Le grand test des candidats de la droite : petit jeu des 7 erreurs dans la méthode adoptée par le pourtant si libéral IFRAP pour comparer les programmes<!-- --> | Atlantico.fr
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Tout le monde a conscience que la campagne 2017 se jouera largement sur des choses assez peu économiques et peu programmatiques, étant donné le degré de déchirement culturel du pays, le contexte terroriste, etc.
Tout le monde a conscience que la campagne 2017 se jouera largement sur des choses assez peu économiques et peu programmatiques, étant donné le degré de déchirement culturel du pays, le contexte terroriste, etc.
©Capture d'écran TF1

Mal français

Les programmes n’ont à ce stade qu’un intérêt très limité, et il est impossible d’en faire la moindre analyse économique sérieuse.

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Un certain nombre de gens aiment faire semblant de calculer les coûts des programmes des candidats à la présidentielle (Institut de l’entreprise, 2007), ou faire semblant de les comparer sur des bases pseudo-économétriques (l’ifrap récemment, qui mélange des choux et des carottes). On connaissait le « socialisme des imbéciles », il existe aussi le think tank « libéral » des lourdingues : par exemple, à la rubrique européenne, l’ifrap se prononce, courageusement et avec une hauteur de vue digne de Garcimore, pour la réduction du nombre des fonctionnaires de Bruxelles (ils sont déjà moins nombreux qu’à la mairie de Paris…), et pour les rendre imposables, et pour faire passer de 28 à 20 le nombre des commissaires européens. Après 8 années d’une crise déflationniste jamais vue depuis les années 30, et en pleine démonétisation de la Commission (avalée toute crue par la BCE), et en plein Brexit, et en pleine crise des migrants, et en plein danger poutinesque, et j’en passe, voilà le vaste programme européen des libéraux pragmatiques de la place de Paris, berceau de Fréderic Bastiat et de Jacques Rueff ! La grande classe !

Pour le reste, les programmes n’ont à ce stade qu’un intérêt très limité, et il est impossible d’en faire la moindre analyse économique sérieuse :

1/ le programme gagnant aux primaires ne sera pas le programme du 1er tour de la présidentielle, programme qui en plus sera revu ensuite au 2e tour, et aussi éventuellement après les législatives. To say the less. La plupart des programmes de la primaire des républicains visent à la différenciation, dans une logique de segmentation marketing, mais tout ce beau monde devra se réunir, puis gouverner ensemble, donc à ce stade du débat prendre ces programmes au 1er degré relève de la naïveté ; ce n’est certes pas une pure perte de temps (comme lire un livre de Robin Rivaton), mais presque, on voit d’ailleurs que certains candidats n’ont fait aucun effort,

2/ ensuite, et comme d’habitude, on va s’apercevoir que le programme qui l’emportera à la fin n’a pas la moindre importance pratique, d’abord parce qu’on va se lier à un homme et pas à un texte (tradition gaullo-césaro-papiste-mitterrandienne, etc.), ensuite parce que certaines propositions sont dès le début conçues comme des trucs qui seront abandonnés immédiatement (un candidat peut bien proposer la disparition des départements, ou une réforme audacieuse du RSA, c’est pour de rire), enfin parce que de toute façon c’est la BCE qui gouvernera pendant 5 ans sur 90% des sujets économiques (et il se trouve que les principaux candidats de la droite sont à ce point soumis à l’ordre monétaire francfortois que pas un ne promet même vaguement de mieux challenger notre banquier central au-delà des marronniers et des serpents de mer de l’euro-groupe et du « gouvernement économique de la zone euro »),

3/ tout le monde a conscience que la campagne 2017 se jouera largement sur des choses assez peu économiques et peu programmatiques, étant donné le degré de déchirement culturel du pays, le contexte terroriste, etc.

