Il ne faut rien voir de politique dans mon propos mais bien le constat d’un message envoyé de manière récurrente : la France n’est pas un partenaire fiable.

Cette diplomatie du coup d’éclat, qui réagit à l’émotion, repose uniquement sur de la communication. Elle semble parfaitement ignorante des réalités géopolitiques. Les Russes sont des gens pragmatiques avec une vision tout à fait claire des réalités politiques. Ils considèrent que, même si c’est difficilement audible, il vaut mieux un Moubarak ou un Bachar el-Assad à des régimes qui soutiendraient des mouvements fondamentalistes.

Propos recueillis par Romain Mielcarek

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