Démence en hausse : pourquoi devons-nous nous en inquiéter sérieusement<!-- --> | Atlantico.fr
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D’une part, nous vivons plus longtemps et plutôt en bonne santé ; d’autre part, les médecins soignant des pathologies cardio-vasculaires ont obtenu de vrais succès thérapeutiques et la prévention fait que ces pathologies sont moins souvent fatales.
D’une part, nous vivons plus longtemps et plutôt en bonne santé ; d’autre part, les médecins soignant des pathologies cardio-vasculaires ont obtenu de vrais succès thérapeutiques et la prévention fait que ces pathologies sont moins souvent fatales.
©Pixabay

Le cerveau, cet inconnu qui nous veut du mal

Aujourd’hui, les maladies cérébrales, comme la démence, sont plus meurtrières que les maladies cardiaques. Un constat expliqué en partie par les avancées scientifiques et médicales de la recherche sur le cœur.

André Nieoullon

André Nieoullon

André Nieoullon est professeur de neurosciences à l'université d'Aix-Marseille.

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Atlantico : L’an dernier en Angleterre, 61 000 personnes sont décédées suite à des états démentiels, représentant 11% de l’ensemble des décès. Ces pathologies démentielles paraissent ainsi de plus en plus meurtrières et induisent des morts qui dépassent désormais – au moins chez les femmes – les décès liés aux maladies cardiaques. Qu'en est-il en France ?

André Nieoullon : Ces études reflètent hélas une réalité : le facteur de risque principal des démences est bien l’avancée en âge, et du coup le vieillissement de nos populations - en particulier en Europe de l’Ouest mais pas seulement - augmente le nombre de cas de démences et par conséquent le nombre de décès qui sont liés. Que le nombre de décès liés à ces démences dépasse au Royaume-Uni celui lié aux pathologies cardio-vasculaires peut ainsi être interprété comme une bonne, et une moins bonne nouvelle. Qui plus est, la bonne nouvelle est double : d’une part, nous vivons plus longtemps et plutôt en bonne santé ; d’autre part, nos collègues s’occupant des pathologies cardio-vasculaires ont obtenu de vrais succès thérapeutiques et la prévention, notamment, fait que ces pathologies sont moins souvent fatales. La moins bonne nouvelle est, qu’en ce qui nous concerne, nous ne savons toujours pas ni prévenir, ni guérir les démences. Ceci explique cela, au moins en partie.

Cela étant dit, il reste que les états démentiels représentent l’un des problèmes de santé publique principaux et que nos efforts de recherche doivent être mobilisés au plus fort pour tenter d’améliorer la situation. Sous le vocable "état démentiel", il est d’usage d’admettre qu’il se trouve différentes formes de démences d’origine diverse, dont la plus médiatisée est la maladie d’Alzheimer. Toutefois, les démences dites "de type Alzheimer" ne représentent au total que 70% environ des états démentiels, les autres cas étant imputables notamment à des troubles vasculaires du cerveau. Au Royaume-Uni, les démences de type Alzheimer représentent environ 850 000 cas pour une population d’environ 65 millions d’habitants, ce qui est sensiblement équivalent à la situation française avec environ 1 million de cas pour 67 millions d’habitants. Il est donc vraisemblable que ce qui est constaté au Royaume-Uni soit transposable à notre propre situation et qu’effectivement les décès suite à des états démentiels dépassent également en nombre ceux liés aux pathologies cardio-vasculaires.

Pourquoi, selon-vous, observe-t-on cette hausse des décès suite à des états démentiels depuis 2011 ?

Il est exclu de se lancer dans des explications péremptoires, qui seraient nécessairement réductrices, au moins du fait qu’il faudrait savoir dans le détail s’il s’agit d’une tendance, d’un phénomène conjoncturel ou d’une véritable évolution des causes principales de décès au Royaume-Uni, comme chez nous d’ailleurs. Néanmoins, les observations suivantes peuvent être avancées pour tenter d’alimenter une discussion qui restera de toute façon "ouverte". Comme je l’indiquais en préambule, il est une certitude que nos collègues qui s’occupent des pathologies cardio-vasculaires bénéficient de succès thérapeutiques supérieurs aux nôtres, et que ces succès thérapeutiques, alliés à une politique de prévention efficace agissant sur l’hygiène alimentaire et l’activité physique pour réduire le diabète, l’obésité, l’hypertension, la sédentarité, etc., contribuent à réduire l’incidence de ces pathologies.