Restons pourtant un peu sur cette fiction d’une campagne économique et « rationnelle ». Nos candidats à la candidature aiment les réformes structurelles pompeuses, même si l’augmentation de l’offre productive en pleine crise de la demande agrégée n’est pas vraiment le sujet, et ils adorent les montages juridico-fiscaux-institutionnels, tout ce qui peut divertir des vrais enjeux monétaires est accueilli avec ferveur. Même Clinton et Trump ont beaucoup parlé de la FED au cours de la campagne. Les anglais savent bien que le gros du lissage (dans le choc du Brexit) se joue à la Banque d’Angleterre. Les chinois sont à ce point au courant de la force d’une politique monétaire qu’ils n’ont pas fait l’erreur de la satelliser, de la « sanctuariser » ou de la mettre en mode pilotage automatique. Incultes et couards, nos candidats à la présidentielle ne parlent jamais des sujets qui fâchent : taux d’intérêt, taux de changes, supervision des banques, remise des dettes, quantitative easing, obligations concrètes de transparence pour la BCE, etc. Car si on parle de l’essentiel sur le terrain de l’économie, des enjeux à plus de 1000 milliards d’euros, on n’est pas compris des experts du café du commerce (qui ne comprennent que l’ISF à 5 milliards ou une fusion des départements à 4 milliards), et pire on peut passer pour melanchonniste ou pour lepéniste. « Pêchons les sardines budgétaro-fiscales, évitons les baleines monétaires » : c’est le cri de ralliement de tous les partis de gouvernement depuis des années, et la raison principale de nos échecs économiques, et de la montée des extrêmes par rage impuissante.

Mais puisque chacun fait son petit comparatif vite-fait-mal-fait des candidats, je me lance (notez que je ne vise personne en particulier puisque j’arrose tout le monde) :

1/ Jean-Frédéric Poisson, expert en « lobby juif », aurait été plus inspiré de parler du lobby Bundesbank qui, lui, existe, est mieux financé, et est assez malin pour rester sous le radar médiatique. Note : 3/20

2/ Nicolas Sarkozy aurait pu résumer sa présidence par un « Trichet m’a tué », mais il a tellement peur de ne pas passer pour un pro-européen qu’il s’autocensure en permanence ; ça se voit dans son programme, pas innovant pour un sou. Note : 10/20

3/ Jean-François Copé est détesté par tout le monde, c’est bien connu. Pour corriger ça, il propose un service national obligatoire de 3 mois. Si on suit le panorama du site de l’ifrap sur les programmes, il a oublié l’Europe, complètement, et ne propose pratiquement rien d’intéressant sur les autres items. Note : 5/20

4/ Nathalie Kosciusko-Morizet a un programme nul. Elle n’a même pas fait semblant de travailler un peu (encore l’influence de Jean-Louis Borloo ?), qu’il est loin le temps où elle publiait un bel article dans la revue Commentaire. Ou elle considère que son ralliement à Juppé sera plus aisé sans de petits grains de sable programmatiques, et qu’en attendant le mix « critique de Sarkozy & critique du machisme ambiant » suffira à lui assurer un peu d’espace médiatique. NKM est certes la seule à avoir un mot pour la pénurie de logements et l’absurdité totale des politiques immobilières, mais c’est aussitôt pour proposer un financement accru du logement social (alors, ça sert à quoi ??). A propos d’une autre catégorie honteuse de notre République qui fout le camp, l’agriculture, où il y aurait tant de choses à dire, notre libérale new age se limite au constat suivant : favoriser les circuits courts alimentaires (je ne rigole pas, je ne fais que citer). J’aurais préféré des « circuits plus courts » pour le fleuve à subventions de notre agriculture soviétisée qui meurt de soif dans un océan de liquidités, mais ça doit rapporter moins dans l’électorat bo-bo de Nathalie trop occupé à créer des start-up innovantes matin midi et soir pour relever les manquements chez leur championne ; sur l’énergie par exemple, un grand sujet des années à venir (vue la qualité de la gestion de nos chers amis du corps des Mines un peu partout ces dernières années), NKM se contente de dire : il faut promouvoir l’autoconsommation (?) et l’autoproduction (?). EhOh, on fait comment pour « autoproduire » 7000 kWh chaque année ?? Ou alors NKM a confondu avec le débat sur le cannabis ? Note : 6/20.

