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Pourquoi la loi du 17 mai 2013 de Christiane Taubira prive délibérément l’enfant de son père ou de sa mère
©Reuters

Interview

A l'occasion de la sortie de son livre, "L'enfant oublié", Elizabeth Montfort revient sur les thèmes de la filiation, du mariage et de la famille, qu'elle considère mis en danger par la loi Taubira.

Elizabeth Montfort

Elizabeth Montfort

Essayiste et femme politique française. Elle est ancien député européen et membre de l'Institut Thomas More où elle anime le Pôle Culture et Société.

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Atlantico : Pourquoi considérez-vous que l'enfant est "oublié" aujourd'hui ? On a plutôt souvent l'impression que notre société contemporaine est obsédée par la question de l'enfant. Qu'est-ce qu'on oublie et qui menace l'enfant aujourd'hui ?

Elizabeth Montfort : Si on considère le point de vue matériel, c’est vrai que l’enfant n’est pas oublié. Il est comblé, choyé, gâté… Les parents essaient de leur donner le meilleur de ce qu’ils peuvent leur donner, même dans les familles modestes. Faut-il y voir une conséquence de la société de consommation dans laquelle nous vivons ? Certainement, en partie.

Concernant la loi Taubira, nous sommes dans un autre registre : celui du droit, notamment du droit de la famille et de la filiation. En France, mariage et filiation sont liés : le lien filial découle du mariage. De ce fait, le mariage ne peut concerner en France que l’union engageant de manière crédible l’enfantement : celle d’un homme et d’une femme, selon des critères d’âge minimum (18 ans) et d’absence de certains liens de parenté (frère et sœur, etc.). Un protocole spécifique demeure pour établir la filiation de l’enfant né de père et mère non mariés.

La loi du 17 mai 2013 s’intitule "Ouverture  du mariage et de l’adoption aux personnes de même sexe." Si bien que le mariage de deux personnes de même sexe entraine automatiquement l’adoption. Ce qui signifie que ces personnes mariées peuvent adopter un enfant ensemble. Ce faisant, cette loi vient bouleverser la cohérence de la filiation car  elle valide qu’un enfant soit privé d’avoir “un-père-et-une-mère”, alors que c’est le socle même de sa filiation.

>>> Lire aussi : Le casse-tête juridique de la PMA

>>> Lire aussi : Les incidences psychologiques oubliées du fait d'avoir un "père-et-une-mère"

Ainsi, pour les couples de femmes, la femme qui n’est pas la mère biologique peut adopter l’enfant de celle-ci, à condition que le père ne soit pas inscrit sur l’état civil de l’enfant. La cour de cassation a validé ce type d’adoption pour les enfants nés d’une PMA effectuée à l’étranger, puisque cette pratique est interdite en France.

Pour les couples d’hommes, la question est plus complexe : soit la mère a abandonné l’enfant et celui-ci est adoptable, soit l’enfant est né d’une GPA à l’étranger et son état civil établi à l’étranger mentionne la mère porteuse et le père biologique comme étant ses parents.

Ces situations montrent que la loi du 17 mai 2013 prive délibérément l’enfant de son père ou de sa mère. Car l’adoption plénière se substitue à la filiation d’origine. Elle établit une filiation au titre d’un enfantement plausible. En d’autres termes, l’enfant, fruit d’une union d’un homme et d’une femme, en raison de la reproduction sexuée de l’espèce humaine, devient par le biais du type d’adoption de cette loi, le fruit de deux hommes ou de  deux femmes.

Ce n’est pas le cas de tous les pays européens. Par exemple, au Portugal, le mariage de deux personnes de même sexe n’implique pas l’adoption. Aux USA, l’adoption, de nature contractuelle, établit une filiation de complément et non de fondement.

En répondant à une revendication de couple, la loi du 17 mai 2013 a rompu la cohérence de la filiation qui en résulte. C’est en ce sens qu’elle a oublié l’enfant.

Pourquoi est-ce que la loi du 17  mai 2013 vous semble-t-elle dangereuse pour l'enfant ?

L’enfant pour grandir et se construire a besoin de repères cohérents. Or, la loi du 17 mai 2013 a privé les enfants d’une filiation cohérente et vraisemblable en ignorant l’indivisibilité des filiations maternelle et paternelle et en remettant en cause l’unité de quatre aspects de la filiation :

- La filiation biologique n’est pas un droit. C’est un constat : la reproduction ne peut être que biologique. Quel que soit le mode d’obtention des cellules reproductives, il faut un ovocyte (cellule reproductive de la mère) et un spermatozoïde (cellule reproductive du père) pour faire un bébé. En cas d’adoption plénière, la filiation biologique reste en quelque sorte le modèle. Les parents adoptifs ne sont pas les parents biologiques, mais auraient pu l’être en raison de la différence des sexes.

- La filiation juridique  se traduit par l’inscription de l’enfant à l’état civil, c’est-à-dire, lui donner un nom, ce qui revient à nommer ses parents, père et mère. Cette inscription est soit, automatique par présomption de paternité (le père est le mari de la mère), soit, possible par reconnaissance, en l’absence de mariage. En cas d’adoption, les parents adoptifs se substituent aux parents biologiques et donnent leur nom à l’enfant.

