Lutte contre le cancer : pourquoi l'espoir se trouve du côté des Big data<!-- --> | Atlantico.fr
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S’il est vrai que le corps humain est la machine la plus complexe que l’on connaisse il l’est également que nos yeux, mémoire, rapidité de calcul et capacité hypothéto déductive sont loin de tout ce qui est permis par les nouvelles technologies numériques
S’il est vrai que le corps humain est la machine la plus complexe que l’on connaisse il l’est également que nos yeux, mémoire, rapidité de calcul et capacité hypothéto déductive sont loin de tout ce qui est permis par les nouvelles technologies numériques
©wikipédia

Solution miracle

D'ores et déjà utiles dans différents domaines de la médecine, les Big data pourraient bientôt nous permettre de lutter contre le cancer. Elles permettent une approche multifactorielle indispensable à la médecine préventive.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : Le mathématicien Américain Eric Schadt travaille à l'intégration des Big data dans la médecine traditionnelle, notamment pour lutter contre le cancer. S'il va de soi que les données à elles seules ne peuvent représenter l'avenir des soins contre le cancer, dans quelle mesure un tel projet est-il effectivement porteur d'espoir ?

Stéphane Gayet : Les maladies infectieuses sont l’un des domaines de la médecine où les progrès ont été les plus décisifs, dès l’instant où l’on avait découvert les agents infectieux responsables (bactéries et virus) et où l’on avait mis au point l’antibiothérapie, la vaccination et les autres mesures de prévention. Dès lors, on avait cru un temps que les maladies en général étaient mono causales. C’était plus que simpliste, c’était absolument faux. Même avec les maladies infectieuses, il a fallu se rendre à l’évidence : l’agent infectieux était une chose, le terrain de la personne réceptive et les circonstances de la contamination en étaient au minimum deux autres. Elles étaient bel et bien poly causales, ou plutôt poly factorielles. En effet, il convient de distinguer la cause d’une maladie infectieuse - c’est l’agent infectieux - de ses facteurs favorisants, nombreux et variés (terrain immunitaire, circonstances de la contamination, éventuelles maladies concomitantes…).

Avec les cancers, c’est au moins dix fois plus compliqué. Car, dans l’immense majorité des cas, un cancer n’a pas une cause, mais tout un ensemble de facteurs favorisants qui, lorsqu’ils sont réunis, n’attendent plus qu’une étincelle pour le développer. Par exemple, le tabac n’est pas la cause du cancer du poumon (en réalité cancer des bronches), mais un facteur favorisant très efficace qui s’ajoute à d’autres, moins puissants (facteurs génétiques, pollution, infections répétées, intoxications chimiques…). On peut dire que c’est vrai de tous les cancers, même si l’un des facteurs favorisants paraît prépondérant (virus de l’hépatite B dans le cancer du foie, virus d’Epstein-Barr dans le lymphome malin de Burkitt…).

En matière de genèse de cancer, on estime aujourd’hui que la génétique est la clé de compréhension essentielle. C’est le principe de l’oncogénétique. Cela peut paraître évident quand on sait que les cellules cancéreuses ont un génome anormalement modifié. Rappelons que le génome est l’ensemble de l’information génétique d’un organisme, qui est contenue dans l’acide désoxyribonucléique (ADN) de chacune de ses cellules. Dans l’espèce humaine, ce génome est réparti en 30 000 gènes environ. Un gène constitue une unité fonctionnelle élémentaire de l’ADN. D’une façon générale, un gène contient les instructions permettant la synthèse de protéines. Car les protéines constituent la famille essentielle de molécules du monde animal. Ce sont les molécules clés. Certaines protéines entrent dans la constitution de nos cellules, ce sont les protéines de structure ; d’autres activent telle ou telle réaction cellulaire, ce sont les protéines enzymes ; d’autres encore régulent ces mêmes réactions, ce sont les protéines régulatrices, etc. On le voit, les protéines sont les molécules architecturales et organisatrices du monde vivant.

