Des goûts et dégoût : tout le monde aime le chocolat ou presque, mais sauriez-vous comment expliquer une telle unanimité des papilles ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Ce ne sont pas les récepteurs gustatifs qui sont en question mais bien les facteurs sociaux et culturels, qui donnent une "valence" positive ou négative à tel ou tel aliment.
Ce ne sont pas les récepteurs gustatifs qui sont en question mais bien les facteurs sociaux et culturels, qui donnent une "valence" positive ou négative à tel ou tel aliment.
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Ni huitre ni choux de Bruxelles

La 22ème édition du Salon du Chocolat ouvre ses portes ce vendredi 28 octobre, à la porte de Versailles. Pour l'occasion, une étude révèle que 96% des Français aiment le chocolat : un chiffre surprenant, mais qui s'explique en grande partie par des facteurs cérébraux et culturels.

André Nieoullon

André Nieoullon

André Nieoullon est professeur de neurosciences à l'université d'Aix-Marseille.

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Atlantico : Selon un sondage publié par les organisateurs du Salon du chocolat et Doctissimo, 96% des Français aiment le chocolat. Quels sont les mécanismes cérébraux qui font que l'on apprécie, ou non, un aliment, qu'il s'agisse du chocolat ou non ?

André Nieoullon : Les Français aiment tellement le chocolat que leur consommation est estimée à près de 7Kg par an, principalement d’ailleurs sous forme de chocolat noir ! Une véritable passion pour le chocolat… qui frise l’addiction. Le problème est que s’il est assez facile de partager cette expérience gustative et donc de se mettre d’accord pour dire avec le plus grand nombre qu’il est excessivement agréable de manger un carré de chocolat, il est par contre beaucoup plus difficile au neurobiologiste de tenter d’expliquer pourquoi le chocolat. La première réponse est que si l’on en consomme tant, c’est que l’on y trouve du plaisir… parce que l’on aime le chocolat. Mais c’est là une explication un peu courte. La seconde est que manger du chocolat apporte "quelque chose" par rapport à un état ou à un manque, et donc qu’au travers de cet acte tellement banal on en vient à trouver une forme de réconfort… qui permet de justifier (en particulier vis-à-vis d’une certaine culpabilité que l’on peut avoir après) pourquoi on s’est laissé aller alors même que l’on peut juger combien il n’était pas raisonnable de s’adonner à ce qui in fine est bien perçu comme un plaisir. Ceci nous ramène à l’enquête : 96% des personnes interrogées répondent ainsi que consommer du chocolat "fait du bien" et même "rend heureux" pour 51%. Il se trouve donc bien un plaisir ou en tout état de cause un réconfort à manger son chocolat favori.

Quelle explication avancer ? Tout d’abord, le chocolat (noir en particulier) présente une double caractéristique, liée à ses propriétés gustatives, qui le placent parmi les aliments considérés le plus souvent comme ayant un goût plaisant. Du fait de son goût "sucré" et "amer" à la fois, il a ainsi la faculté d’exciter dans la bouche les papilles gustatives spécialisées dans la détection de ces deux goûts liés de façon ancestrale à une valence affective positive, qui incite à consommer à nouveau (c’est surtout le cas pour le goût sucré). Cette valeur incitative est par ailleurs liée à une texture et à une consistance agréable, qui la renforcent. La question de savoir d’où vient cette valence positive est complexe. Sans rentrer dans le détail il est admis l’existence de composantes multiples, d’ordre génétique (les récepteurs gustatifs sensoriels), l’expérience précoce (l’apprentissage des goûts), mais aussi des traits de personnalités qui prédisposent à une sensibilité particulière à ces goûts, ou encore à des facteurs d’ordre social et culturel. Ainsi chacun aura compris que votre chocolat préféré n’est pas forcément apprécié par votre ami japonais ou chinois, pour ne citer qu’un exemple. Et pourtant nous partageons des récepteurs gustatifs qui ne sont pas très différents mais qui sont "éduqués" de façon très différente…

Un autre élément à prendre en considération est lié à notre connaissance du chocolat : il est admis qu’il représente un aliment d’une très grande qualité, faible en glucides (le chocolat noir), riche en bons lipides et surtout riche en oligoéléments indispensables pour un bon fonctionnement de notre cerveau : du magnésium, du potassium, du calcium, du phosphore, et encore du sélénium et du cuivre, sans oublier l’indispensable sérotonine avec un soupçon de caféine et de théophylline (stimulants) et jusqu’à un peu d’anandamide, un agent qui agirait sur des récepteurs du cerveau sensibles au cannabinoïdes… Bref, un cocktail détonant aux vertus antidépressives et à même de nous permettre une très bonne gestion de notre stress. Une excellente réputation ce chocolat, qui vise à booster nos système neuronaux de la récompense et en particulier de permettre une meilleure action de notre dopamine, cette hormone du bonheur connue comme telle ! C’est par-là vraisemblablement que l’expérience de la consommation de chocolat a laissé en mémoire un souvenir agréable… qui nous incite à rééditer cette expérience, sans pour autant qu’elle puisse être considérée comme une véritable addiction.

Alors oui manger un carré de chocolat procure un plaisir, que nous n’allons certainement pas bouder… même si une certaine culpabilisation demeure du fait de son pouvoir énergétique peu compatible avec notre façon de nous nourrir ! 

D'autres aliments présentent un engouement seulement local, comme cela peut-être le cas du fromage, nettement moins apprécié outre-Atlantique par exemple. Dans quelle mesure la culture et l'éducation jouent-elles également un rôle ? Quelle est leur part face aux mécanismes cérébraux ?

La réponse est explicitement apportée dans ce qui précède : ce ne sont pas les récepteurs gustatifs qui sont en question mais bien les facteurs sociaux et culturels, qui donnent une "valence" positive ou négative à tel ou tel aliment. Pourquoi le goût du wasabi est moins bien partagé par les Occidentaux, en général ? Possiblement parce que tout petits les japonais en consomment et l’apprécient, ce qui est rarement notre fait…Maintenant, pour ce qui est du fromage, il est possible, qu’outre l’expérience sensorielle, il puisse être considéré par d’autres que les processus de fabrication des dits fromages soient dans certains cas incompatibles avec la conception quelque peu "aseptisée" que doivent avoir leurs aliments pour être comestibles… Ainsi donc, ce n’est pas le cerveau mais plutôt l’éducation des goûts qui serait en question.

Quelles sont, in fine, les composantes indispensables pour qu'un aliment rencontre le plus grand consensus ?

Il s’agit là d’une question délicate, qui mérite de prendre en considération le point de vue selon lequel on se place. S’il s’agit d’un industriel, la tendance pourrait être de dire que l’aliment le plus "neutre" en termes de goût sera celui qui aura la valeur marchande la plus universelle… S’il s’agit du consommateur, c’est naturellement à titre personnel qu’il jugera de l’aliment qui a la valence la plus positive sur son humeur et qui lui donnera le plus de plaisir, tel le chocolat ! Sans rentrer dans les polémiques actuelles des traités transatlantiques, le constat est que les Canadiens aiment bien nos fromages, à tel point qu’ils en imitent plusieurs ! Mais que vaudrait un Roquefort qui n’aurait pas été produit dans notre belle région ? Une réflexion à méditer, pour ne pas perdre le caractère de nos si beaux produits.

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