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Monopoles en protection sociale : Valls bloquera-t-il les frondeurs ?
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Décision

Les monopoles dans le domaine de la protection sociale complémentaire, et tout particulièrement dans le domaine de la prévoyance d’entreprise (un marché de plusieurs milliards), doivent-ils survivre ? C’est ce que propose des amendements déposés par 61 parlementaires (des frondeurs et des radicaux de gauche) au PLFSS 2017. Après l’échec de l’opération en commission des affaires sociales, le dossier revient dans l’hémicycle.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Dernière sortie avant une nouvelle majorité

On comprend bien l’obstination des monopoles et de leurs partisans. La remise en cause de la décision du Conseil Constitutionnel du 13 juin 2013 sur ce sujet devient urgente. Selon toute vraisemblance, le changement de majorité de plus en plus probable en 2017 rendra extrêmement compliqué un abandon d’un dispositif imposé jurisprudentiellement à partir de 2013.

Le PLFSS 2017 est la dernière possibilité juridique de sécuriser des monopoles qui vacillent.

Les frondeurs sortent la grosse Bertha

En commission, les amendements dont on parle ont fait l’objet d’un faible soutien et n’étaient déposés que par trois députés. Nous notons à notre malicieuse satisfaction qu’à la suite de notre article fleuri et graveleux sur les conflits d’intérêt dans ce dossier, le député concerné a fait machine arrière, n’a pas défendu son amendement en commission, et a appelé du renfort.

On trouve désormais dans les signataires du texte le gratin de la Fronde : Jean-Marc Germain, Pascal Cherki, Christian Paul, entre autres.

Un amendement fragile juridiquement

Sur le fond, la valeur juridique continue à ne pas attendre le nombre de soutiens.

L’amendement propose en effet de réintroduire, en prévoyance, un mécanisme de désignation pudiquement rebaptisé "mutualisation", ce qui ne veut rien dire. Il consiste à autoriser les branches à imposer deux assureurs au lieu d’un et à laisser choisir les entreprises de la branche entre ces deux assureurs désignés. Pour les députés, cette procédure serait garante de la liberté contractuelle défendue par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 13 juin 2013.

Reste que, si les députés sont si sûrs de leur fait, on voit mal pourquoi ils réservent la désignation au marché de la prévoyance et en excluent la santé. Les deux marchés sont pourtant soumis au même droit. Cette hésitation montre bien l’incertitude qui les taraude.

Le Conseil d’Etat a mis sa patte sur le sujet

Toute la question est de savoir si oui ou non les députés sont en retard d’une guerre en matière juridique. Depuis la décision du Conseil constitutionnel, il y a un peu plus de trois ans, la jurisprudence des cours souveraines (sauf celle de la Cour de Cassation pour des raisons qu’il faudra bien exposer un jour) a en effet évolué en profondeur, et ne sépare plus aussi aisément la liberté contractuelle (qui prévoit qu’une entreprise ne peut se voir imposer un contrat d’assurance par une branche) et la liberté d’entreprendre (qui doit supprimer toute restriction au libre choix de l’assureur par l’entreprise).

La décision du Conseil d’Etat du 8 juillet, dans une affaire concernant AG2R, en application d’une décision préjudicielle de la Cour de Luxembourg, a en effet rappelé de façon explicite que les contrats de branche portent régulièrement sur plusieurs centaines de millions €, et que ce qu’on appelle désignation ou "mutualisation" constitue en fait un abus de position dominante :

dans son arrêt C-437/09 du 3 mars 2011, la Cour de justice de l’Union européenne a estimé que si AG2R Prévoyance devait être regardée comme une entreprise exerçant une activité économique en tant qu’elle gère le régime de remboursement complémentaire de frais de soins de santé du secteur de la boulangerie artisanale française, ce qui est vérifié en l’espèce, elle détiendrait un monopole sur une partie substantielle du marché intérieur (…)

Dans ces conditions, le Conseil constitutionnel validera-t-il un amendement qui est tout sauf évident juridiquement ?

