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Mgr Al Naufali, archevêque de Bassorah : "Ce qui est arrivé à nos peuples en Irak et ce qui est toujours en cours aujourd'hui s'apparente à un génocide"
©SAFIN HAMED / AFP

Dans une presque indifférence...

En Irak, et de façon générale au Moyen-Orient, la situation des Chrétiens est catastrophique. A l'occasion d'une visite à Paris l'archevêque de Bassorah, Monseigneur Al Naufali, confie à Atlantico son sentiment sur les traitements que subissent les Chrétiens d'Orient.

Habib Al-Naufali

Habib Al-Naufali

Habib Al-Naufali est archevêque chaldéen de Bassorah (Irak).

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Atlantico : Monseigneur, vous êtes l'archevêque de Bassorah, ville importante du sud de l'Irak et êtes originaire du nord du pays, et vous serez présent dimanche 27 à Paris au Trianon pour un concert caritatif de Grégory Turpin visant à lever des fonds pour Fraternité en Irak, qui œuvre chez vous depuis quelques années. Quelle est la situation de votre pays aujourd'hui, et particulièrement celle des Chrétiens irakiens ?

Mgr Al Naufali : Il faut savoir que les minorités d'Irak, parmi lesquelles les Chrétiens, n'ont eu de cesse de souffrir depuis très longtemps. Ce n'est pas une chose nouvelle. Cela a commencé dans mon existence à partir des années 80 avec la guerre entre l'Iran et l'Irak. Puis avec le Koweït. Ensuite vinrent les sanctions et l'embargo. Après 2003, l'invasion de l'Irak et la chute de l'ancien régime de Saddam Hussein. Comme il n'y a pas d'Etat – d'Etat moderne – et donc pas de protection séculière, certains musulmans essayent depuis quelques années de légiférer à partir de la charia. Ils s'appuie sur la tradition islamique pour faire en sorte que tout soit islamique.

Dans ce contexte, les chrétiens, mais aussi les yézidis ou les mandéens souffrent partout des conséquences de ces transformations. Dans le Nord, chez les Kurdes, la situation est un peu meilleure parce que les Kurdes ont une forte tradition séculière. Mais dans le Sud, il y a des conflits avec la majorité chiite. A Bagdad, la situation est très complexe, du fait de son statut de capital.

2003 a donc initié dans ces courants minoritaires une nouvelle vague d'immigration vers l'Ouest, plus importantes que celles que l'on avait observé lors de la guerre avec l'Iran. Comme tout était détruit, comme on ne comptait plus les morts, plus de 700.000 Chrétiens d'Irak ont fui leur pays. Ils sont allés en Amérique, en Australie, mais aussi en Europe, où ils sont très présents. Ce fut aussi le cas des mandéens et des Yézidis. Ils se sont rendus en Allemagne, en Suède...

Désormais, la situation est ambiguë. Dans le Nord, comme vous le savez, l'Etat islamique a tout détruit dans la plaine de Ninive. Des centaines de milliers de personnes ont fui vers le Kurdistan ou vers le Sud et la capitale Bagdad. Presque 400.000 personnes sont réfugiées en Turquie. 8000 familles sont aujourd'hui en Allemagne, 1000 à Beyrouth... Ceci pour vous montrer que nous continuons de souffrir. Et c'est toujours la guerre !

Dans le Sud, il y a d'autres puissances en présence. Ici, ce sont des milices et des chefs religieux chiites, mêlés à des gangsters, qui déstabilisent véritablement la région. La violence est omniprésente. Mais il reste encore des Chrétiens en Irak. Nous les estimons être encore 300.000 à ne pas avoir fui le pays. Ce sont des populations qui aimeraient beaucoup pouvoir rester : elles sont là depuis plus de 2000 ans après tout ! C'est notre terre, notre langage, nos traditions syriennes et chaldéennes, mais aussi celles des Arméniens, des Orthodoxes... Nous avons tous besoin que l'Ouest fasse quelque chose, aujourd'hui. Nous comptons sur la fraternité qui unit notre Eglise, et sur le rôle important qu'a le pape François partout dans le monde pour qu'on nous entende enfin.

Qu'attendez-vous de la communauté internationale, désormais ?