5/ François Fillon est très fier de sa formule « prémonitoire » la France est ruinée (alors que la France emprunte tous les jours pratiquement à 0% sur les marchés financiers… encore un intellectuel). Il est donc celui qui parle le plus de la dette publique. Pour en dire ce qu’un notaire de province ou un dentiste du Rotary d’Arras en dirait : bah, il faut la réduire la dette, hein, et rapidement. Un économiste qualifié pourrait proposer à Fillon la lecture des travaux de Gérard Thoris, ou au pire ceux de Charles Wyplosz, ou encore mieux la Bible (cette création d’un lobby juif selon Jean-Frédéric Poisson ??), mais François n’a pas l’air d’être du genre à embrasser une cause large et généreuse comme le cantonnement des dettes dans le bilan de la BCE ; de toute façon, son électorat de juristes et de comptables restera branché sur une vision sado-maso des politiques économiques, et ne lui pardonnerait pas une réflexion plus contrariante sur la dérive à la Sisyphe de tout le système financier, ou sur les mérites de la monnaie hélicoptère. Note : 7/20. 

6/ Bruno Le Maire est un énarque germanophile tendance Villepin qui a décidé de se rebeller, on l’a même vu sans cravate ; mais ça ne se voit pas du tout dans son programme de 900 pages plus indigestes que les œuvres complètes en 15 volumes du Maréchal Tito : dans chaque catégorie, une longue liste de points techniques, et à partir de 300 j’ai arrêté de comptabiliser les sigles et les acronymes. Voilà le profil idéal du premier ministre qui ne servira pas à grand-chose mais qui fera bien propre pour les sommets franco-allemands (il faut à tout prix maintenir cette fiction hexagonale d’une cogérance du vieux continent avec nos maîtres allemands) ; et Bruno est comme par hasard en pointe dans les propositions en la matière, ça vaut une bonne copie de sciences-po : rien sur la BCE, un gros numéro comique sur l’harmonisation fiscale, et la tarte à la crème d’un potentiel nouveau Traité européen (Traité imaginé à 2 puis à 6, bien entendu, car Bruno ne se contente pas de fermer la porte à tout élargissement futur : pour commencer, il vire implicitement 21 pays de la réflexion, c’est bien pratique, et ils vont adorer). Note : 9/20

7/ Alain Juppé est le choix des mous, des socialistes, des joueurs de bilboquet, de Valérie Pecresse depuis hier et d’Alain Minc depuis qu’il a de bons sondages : il a donc de bonnes chances de l’emporter (et fort peu de chances de réussir avec de tels soutiens). Dès le départ, son ambition est révolutionnaire : 28 milliards d’euros de baisse nette des prélèvements obligatoires sur la période 2017-2022 (Wwhoaa : c’est deux semaines de boulot pour une BCE qui ferait à peu près son travail, mais à part ça…). Ensuite, ça se gâte, le programme est soporifique, sûrement dopé au Tranxen 200. Un petit ron-ron pas hypocrite du tout sur le renforcement de l’euro-groupe, comme tout le monde (et comme toujours depuis la création de l’euro…), ça ne mange pas de pain, la BCE peut dormir sur ses deux oreilles. Au moins, Alain ne dit du mal ni des OGM ni des gaz de schistes, c’est déjà ça (ou la preuve qu’il n’a même plus besoin de draguer le centre-gauche pour l’emporter). Note : 8/20

La prévision est difficile, surtout quand elle concerne l’avenir. Je ne prends pourtant aucun risque en affirmant que, quel que soit le gagnant de la primaire LR, il fera un bien meilleur président que François Hollande. C’est l’avantage d’un tel benchmark, et aussi la raison secrète de l’inutilité foncière des programmes pour 2017 : nul besoin de se creuser la cervelle bien longtemps (au-delà du petit exercice de différenciation, à la marge, dans les primaires LR) quand est certain du résultat final, quand on a au fond très peu d’ambition pour la France (tout juste des velléités gestionnaires) et quand on ne réfléchit pas trop aux scores du FN en 2022 après un quinquennat ennuyeux sponsorisé par Dunlopilo.

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