- La filiation symbolique ou psychique  concerne la croissance et le développement psychique de l’enfant. Celui-ci, pour grandir et se construire, a besoin de cohérence. Il a besoin de s’imaginer comme fils de… ou fille de… ; comme étant "l’enfant" de deux adultes que le droit désigne comme ses parents. Il ne peut pas imaginer une invraisemblance. Il ne peut se voir que comme l’enfant d’un père et d’une mère.

- La filiation sociale concerne la prise en charge de l’enfant, les droits et les devoirs des parents, en matière d’autorité parentale et d’éducation. Même en cas de divorce, les parents conservent l’exercice de l’autorité parentale.

C’est aussi la crédibilité de la filiation de l’enfant qui est en jeu, même en cas de filiation adoptive. Les parents adoptifs sont, en effet, dans une situation telle (adultes de sexe différent) qu’ils auraient pu être les parents de l’enfant.

La vraisemblance de la filiation est capitale, car c’est ce qui rend la filiation crédible pour l’enfant. La vraisemblance et la crédibilité sont le fondement même de la filiation, c’est-à-dire du lien si particulier entre l’enfant et ses parents, père et mère. Il est crédible pour l’enfant que cet homme et cette femme, que le droit désigne comme ses parents, sont bien "son père et sa mère". Il est, en revanche inconcevable pour un enfant, de lui désigner comme "ses parents", deux personnes de même sexe, quelles que soient les circonstances de la vie de ces deux adultes.

Les conséquences de la loi Taubira, en matière de filiation sont graves, puisque cette loi  institutionnalise une filiation incohérente et invraisemblable. Par cette loi, le Droit de la Famille admet qu’un enfant puisse être privé délibérément de son père ou de sa mère. L’enfant perçoit très jeune cette privation. Et ce n’est pas seulement le fait de ne pas être comme les autres enfants qui peut le faire souffrir. C’est d’être dans une situation non crédible.

Deux personnes de même sexe peuvent éduquer et aimer un enfant. Mais elles ne peuvent être considérées comme ses parents ensemble. Car être parents, c’est un état (avoir engendré ensemble, ou être dans une situation telle que ces adultes auraient pu engendrer ensemble, comme pour la filiation adoptive) avant d’être une fonction, des tâches ou des rôles.

Pour ces raisons, parce que rien n’est plus important que l’intérêt supérieur de l’enfant, une nouvelle loi doit restaurer la cohérence de la filiation, c’est-à-dire, le droit "pour chaque enfant d’avoir un père et une mère" pour le bien de l’enfant lui-même, et de tous les enfants.

Vous insistez beaucoup sur la nécessité de défendre un droit de l'enfant contre un droit à l'enfant. La pression démographique actuelle ne risque-t-elle pourtant pas de soulever un jour une vraie question du "droit à l'enfant", dans le sens où la question du contrôle des naissances est de plus en plus soulevée ?

Il vaut mieux parler de "droits de l’enfant", au pluriel, car nous nous référons à la Convention Internationale des Droits de l’Enfants du 20 novembre 1989. Ce texte signé par la France énumère un certain nombre de droits pour la protection de l’enfant. Ces droits concernent l’éducation, la santé, le droit de vivre avec ses parents… Ils ont pour but de garantir à l’enfant un cadre satisfaisant pour sa croissance et son développement. Comme la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 ou la Convention européenne des droits de l’homme, ces textes internationaux signés et ratifiés par la France s’imposent et s’intègrent à note législation nationale.

En matière de filiation, notre droit puise son fondement dans l’article 7 de la Convention Internationale des droits de l’enfant : "L’enfant a le droit, dans la mesure du possible, de connaître ses parents [père et mère] et d’être élevé par eux" (art. 7-1). La France étant signataire de cette Convention, elle doit en tenir compte dans toutes les décisions concernant les enfants, notamment dans le Droit de la Famille.

Le "droit à l’enfant" fait référence à une revendication d’enfant quel que soit les circonstances de la vie des adultes. Le désir d’enfant existe et il ne faut pas le nier. Mais l‘enfant n’entre pas dans la catégorie des biens que l’on peut obtenir sans des repères cohérents, malgré les prouesses biotechnologiques en matière de PMA.

Le "droit à l’enfant" n’est pas un mythe. Il existe d’une certaine manière en Chine avec l’enfant unique, en raison de la pression démographique, pratique remise en cause récemment, d’ailleurs. On ne peut pas nier que dans cette situation, l’Etat s’immisce dans un domaine de la vie privée qui relève de la responsabilité des parents. En outre, la question ne se pose pas dans ces termes en France ou en Europe : d’une part, nos sociétés ne renouvellent plus les générations, ce qui pose un vrai problème du vieillissement de la population ; d’autre part, le désir d’enfants est supérieur au nombre d’enfants par couple, en raison des difficultés financières ou des incertitudes de la vie.

La question est aussi celle d’une politique familiale qui articule la responsabilité des parents et le dynamisme de nos sociétés du point de vue de l’équilibre entre les générations. C’est la raison pour laquelle, je pense qu’il faudra une nouvelle loi pour la famille qui restaurera la cohérence de la filiation qui doit se situer dans la vraisemblance et pour refonder la famille dans ce qu’elle a d’essentiel : être le lieu de l’accueil des enfants et le lieu des apprentissages de la vie en société. Cette nouvelle loi devrait avoir pour enjeu de restaurer la cohérence filiative entre ses fondements psychique, biologique et juridique.

C’est ce à quoi nous invite la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948, qui rappelle que "la famille est l'élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de l'État".

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