Brexit, Trump contre tous les pronostics... Juppé est-il vraiment la meilleure garantie anti-FN pour électeurs de droite ayant envie de gagner en mai 2017 ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Lla situation est-elle tendue au point qu'il vaille mieux recoudre les plaies et chercher un profil plus rassembleur et pondéré comme peut l'être Alain Juppé ? La France jouit indéniablement d'une dimension diplomatique et stratégique toute particulière.
Lla situation est-elle tendue au point qu'il vaille mieux recoudre les plaies et chercher un profil plus rassembleur et pondéré comme peut l'être Alain Juppé ? La France jouit indéniablement d'une dimension diplomatique et stratégique toute particulière.
©ERIC FEFERBERG / POOL / AFP

Onde de choc

Ce mardi 8 novembre, les électeurs américains ont fait mentir tous les sondages et porté Donald Trump jusqu'à la Maison Blanche. Cette élection, en plus de bouleverser la vie politique française, est riche d'enseignements.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Atlantico : Le Brexit et l'élection de Donald Trump ont déjoué l'ensemble des pronostics. Alain Juppé publiait ce mercredi 9 novembre un communiqué pour réagir à l'élection du président américain, dans lequel il soulignait les risques de se laisser aller aux extrémismes. Pour autant, au vu des récents événements, peut-on vraiment penser qu'il soit encore le meilleur rempart contre l'extrémisme ?

Jérôme Fourquet : La tornade Trump joue sur la politique et le paysage politique français à au moins deux niveaux. D'une part, elle renforce et révèle la dynamique en faveur des différents populistes. Le FN ne s'y est d'ailleurs pas trompé et saluait dès ce mercredi 9 novembre sa victoire. Il est indéniable que cette situation apporte de l'eau au moulin de Marine Le Pen : elle est désormais en mesure de souligner que les Britanniques ont eu le courage de réaliser le Brexit, puis que les Américains, dont on vante souvent la grandeur démocratique, d'élire Donald Trump. Elle peut faire valoir l'idée que son discours est dans le sens de l'histoire, et soulever des questions sur la mondialisation, la libéralisation : ce sont bien de Londres, de la City et des États-Unis – premier centre économique mondial – que sonnent les révoltes contre la mondialisation. A bien des égards, le sens de l'histoire semble être le sien. J'emploie d'ailleurs le terme de "sens de l'histoire" à dessein. Il a été utilisé comme un argument massue et été le ressort principal de l'audience et de l'influence marxiste/communiste à travers le monde, tout particulièrement en Europe, d'ailleurs. C'est un processus historique qui permet de justifier un combat, de le légitimer. Ce procédé peut évidemment être récupéré par le FN, à la fois pour se crédibiliser et attaquer ceux qui les taxent de populisme et d'extrémisme. Le FN peut maintenant, après le Brexit et l'élection de Donald Trump, souligner qu'il ne s'agit plus "juste" d'un populisme isolé mais que le vent se lève pour le monde occidental. Concrètement, l'élection de Donald Trump peut permettre au FN de créer et surtout d'amplifier la dynamique dont il jouit déjà. Il n'est pas assuré que cela se traduise mécaniquement dans les urnes, dans la mesure où il est plus probable que cela conforte des électeurs déjà convaincus plus que d'en attirer de nouveaux. Dans tous les cas, c'est quelque chose qui va leur profiter. 