Le second facteur est clairement lié à l’augmentation de l’espérance de vie. Depuis les années 1980, en moyenne, l’espérance de vie augmente de 2 à 2,5 ans tous les dix ans dans les pays industrialisés, dont le Royaume-Uni et la France. Considérant alors que l’espérance de vie dans nos deux pays est sensiblement du même ordre, soit environ 79 ans pour les hommes et 85 ans pour les femmes (un peu moins au Royaume-Uni pour les femmes), le risque de développer une démence de type Alzheimer s’accroît quasiment exponentiellement à partir de 60 ans. Sur ce point, les données concordent pour montrer que si le nombre de cas est faible avant 60 ans, il augmente de façon drastique pour atteindre 10% environ de la population âgée de 80 ans, environ 20% de celle âgée de 85 ans et jusqu’à 30% de celle des personnes âgées de 90 ans ! Et encore, certaines études vont jusqu’à estimer qu’à 90 ans, c’est environ 50% des personnes qui seraient atteintes. On le voit, vieillir n’est pas une sinécure, et plus on avance en âge, plus l’épée de Damoclès se rapproche de notre tête…

Si l’on ajoute à cela que l’espérance de vie des personnes atteintes d’états démentiels est clairement plus courte que celle des personnes en bonne santé, ceci peut aussi contribuer à expliquer pourquoi les démences sont plus meurtrières que d’autres formes de pathologies. Ainsi est-il estimé que si la démence intervient autour de l’âge de 70 ans, le nombre d’années à vivre reste de quatre environ pour les hommes et de huit pour les femmes, alors que dans le même temps, l’espérance d’années à vivre pour les personnes de 70 ans en bonne santé est de l’ordre de neuf années pour les hommes et de presque seize années pour les femmes. On le constate ici, le fait de souffrir d’un état démentiel contribue à raccourcir la vie de façon drastique.

Maintenant, il est aussi possible de se livrer à une analyse plus "politique", qui tenterait d’expliquer ces chiffres en évoquant de terribles inégalités sociales. Chacun sait que dans nos sociétés, l’espérance de vie est impactée massivement par le degré de précarité, l’écart d’espérance de vie entre "riches" et "pauvres" allant en augmentant.Ainsi, tant au Royaume-Uni qu’en France, l’inégalité face à la mort se chiffre autour de -15% de durée de vie, soit à titre d’illustration en moyenne de moins neuf années de vie pour les plus précaires au Royaume-Uni par rapport aux plus riches (74 ans versus 83 ans). Si l’on admet alors que le Pib du Royaume-Uni vient de dépasser en 2015 celui de la France, peut-être doit-on alors s’attendre à ce que l’inégalité face à la mort dans notre pays n’ait rien à envier à celle de nos amis britanniques…

A l'heure actuelle, comment la démence est-elle traitée ? La recherche avance-t-elle sur ce point ?

La réponse à cette question est malheureusement et objectivement sans appel : à ce stade de nos connaissances, nous n’avons pas de solutions à offrir aux malades, ce qui nous amène, nous, chercheurs, à beaucoup d’humilité face à la détresse des malades et de leur famille. Clairement, la recherche est aujourd’hui en échec devant ces pathologies complexes. Cela ne signifie pas que les connaissances ne progressent pas. Bien au contraire, nous n’avons jamais aussi bien compris qu’aujourd’hui la nature des processus contribuant à détruire les neurones dans le cerveau des malades. Mais comprendre les mécanismes de la mort des neurones ne signifie pas que nous sachions pour autant nous opposer à ces processus.

Cela étant, quelques médicaments dont l’efficacité est contestée, existent et peuvent, dans certains cas, améliorer la sociabilité et l’autonomie des patients. Mais aujourd’hui, l’accent est mis sur la prise en charge médico-sociale de ces malades plutôt que sur d’hypothétiques traitements encore en devenir, en dépit de quelques pistes prometteuses sur lesquelles il n’est pas possibe de s’étendre ici. La recherche progresse, mais le temps de la recherche n’est malheureusement pas celui des malades…

Quels sont les signes précurseurs des états démentiels ? Pouvons-nous les diagnostiquer facilement ?

Il est difficile de dresser dans ces colonnes un tableau potentiel d’un état démentiel en devenir. Ceci est affaire de spécialistes, et les diagnostics différentiels sont encore très complexes et utilisent des batteries de tests très complètes visant  à explorer divers aspects des fonctions cérébrales et des comportements ; et l’utilisation des méthodes de l’imagerie cérébrale vient utilement compléter les outils de diagnostic en l’absence de marqueurs sanguins qui nous diraient simplement si la maladie est là, comme on peut mesurer le taux de sucre dans le sang. Alors restent les signes qui attestent de changements subtils du comportement, qui peuvent laisser penser qu’un problème existe avec les fonctions cognitives.

Bien entendu, tout le monde pense aux troubles de la mémoire et nombreuses sont les personnes qui s’alertent inutilement parce qu’elles perdent leur clé ou ne retrouvent pas instantanément le nom d’une personne qu’elles connaissent pourtant très bien… Dans la plupart des cas, ces troubles sont bénins et ne relèvent que d’une forme de fatigue ou d’altération de leur attention, voire de troubles de la vigilance, qui ne présentent qu’un caractère transitoire et peu invalidant. Mais lorsque ces signes persistent et surtout lorsqu’ils atteignent des aspects du comportement touchant par exemple les repères dans le temps (quel jour sommes-nous ?) et dans l’espace (où suis-je ?), alors il est temps de consulter un spécialiste qui explorera au fond ce qui peut encore n’être qu’un trouble de caractère bénin, mais qui peut tout aussi bien être annonciateur de la maladie. Là, tout est affaire de spécialiste et notre pays s’est doté de centres régionaux (Centres Mémoire de Ressources et de Recherche) qui permettent à tout un chacun de faire "explorer" sa mémoire en cas de doute sur ses capacités.

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