La survenue d’un cancer commence par la transformation monstrueuse d’une cellule, liée à une très grave mutation de son génome. Cette cellule devenue maligne est à présent autonome : elle se multiplie de façon anarchique. Au début, le processus cancéreux peut encore être arrêté par les globules blancs. Lorsque le stade de non-contrôlabilité est atteint, le cancer débute réellement. Pour qu’un tel phénomène « extraordinaire » ait pu se produire, de nombreuses circonstances devaient être réunies : ce sont les facteurs de risque du cancer. Chacun de nous fait face sans le savoir à des débuts de cancer qui sont tués dans l’œuf. Mais parfois, hélas, les systèmes anti-cancer de notre corps sont dépassés.

Eric Schadt n’est pas médecin : c’est un scientifique expert en mathématiques et en biologie moléculaire. Il a compris que l’approche des cancers devait être résolument moléculaire et même génique. Son projet consiste en l’application à l’oncogénétique des méthodes et outils de traitement informatique des bases de données numériques gigantesques (big data). En pratique, quand une personne relativement jeune développe un cancer grave et évolutif, Eric Schadt se propose d’étudier son génome de façon très poussée et d’alimenter une base de données avec les résultats obtenus. Ces données génomiques devront être complétées des données concernant le mode de vie de la personne. Lorsqu’il aura dans sa base de données les informations du génome et du mode de vie de plusieurs centaines ou milliers ou dizaines de milliers d’individus jeunes et atteints du même type de cancer, ce chercheur pourra peut-être en déduire, grâce à des corrélations statistiques, la probable responsabilité de tels ou tels gènes, natifs ou bien modifiés par tels ou tels processus, en conjonction avec tels ou tels phénomènes de vie.

Ce projet très coûteux devrait permettre de contribuer à connaître les facteurs favorisants (facteurs de risque) de certains cancers et ainsi à comprendre les raisons de leur survenue.

Dans le cadre du cancer, envisagez-vous l'utilisation de Big data dans la médecine curative ou uniquement préventive ? Quelles sont les avantages et les inconvénients de ces deux aspects ? Quelles sont les opportunités que de telles avancées pourraient créer, concrètement ?

Si l’on considère que, pour un cancer donné appelé X, on réussit à mettre en évidence, grâce à ce projet faramineux, trente gènes favorisants et cinq facteurs favorisants externes (ce qui est vraiment impossible en dehors de l’analyse de big data), on pourra, dès que l’on aura identifié la présence de ces 30 gènes chez un individu, agir en le soustrayant aux cinq facteurs favorisants externes. Car on admet que, dans l’immense majorité des cas, les gènes facilitateurs ne suffisent pas : il faut en plus l’intervention de facteurs favorisants externes ou facteurs de risque (virus, tabac, alcool, produit chimique, rayonnement, etc.).

Lorsque, chez une personne, on découvre un cancer en pleine expansion, c’est déjà bien tard. Cela signifie que tous les mécanismes de défense de cette personne ont été dépassés. Le cancer est en effet perçu par l’organisme comme un corps étranger qui se développe, tel un agent infectieux à éliminer. Mais l’organisme a échoué, il s’est laissé déborder. Alors que faire ? La chirurgie, la chimiothérapie, la radiothérapie, l’immunothérapie, les thérapies modernes géniques ou d’autre type…

La médecine de l’avenir est plus préventive que curative. Il est plus facile de prévenir que de guérir, particulièrement un cancer. Les avancées permises par un tel projet de très grande envergure concerneront plus la prévention que le traitement curatif. Mais elles devraient aussi permettre de surveiller étroitement les personnes à haut risque et de détecter au plus tôt un cancer tout débutant chez elles. La détection très précoce des cancers est une approche très séduisante, à condition que l’on soit à même de les éradiquer dans ce cas. Ce qui suppose des méthodes fines et peu agressives de destruction d’un cancer à son tout début. C’est là qu’interviennent des thérapies moléculaires sur mesure, pour aller détruire de façon sélective et non délétère (nuisible) un tout petit cancer à peine débutant. C’est, avec la prévention primaire ou prévention vraie, la deuxième méthode rationnelle de lutte contre le cancer : le fait de détecter et de détruire sans dégâts collatéraux de très petits cancers fait partie de la prévention secondaire, celle qui consiste à agir au tout début d’un phénomène pour l’endiguer quand il est encore temps et possible de le faire.