On entend souvent que ce qui se passe aux États-Unis est précurseur de ce qui pourrait se passer sur le Vieux Continent. Pour autant, en France, depuis l'arrivée de Marine Le Pen à la tête du FN, le parti obtient des scores sans précédents. Les mécanismes et les ressorts de votes FN et Donald Trump présentent effectivement des similitudes. Cependant, il me semble que le phénomène était déjà à l'œuvre depuis un moment dans notre pays. Des journalistes anglo-saxons m'interrogeaient sur le FN et s'étonnaient de leurs importants résultats. Je répondais d'une boutade – qui n'en était pas vraiment une – que la seule vraie différence entre le Royaume-Uni, l'Amérique et la France, c'était les taux de participation, beaucoup plus haut chez nous. Les milieux populaires français, qui essuient de plein fouet les conséquences de la mondialisation, participent plus aux élections que ces mêmes milieux américains et anglais. En France, la révolte se fait au travers du FN. Aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, cela se faisait généralement via l'abstention. Rappelons que la victoire de Trump est aussi la résultante d'un scrutin où la participation atteint des records historiques. Cela vient conforter l'idée que les mécanismes communs entre le vote Trump et le vote FN fonctionnaient déjà à plein régime.

Le deuxième effet de la victoire de Donald Trump est plus indirect. Pour beaucoup de Français, cette élection a un sens bien particulier : elle marque l'entrée dans une période mondiale dangereuse et instable. La France était déjà frappée par les attentats djihadistes, devait faire face à la montée en puissance de la Russie de Poutine (dont on entend les bruits de bottes à la frontière européenne et dont on sait l'action militaire en Syrie), au Brexit qui est synonyme de déstabilisation de l'édifice européen… L'élection de Donald Trump est le dernier avatar de cette série. Or, le nouveau président américain inquiète, du fait de son profil psychologique mais aussi de sa potentielle politique étrangère. Durant l'intégralité de la campagne, il s'est positionné dans la tradition isolationniste républicaine. Cela signifie, notamment, revoir la politique de défense européenne et ne plus assurer le bouclier de l'Otan de la façon dont il l'est aujourd'hui. De la même façon, il n'est pas inenvisageable que les États-Unis s'impliquent moins dans la lutte contre le djihadisme islamiste. Bien sûr, la France fait partie de la coalition, mais ce sont les États-Unis qui fournissent l'essentiel de l'effort. Sur l'ensemble de ces sujets, Donald Trump a montré des signes susceptibles d'inquiéter l'ensemble des Européens.

Cela a une incidence concrète sur la vie politique en France. Cette posture installe l'idée que nous avons quitté les périodes sereines pour entrer dans une ère de tempêtes et de menaces qui prennent de l'ampleur. Face à cet horizon incertain, les Français ont d'autant plus à l'idée qu'il ne leur faut pas se tromper de profil et de type de personnalité en choisissant qui asseoir à la tête du pays. À mon sens, il s'agit d'une dimension bien plus décisive que l'éventuel effet d'entraînement sur la dynamique du FN. Cela se traduit largement dans la campagne de la primaire de la droite où les deux profils – et visions de la France – s'affrontent clairement. Vaut-il mieux un chef de guerre, capable de montrer les dents et de réagir de façon vive et sans concessions ? Ou alors la situation est-elle tendue au point qu'il vaille mieux recoudre les plaies et chercher un profil plus rassembleur et pondéré comme peut l'être Alain Juppé ? La France jouit indéniablement d'une dimension diplomatique et stratégique toute particulière. Elle siège au conseil de sécurité de l'ONU, fait partie du commandement intégré de l'Otan, s'inscrit en pointe dans la lutte contre l'État Islamique et est l'un des deux piliers de l'Union européenne avec l'Allemagne. Ces questions diplomatiques sont exacerbées par la victoire de Donald Trump à l'élection présidentielle.

Usuellement, sauf en temps de guerre, les questions de politique étrangère ne font pas le score d'une élection. Aujourd'hui, les menaces qui planent déjà et la victoire de Trump ouvrent symboliquement une nouvelle période de trouble, largement susceptible d'influencer le choix des Français. Jusqu'à présent, l'un des facteurs principaux de choix – à droite comme à gauche – relevait de la capacité du candidat à incarner dignement la fonction présidentielle, jugée malmenée par les deux précédents mandats. Si la victoire de Donald Trump vient renforcer cette dimension, elle en souligne également une autre : face à des interlocuteurs comme Vladimir Poutine et Donald Trump, le président doit avoir une colonne vertébrale suffisamment structurée et rigide. Il lui faut également assez de courage pour pouvoir discuter de façon très ferme, franche, virile même, avec des interlocuteurs qui sont très loin d'être des enfants de cœurs. C'est indéniablement une dimension qui va faire bouger les choses en profondeur dans le choix du candidat.