Vous savez, ce qui est arrivé à nos peuples et ce qui est toujours en cours aujourd'hui s'apparente à un génocide. Nous avons un besoin pressant d'une législation internationale afin de nous protéger. L'Irak et son gouvernement n'ont pas les moyens de nous assurer cette protection, car ils sont trop faibles. Ils ne peuvent nous protéger, tout particulièrement pas les Chrétiens. Notre Patriarche, Louis Sako, a plaidé haut et fort notre cause. Regardez ce qu'il a dit à l'Assyrian News Agency le mois dernier : les Chrétiens sont en train de mourir, l’Église sur le point de disparaître. Et les persécutions ne cessent d'avoir lieu. Ce sont trois ans d'incommensurable violence que nous avons vécu, subissant le joug et le glaive d’extrémistes qui ne nous laissent plus de choix, plus de liberté : c'est la conversion à l'Islam ou l'exil.

Nous demandons à la communauté internationale de mettre la pression sur le gouvernement irakien pour qu'il nous intègre à la citoyenneté irakienne et surtout qu'il empêchent tous les crimes contre l'humanité, perpétrés tout particulièrement contre les minorités d'Irak. Nous voulons qu'on arrête et qu'on juge les leaders religieux qui intellectualisent aujourd'hui la terreur permanente. Je parle de l'Etat islamique bien entendu, mais aussi des autres fanatiques qui, partout dans le pays, rendent notre survie impossible.

Nous demandons aussi aux puissances internationales de soutenir les musulmans pacifiques avec qui nous vivons en harmonie depuis des années, et qui souffrent également de la situation. Ce sont de bons musulmans qui veulent faire de l'Irak un pays moderne. Il faut les encourager à parler, pour qu'ils puissent instaurer un régime sain et fassent vaincre un discours religieux modéré. Ils peuvent attaquer la culture du mensonge qui règne ici, et encourager une culture de vie. Nous avons pour cela besoin de l'appui des Nations Unies, afin que l'on promeuve ici la tolérance plutôt que la haine et la vengeance.

Nous avons aussi besoin d'une aide en matière d'éducation, car aujourd'hui, il y des millions d'illettrés en Irak. Il n'y a pas d'Irak. Nous avons besoin de sortir des constitutions religieuses, afin de laisser place à un espace plus égalitaire. Aujourd'hui, un Chrétien ne peut pas se trouver de travail. On lui demande des lettres de recommandation de son parti. Mais de quel parti est le Chrétien d'Irak, sinon celui de son Eglise ?

Il faut aussi que l'ONU force la constitution et la réunion d'une conférence des pays islamiques, afin qu'ils prennent la responsabilité de régler ces horreurs qui se passent dans leurs zones d'influence. Pourquoi une telle conférence, ou organisation n'existe-t-elle déjà pas ? C'est un problème important.

La diaspora des Chrétiens d'Orient est une réalité importante aujourd'hui : comment se passe les relations avec vos frères immigrés ?

Nous craignons que trop de gens les suivent. Comprenez, nous avons nos terres ici, nos bâtiments historiques, nos églises, nos monastères, même si ceux-ci sont bien souvent en ruines. Ici, nous avons toute notre culture, toutes nos traditions. Quand les Chrétiens fuient notre pays, ils laissent la plupart de tout cela, et ils perdent souvent leurs familles. Par exemple, j'ai pour ma part deux frères en Australie, un en Californie, un en Turquie. J'ai aussi une sœur en Turquie, un neveu en Suisse, un autre en Hollande. Un autre est au Royaume-Uni.

Mais le problème principal, c'est qu'est-ce que ces gens de ma famille, dispersés autour du monde, pourraient voir s'ils en venaient à retourner ici. Tout est détruit, et aucune loi n'est là pour les protéger, comme c'est le cas, par exemple, aux Etats-Unis ou en Australie...

La mobilisation autour des Chrétiens d'Orient est un enjeu considéré comme important par de nombreux français. Quels sont ces projets que vous souhaitez porter en venant à Paris à la demande de Fraternité en Irak ?

J'aimerai vraiment remercier du fond du cœur Fraternité en Irak et tous les gens qui nous soutiennent. Ils travaillent durs, particulièrement dans le Nord. Ils construisent des écoles ou des petits ateliers pour nous permettre de recommencer à vivre normalement. Ils ont depuis peu décidé de venir dans le Sud, où la diversité des Chrétiens est importante (arméniens, orthodoxes...) Ils nous encouragent à ouvrir cette nouvelle école, qui serait multi-confessionnelle. Ils ont plein de projets pour nous. Mais il n'est pas certain que l'on puisse réussir à tous les mener, car nombreux sont les adversaires de la Chrétienté aujourd'hui. Mais si nous restons en contact avec les personnes adorables qui œuvrent pour nous à Paris, je pense que nous pourrons faire de bonnes choses ici.  

Entretien réalisé par Camille Dalmas

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