Le faux argument de l’égalité de traitement entre salariés

Pour justifier cette entorse au droit de la concurrence, les députés partisans du monopole invoquent l’égalité de traitement entre tous les salariés dans la branche. La liberté contractuelle de l’entreprise ne doit pas nuire à cette égalité, et donc, il faut réserver le droit d’imposer des contrats d’assurance uniques pour toute une branche.

Cet argument constitue bien entendu une posture et un faux nez. On voit mal en effet pour quelle raison cette logique s’arrêterait à la seule prévoyance. Pourquoi ne pas l’étendre à la santé, à l’épargne retraite, puis aux salaires, etc. ? Tout le débat est ici de savoir si une branche peut interdire que les entreprises de son secteur se fassent ou non concurrence sur le contenu du contrat de travail et sur l’exécution de celui-ci.

Là encore, les députés s’exposent au risque de lire, sous la plume des Sages, le rappel d’un principe simple : la liberté d’entreprendre inclut la liberté de convenir d’un contrat de travail sans entrave autres que les limites (déjà importantes) fixées par la loi. Sans quoi, la branche pourrait imposer une politique unique de ressources humaines, ce qui serait outrepasser ses droits.

La solidarité et la mutualisation au secours du monopole

Sur ce point, les députés ne reprennent pas ici clairement, mais suggèrent seulement, la fin du raisonnement habituel tenu par les relais de l’opinion monopolistique. L’entorse au droit de la concurrence se justifierait par le besoin de "mutualiser" le risque dans la branche, et donc d’éviter une anti-sélection. Sans mutualisation, les partisans du monopole soutiennent que les entreprises qui présentent un mauvais risque ne trouveront plus d’assureur pour les assurer.

Ce grand classique du bonneteau paritaire vise bien entendu à entretenir la grande peur française face à la liberté d’entreprendre.

Elle dissimule des calculs sordides. Au nom de cet argument, c’est évidemment un autre mécanisme qui s’impose. En imposant des contrats de branche avec un tarif unique, c’est la start-up et ses jeunes salariés solides qu’on veut faire payer pour le grand cabinet de conseil qui pousse ses quinquagénaires au burn out. C’est le petit cafetier du coin à qui on demande de payer pour les dos en compote des employées d’Accor et de ses grands hôtels. C’est le petit garagiste du coin qui va payer pour les gueules cassées de l’équipement automobile.

Là encore, au nom de la mutualisation et de la solidarité, ce sont les employeurs qui ménagent leurs salariés, qui paieront pour ceux qui les exploitent.

Les frondeurs, amis du grand capital

On ne dit pas assez, ici, que la solidarité mise en avant par les partenaires sociaux largement financés par les assureurs monopolistiques constitue d’abord une défense en bonne et due forme d’un système injuste où les puissants exercent leur hégémonie sur les petits.

Les bénéficiaires des monopoles sont en effet, à 90%, des groupes de plusieurs milliards qui ont la capacité d’imposer des techniques de mutualisation défavorables aux petits acteurs, et favorables aux gros. Désignés par des accords de branche, ils savent que le montage global du système dans les branches est conçu pour favoriser les grands comptes, et faire financer leur déficit par les "petits".

Une fois de plus, on retrouve le bon ménage entre les principes de solidarité et la défense du grand capital.

Valls évitera-t-il une déculottée devant le Conseil constitutionnel ?

Reste à savoir si Manuel Valls s’opposera à cet amendement et prendra la sage décision de lui tordre le cou. Dans le cas contraire, il s’expose au risque d’une censure par le Conseil constitutionnel qui ajoutera au désordre politique ambiant. Ce luxe, le gouvernement peut-il se l’offrir ? Rappelons que le Conseil connaît bien ce dossier, et qu’il sera difficile pour lui de valider une tracasserie nouvelle imposée aux entreprises au nom d’un mauvais argument.

Cet article a initialement été publié sur le blog d'Eric Verhaeghe

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