Christophe de Voogd : Permettez-moi de m’étonner d’abord du revirement total des commentaires sur les élections américaines en 24 heures. Ce qui était impossible hier est considéré comme logique aujourd’hui. Et ce sont souvent les mêmes qui sont passés d’une posture à l’autre, selon un habitus bien français. J’ai suffisamment écrit, notamment pour Atlantico, qu’il fallait prendre Trump au sérieux pour me permettre de dire que l’analogie entre la situation française et américaine a ses limites. Typique de nos revirements irréfléchis, l’oubli depuis 24 heures d’un fait majeur : Hillary Clinton a gagné au suffrage universel direct. Dans notre système, elle aurait donc gagné tout court ! Ensuite, la société française n’est pas encore aussi désintégrée que la société américaine. Elle est notamment, fait toujours oublié, bien moins inégalitaire. Fait aussi oublié, les Français sont "riches" en moyenne à titre privé (50 000 euros de patrimoine financier par tête, sans compter l’immobilier), alors que les Américains sont individuellement endettés. On ne comprend pas l’élection de Trump sans cette donnée, source de frustration énorme. A ceci s’ajoute le fait que Juppé est une personnalité bien plus consensuelle qu’Hillary Clinton, qui n’a jamais eu les sondages triomphaux du maire de Bordeaux et qui a toujours été l’objet d’un ressentiment voire d’une haine dans une partie importante de la population américaine

C’est pourquoi je reste convaincu qu’Alain Juppé gagnerait largement un duel contre Marine Le Pen, sauf drame majeur comme un nouvel attentat de masse.

Le problème pour lui est ailleurs : la primaire, elle, n’est pas gagnée et c’est cela la grande leçon à retenir des élections américaines : différence d'agenda politique entre les médias et les électeurs, erreurs des sondages, oubli de caractéristiques majeures du vote, comme le suffrage indirect aux Etats-Unis ou la composition du corps électoral de la primaire. 

Dans quelle mesure Alain Juppé, comme Hillary Clinton aux États-Unis, représente-t-il l'establishment à la française ? Qu'est-ce que cela traduit de sa compréhension potentielle de l'électorat, des mouvements qui le font évoluer ?

Jérôme Fourquet :Il est difficile de faire un parallèle parfait avec la situation américaine en France. Tout d'abord, il y a beaucoup plus de candidats en France et, parmi eux, beaucoup représentent l'establishment à la française à plus d'un égard et à différents degrés. Donald Trump a beau être un milliardaire et magnat de l'immobilier, il n'en demeure pas moins un franc-tireur qui n'est pas issu des partis. Il existe peu de profils lui ressemblant en France.

Bien sûr, Alain Juppé incarne une certaine forme d'establishment à la française de façon assez nette. Mais il n'est pas le seul. Des gens qui se présentent en rupture, comme c'est le cas d'Emmanuel Macron ou de Bruno Le Maire, incarnent également un certain aspect de cet establishment. Même Nicolas Sarkozy, malgré la ligne très droitière et parfois populiste qu'il incarne (qui n'est pas forcément celle qu'il voudrait incarner), ne se classe pas nécessairement dans le camp des opposants les plus résolus à l'establishment.

