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Pourquoi les Chrétiens d’Irak risquent bien de ne jamais retourner à Mossoul après la fin de la bataille
©SAFIN HAMED / AFP

Nettoyage ethnique

Alors que certains villages aux alentours de Mossoul ont été repris par les forces irakiennes, les chrétiens, qui pour la plupart ont fui il y a deux ans, sont encore très marqués par les violences et les meurtres commis par l'EI. Ce traumatisme ainsi que l'absence de perspectives économiques dans une ville en ruines, rendent peu probable leur retour une fois la bataille terminée.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Alors que la bataille pour la reprise de Mossoul continue de faire rage, certains villages chrétiens aux alentours de la ville ont été reconquis par les forces irakiennes. Quelle est la probabilité que les chrétiens qui ont fui Mossoul il y a deux ans choisissent de retourner y vivre  une fois la bataille terminée ? Que craignent aujourd'hui les chrétiens qui ont fui Mossoul ? Qu'est-ce qui pourrait freiner ou décourager leur réinstallation sur leur ancien lieu de vie ? 

Alain Rodier : Traditionnellement, la région de Mossoul était multiethnique mais avec une majorité sunnite. Depuis 2003, date de l'intervention américaine, elle n'a jamais été vraiment pacifiée. L'insécurité latente a toujours été présente et a marqué durablement les populations. Depuis 2014, les chrétiens et les autres minorités (il avait aussi des chiites dans la province de Ninive) ont été pourchassés par Daech. La guerre qui s'y déroule maintenant apporte son lot de destructions et de destructurations qui sont irréversibles dans un proche et moyen avenir d'autant qu'elle est bien loin d'être terminée quoique puisse en dire la propagande.

En effet, tout va dépendre de l'attitude militaire de Daech. Les activistes salafistes-djihadistes vont-ils se replier vers la Syrie ou d'autres provinces irakiennes en menant des combats retardateurs comme ils ont l'habitude de le faire ou vont-ils conduire une guerre de positions dans cette grande ville. Dans ce dernier cas, les combats pourraient s'éterniser sur des mois voire des années comme durant les batailles de Beyrouth (1975-1990). Un principe de base: le combat dans les localités est la chose la plus difficile à mener pour les militaires, l'avantage initital étant du côté des défenseurs qui ont pu préparer leurs positions à l'avance. De toutes façons, Daech mènera dans l'avenir une guerre non conventionnelle du faible au fort qui maintiendra un climat d'insécurité permanent très difficile à vivre pour les populations concernées.

Dans tous les cas, la ville de Mossoul va être détruite et rendue inhabitable par les nombreux pièges qui vont être laissés en arrière par Daech. Les services vitaux ne seront pas assurés durant une très longue période toute l'administration devant être reconstruite. Or, personne ne sait aujourd'hui qui va vraiment s'en charger - vraisemblablement le gouvernement chiite de Bagdad s'il est aidé par la communauté internationale -. Devant tous ces problèmes, il y a peu de chances que les populations qui ont fuit la ville reviennent avant longtemps et surtout pas les chrétiens qui ont vécu un véritable traumatisme qui perdurera dans l'inconscient durant de très longues années.

Dans certaines régions, la quasi-totalité des chrétiens ont fui. Où ces derniers ont-ils trouvé refuge ?

La plupart des chrétiens sont regroupés au Kurdistan irakien et dans les pays voisins dont une partie en Syrie en zones contrôlées par le régime de Bachar el-Assad (le Liban et la Jordanie sont aussi des terres d'accueil importantes; on ne soulignera jamais assez le poids qui pèse sur ces petits pays qui montrent un courage époustouflant même s'ils n'ont pas vraiment le choix). Une partie des chrétiens est sur la route de l'exil, c'est à dire vers l'Europe. 

Plus généralement, quel est l'avenir du caractère multi-ethnique et multiconfessionnel de l'Irak ? Quel est le risque que certaines communautés, autrefois bien implantées, deviennent quasi inexistantes ?

Il y a peu de chances qu'il y ait un avenir multi-ethnique et multiconfessionnel en Irak, encore moins qu'en Syrie. A savoir que dans ce dernier pays, les zones tenues par le régime acceptent toutes les minorités - certes dans un but stratégique, les alaouites au pouvoir à Damas étant minoritaires ont un besoin vital de cet apport pour contrer les salafistes-djihadistes -.

"Les" Kurdistans (il ne faut pas voir pour l'instant "un" Kurdistan car, contrairement à la légende, les Kurdes sont très désunis) acceptent aussi la présence des chrétiens mais il leur faudra définir quelle sera vraiment leur place dans l'avenir. Ce n'est pas le poids religieux qui est là prioritaire mais le poids politique. Chaque "Kurdistan" présente une situation différente où la place réservée aux chrétiens n'est de toute façon pas le souci prioritaire et cela doit être bien compris car, selon l'expression populaire, même s'ils n'ont rien contre les chrétiens, les Kurdes ont malheureusement aujourd'hui d'"autres chats à fouetter". Pour eux, il en va d'abord de leur propre survie surtout quand on voit la politique imprévisible menée par le président turc Erdogan et la défiance à leur égard de Bagdad et de Téhéran. 

Nous nous dirigeons donc vers un Proche-Orient éclaté qui se redéfinira sur les principes ethniques et/ou religieux. Je sais que tous les responsables politiques rejettent cette idée - même à Damas et à Bagdad - mais je pense qu'ils sont mis devant le fait accompli. Tout cela va être déguisé par un "fédéralisme" de façade. 

Le grand problème reste le même : quelle sera la place des chrétiens dans cette recomposition ? Pour garder un peu d'optimisme, il faut penser que les dirigeants de nouvelles "entités" vont essayer de leur faire une place - même minime -  pour faire bonne figure à l'international. Si cela est déjà vrai pour la partie de la Syrie contrôlée par le régime en place Damas avec le soutien de Moscou, cela peut aussi se traduire dans la partie chiite de l'Irak. Des déclarations de responsables chiites irakiens - inspirés par leurs conseillers iraniens - semblent aller dans ce sens [1]. Le mystère reste sur la composition de "Sunnistans" et surtout, qui les dirigera ?

Il ne faut pas se faire d'illusions : les chrétiens au Proche-Orient seront toujours considérés comme des citoyens de seconde zone mais, au moins, ils auront le droit d'exister dans certaines régions. 

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1. Les chiites sont globalement moins intolérants que les sunnites salafistes et wahhabites vis-à-vis des autres communautés religieuses dans la mesure où ces dernières restent discrètes. Ce n'est pas par mansuétude mais par réalisme politique. Par exemple, il y a des communautés juive et chrétienne en Iran même si le régime montre une agressivité constante vis-à-vis de l'Etat d'Israël. Bien sûr, s'ils ont droit de vivre et même d'avoir des représentants officiellement reconnus, ils font l'objet de nombreux interdits.

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