Toutes ces approches font bien sûr appel à des techniques et outils informatiques, biologiques et chimiques qui dépassent les capacités de l’homme et de son cerveau. Cela n’eût jamais été possible avant l’ère numérique.

Les Big data et les nouvelles technologies ont déjà prouvé leur efficacité dans d'autres domaines de la médecine. Faut-il s'attendre à ce que, à l'avenir, toute opération médicale se fasse avec un accompagnement informatique et statistique ? A quoi pourrait ressembler la médecine de demain ?

S’il est vrai que le corps humain est la machine la plus complexe que l’on connaisse, il l’est également que nos yeux, notre mémoire, notre rapidité de calcul et notre capacité hypothéto déductive sont aujourd’hui très loin de tout ce qui est permis par les nouvelles technologies numériques. Les logiciels experts d’aide au diagnostic ont largement fait la preuve de leur efficacité : le cerveau humain est dépassé par les prouesses informatiques. Mais l’homme garde le contrôle sur la machine et ce n’est pas demain que la machine prendra le contrôle sur l’homme, n’en déplaise aux personnes qui prétendent le contraire.

C’est certain, la médecine et la chirurgie vont devenir de plus en plus numériques. En chirurgie, les robots sont à la fois plus précis et plus fiables que la main. Une machine ne se fatigue pas et n’a pas d’humeurs, contrairement à l’homme souvent défaillant. Mais l’un et l’autre travailleront de concert : il ne sera pas possible de tout mécaniser ni automatiser en raison de la variabilité humaine. En effet, nous sommes tous différents et il n’existe pas deux corps ni deux cerveaux qui soient identiques. L’homme ne pourra plus se passer de la machine et la machine aura toujours besoin de l’homme qui est son créateur.

La médecine de demain sera de plus en plus préventive, de moins en moins agressive et invasive (intrusive), de plus en plus précise et de plus en plus sur mesure ou à la carte. À chaque personne sa prévention, son diagnostic et son traitement qui lui conviennent à lui et à lui seul. Déjà aujourd’hui, plus aucun cerveau humain ne peut connaître toutes les maladies et même tous les médicaments (le dictionnaire Vidal des médicaments est devenu monumental). La chirurgie deviendra de plus en plus fine et précise, de moins en moins agressive et délétère. Elle est encore souvent beaucoup trop destructrice aujourd’hui. Prenons l’exemple de l’ulcère de l’estomac : on a commencé par enlever tout l’estomac chez certaines personnes gravement atteintes, ensuite on a enlevé seulement une partie de l’estomac, puis coupé la totalité du nerf pneumogastrique ou vague ou X (celui qui fait sécréter le suc gastrique acide), puis on a coupé seulement une partie de ce nerf vague (vagotomie sélective), puis on a coupé seulement une toute petite partie de ce nerf (vagotomie supra-sélective), puis on a mis au point des antiulcéreux permettant de se passer de la chirurgie et enfin des antibiotiques pour détruire la bactérie en cause, de telle sorte que l’on n’opère plus les personnes souffrant d’un ulcère de l’estomac, sauf cas très particuliers. Cet historique de la prise en charge de l’ulcère de l’estomac préfigure l’évolution de la médecine en général : de plus en plus précise, et même moléculaire, et de moins en moins agressive. En revanche : avec quel coût ?...

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