Il existe cependant une dimension comparable : le clivage peuple-élite, que l'on retrouve également en France. Nicolas Sarkozy et ses soutiens essayent d'en tirer profit et de rebondir sur la victoire de Donald Trump en dessinant Sarkozy comme le Trump français. En vérité, la mieux placée pour incarner le conflit du peuple contre les élites est Marine Le Pen, qui n'a jamais accédé au pouvoir. La différence entre les États-Unis et la France relève du fonctionnement des partis. En Amérique, tout se structure autour des deux partis principaux. Notre système est nettement plus morcelé. Donald Trump a pu faire la jonction avec un électorat comparable à celui du FN, motivé par une certaine forme de colère populaire, et un électorat plus traditionnel chez les Républicains, lui offrant la possibilité de l'emporter. Marine Le Pen n'est pas en mesure de faire cette jonction. Nicolas Sarkozy pourrait peut-être y parvenir au deuxième tour de la présidentielle, mais dans la configuration actuelle, tout porte à croire que le candidat de la droite sera opposé à Marine Le Pen, ce qui exclut ce genre de manœuvres : il faudra d'abord attirer les autres corps d'électorat que sont les centristes et la gauche.

Christophe de Voogd : Indiscutablement. On le voit notamment au soutien des médias et de nombreuses corporations du "système" à Hillary Clinton comme à Alain Juppé. On le voit également à leur comportement, où l’arrogance n’est jamais loin. On ne mesure pas assez ce que le mot méprisant de Hillary Clinton sur les électeurs "déplorables" de son adversaire lui a coûté très cher. Elle ne pouvait pas mieux les mobiliser contre elle. En témoignent les affiches qui ont fait florès partout aux Etats-Unis, et que seuls nos médias n’ont pas vues, "The deplorables for Trump". Alain Juppé s’est jusqu’à présent garder de tomber dans le piège et affiche sourire et compréhension pour tous ; mais l’on sent son agacement sur la "question Bayrou", dont j’ai déjà écrit ici qu’elle va lui nuire pour la primaire. Les plus récents sondages semblent le confirmer. 

Suite à ces événements, peut-on continuer à faire de la politique comme avant, sans être sévèrement sanctionné dans les urnes ? De quelles transformations ces événements sont-ils les symptômes ?

Christophe de Voogd : Evidemment, le nouveau défi est là. La question fondamentale est celle de la mondialisation et de ses effets, positifs et négatifs, dont personne n’ose faire l’inventaire et encore moins proposer des solutions pour les "perdants". C’est en cela que je pense que d’autres voix ont de l’espace pour s’exprimer. Encore faut-il sortir du politiquement correct, autre grande leçon des élections américaines. C’est le choix de Nicolas Sarkozy mais aussi de François Fillon ou de Bruno Le Maire, chacun à sa façon.

Il reste que le contexte entre les deux pays est différent puisque Hillary Clinton se situait dans le prolongement de la présidence Obama alors qu’Alain Juppé est candidat à l’alternance, ce qui est toujours un avantage. D’autre part, il ne s’agit pas tout à fait du même "establishment" : entre l’establishment "liberal" au sens américain du terme, c’est-à-dire de gauche, et l’establishment français très divers qui soutient Alain Juppé, où les notables traditionnels sont encore très puissants. Ses ressources électorales profondes et vastes résident dans la classe moyenne provinciale, inquiète mais nullement malheureuse. Bordeaux, même "relooké", n’est pas San Francisco ; elle n’est pas davantage Minneapolis.

Alain Juppé dispose en effet d’un atout de taille : le conservatisme français, au sens vrai du terme, c’est-à-dire la conservation du modèle économique et social, profondément étatiste, qui l’a emporté, au-delà des alternances d’apparence, dans toutes les élections depuis… 1958. Tant que ceux qui ont intérêt au maintien de l’ordre établi sont majoritaires, ce qui est encore le cas en France mais ne l’est plus aux Etats-Unis, les partisans du statu quo l’emporteront. A une condition, dans un pays de rhétorique révolutionnaire où "il faut que tout change pour que rien ne change" : ne jamais avouer ce conservatisme. C’est tout l’enjeu qui se pose à Alain Juppé. Fragile équilibre que menace encore une fois l’alliance avec François Bayrou, symbole, s’il en est, de l’immobilisme français.

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