Vétocratie et identitarisme : les deux racines de la "très grave crise politique" que traversent les États-Unis selon Francis Fukuyama, l’homme qui avait proclamé la victoire définitive de la démocratie libérale<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Pour Francis Fukuyama, l'Amérique vit une de ses crises politiques les plus graves. Dans une interview donnée au site Vox, il évoque non seulement le phénomène Trump mais également les problèmes structurels et institutionnels de la démocratie américaine.
Pour Francis Fukuyama, l'Amérique vit une de ses crises politiques les plus graves. Dans une interview donnée au site Vox, il évoque non seulement le phénomène Trump mais également les problèmes structurels et institutionnels de la démocratie américaine.
©Reuters

Système bloqué

L'intellectuel américain, renommé pour sa thèse sur "la fin de l'Histoire", analyse les problèmes structurels et institutionnels de la démocratie américaine.

Francis Fukuyama est un des intellectuels américains les plus importants de sa génération. Propulsé dans l'imagination populaire par sa fameuse thèse sur la "fin de l'Histoire", publiée à la fin de la Guerre froide, il a depuis écrit des livres encensés sur des sujets aussi divers que les liens entre la culture et l'économie, les relations internationales et le transhumanisme.

Et pour Francis Fukuyama, l'Amérique vit "une des crises politiques les plus graves que j'aie vue." C'est ce qui ressort d'une longue interview donnée à Ezra Klein du site Vox, où il évoque non seulement le phénomène Trump mais également les problèmes structurels et institutionnels de la démocratie américaine.

L'électorat Trump

D'abord, Fukuyama n'est pas le premier à se rendre compte de la source du phénomène Trump, qui se manifeste d'une autre manière dans de nombreux mouvements populistes en Europe : la classe ouvrière autochtone frappée de plein fouet par les avatars de la mondialisation que sont la désindustrialisation et l'immigration de masse.

L'intérêt de son analyse est qu'elle pointe la relation symbiotique entre la colère de la classe ouvrière blanche américaine et la montée d'une politique "identitaire" de gauche, qui valorise les minorités. "On a vu le Parti démocrate devenir un parti identitaire. Il a rassemblé ces nombreuses catégories—les gays, les Afro-Américains, les Hispaniques."

Si la colère de la classe ouvrière blanche américaine a des causes économiques, elle ne peut pas être réduite à cela non plus. Mais cela ne veut pas dire non plus qu'on peut la réduire au "racisme". Comme le dit son interlocuteur, qu'il approuve, "j'ai l'impression qu'il nous faut une catégorie dans la conversation pour quelque chose qui n'est pas tout à fait du racisme, mais est clairement une anxiété liée à des changements de population. Je crois que beaucoup de gens ressentent quelque chose qui n'est pas ce que nous appellerions du racisme à proprement parler, mais une inquiétude profonde par rapport à leur place dans la société, qui est liée à la race."

Un thème qui est repris dans le livre-sensation de la période Trump, Hillbilly Elegy, du jeune auteur JD Vance, qui est une autobiographie d'un homme qui a grandi précisément dans cette classe ouvrière blanche ignorée des élites depuis des décennies, s'en est sorti, mais dont la famille est dévastée par le chômage et l'addiction. Les "hillbillies", ce sont la classe ouvrière blanche, d'origine écossaise et irlandaise, qui s'étend du Sud au Midwest, et a trouvé des emplois d'abord dans les mines puis dans l'économie industrielle de l'après-guerre, et se retrouve maintenant à la dérive, à la fois économiquement et socialement.

"La communauté où j'ai grandi est devenue vraiment déconnectée des institutions du travail et de la famille, et ça l'a rendue extrêmement pessimiste. Ils se sont déconnectés, mais sont également devenus très pessimistes par rapport à leur capacité à influencer leurs propres décisions de vie. […] Il y a aussi, bien sûr, ce problème économique grave qui touche les communautés de la classe ouvrière. Ce phénomène macroéconomique a lieu, mais il y a également cette déconnection culturelle et sociale", explique-t-il dans une interview.

Pour Fukuyama, la solution pour éviter le poison de l'identitarisme est de parler de classe et pas de race, et de trouver des politiques publiques qui permettront à tous les Américains, blancs, noirs et hispaniques, de la classe ouvrière, d'avoir un meilleur avenir.

La "vétocratie"

Mais selon Fukuyama, le problème est plus large que celui de Trump et des gens qu'il représente. Pour lui, le problème institutionnel de l'Amérique est ce qu'il appelle "la vétocratie". Le système américain est conçu pour donner à énormément de corps du gouvernement un pouvoir de véto. Donc rien ne se fait, et les problèmes s'aggravent.

"Pendant la majeur partie du 20ème siècle le système fonctionnait relativement bien, parce que les grands partis avaient beaucoup de points en commun. Et donc, les grandes lois […] étaient propulsées par une coopération entre républicains et démocrates. Mais beaucoup de choses ont changé, y compris la polarisation entre les partis au Congrès et dans la société en général, et la montée des lobbies", explique-t-il.

Il propose donc de réduire les points de véto, de réduire le pouvoir des lobbies et d'augmenter le pouvoir de l'exécutif.

Certains Américains répondraient que la multiplicité des vétos est justement la vertu du système, et que le problème du manque de responsabilité des dirigeants politiques est justement provoqué par trop de concentration de pouvoir. C'est pour cela que le sénateur Mike Lee de l'Utah, leader intellectuel au Sénat de la droite américaine, a proposé des réformes qui visent au contraire à rendre son pouvoir d'initiative au Congrès, qu'il concède très souvent à l'exécutif ou aux autorités administratives. Les membres du Congrès, ne voulant pas être responsables devant leurs électeurs, bottent en touche en donnant les pouvoirs de décision à l'exécutif et à l'administration. De même, selon lui, une raison de la frustration des électeurs est que, dans une nation à taille continentale de plus de 300 millions d'habitants, le pouvoir est de plus en plus concentré dans la capitale à Washington, au lieu d'être décentralisé, ce qui rendrait les élus locaux plus responsables devant leurs électeurs. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !