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Départs en cascade à la CPI : les institutions mondiales nées après 1945 en pleine crise de légitimité
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Après le Burundi et l'Afrique du Sud, la Gambie s'apprête elle aussi à se retirer de la Cour pénale internationale. Une décision qui s'inscrit dans la perte de légitimité croissante de cette institution ainsi que de toute la galaxie onusienne. Reste à savoir si l'ordre mondial serait vraiment déstabilisé en cas de désertion continue des instances internationales.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Atlantico : Après le Burundi et l'Afrique du Sud, la Gambie s'apprête elle aussi à se retirer de la Cour pénale internationale, faisant notamment valoir une inégalité de traitement entre les pays africains et les pays occidentaux. Qu'est-ce que cela dénote de la légitimité de cette institution ?

Alexandre del Valle : La Cour pénale internationale était assez légitime au début, puisque contrairement aux Tribunaux pénaux internationaux de La Haye créés ad hoc pour l'ex-Yougoslavie ou le Rwanda – tribunaux peu légitimes car ils étaient parties prenantes et à charge –, elle était beaucoup plus objective et était censée traîner n'importe qui devant les tribunaux. Le problème, c'est que comme toute organisation internationale, elle ne fonctionne que par le pouvoir que lui donnent les États qui adhèrent. Dès lors que ces États membres contestent sa légitimité ou s'en retirent, elle devient beaucoup plus faible.

Par ailleurs, dès sa création, la Cour pénale internationale a connu de grandes déceptions. La Russie n'a pas signé, les États-Unis non plus, etc. Des pays ne voulaient pas voir leurs dirigeants traînés devant les tribunaux après des guerres telles qu'en Irak, certains ont signé mais n'ont pas ratifié, etc. Tout cela fait qu'elle n'a pas un poids universel – elle ne l'a jamais eu –, et qu'elle est de plus en plus illégitime, car pratiquement uniquement des chefs d'État africains ont été condamnés.

Il ne faut pas confondre la CPI avec les TPI pour l'ex-Yougoslavie ou le Rwanda, qui n'avaient pas le cachet d'un traité international. Ces tribunaux étaient un peu à charge. Pour l'ex-Yougoslavie, le sultanat du Brunei, la Ligue islamique mondiale, Georges Soros et d'autres finançaient l'opération : on était assez loin d'un tribunal objectif. La CPI était donc plus légitime que ces cours ad hoc, mais malheureusement les États ne veulent plus être parties prenantes.

Quels étaient les objectifs de l'Onu lors de sa création en 1945 ? Où en sommes-nous aujourd'hui dans la réalisation de ces objectifs ? Quel est le cheminement qui nous a amené à la dégradation de la légitimité des institutions onusiennes ?

En 1945, le but de l'Onu était d'instaurer un ordre mondial essayant de limiter au maximum la violence et les guerres dans la politique internationale, et d'instaurer une sorte d'harmonie universelle de concertation suite au drame de la Seconde Guerre mondiale et aux nationalismes qui avaient défiguré l'Europe. Certains disent qu'il y avait un objectif sous-jacent de gouvernance mondiale. Certains accusent même l'Onu d'être à l'origine d'un projet mondialiste. 

L'Onu s'est vite heurtée à des obstacles. Premièrement, alors que cette organisation internationale devait donner une perspective de monde multipolaire, ce sont les Occidentaux qui détiennent les clés du système. L'Onu est restée pilotée par les cinq grands membres permanents du Conseil de sécurité (Chine, Russie, France, Royaume-Uni et Etats-Unis) et la part du gâteau n'a pas été élargie : l'Inde, le Brésil etc. sont toujours exclus. Deuxièmement, le droit international, notamment porté par l'Onu, et les décisions de l'Onu en matière de maintien de la paix (interventions militaires en vertu du chapitre 7 de la charte des Nations unies) ont été considérées comme orientées uniquement dans le sens des intérêts des Occidentaux. Les pays du tiers monde ont reproché à l'Onu d'être univoque. 

Les rares décisions qui ont été prises par l'Onu en matière de maintien de la paix et d'utilisation de la violence ont été au profit des pays membres permanents du Conseil de sécurité. C'est une organisation qui a donc été considérée soit comme trop occidentalo-centrée, soit comme injuste puisque ne profitant qu'aux Etats puissants. 

Quelles seraient les conséquences d'une perte de légitimité de l'institution internationale suprême et de ses différentes déclinaisons ?

L'Onu a déjà perdu toute crédibilité : les interventions militaires qu'elle permet sont souvent détournées, comme on l'a vu en Irak et en Libye et le Conseil de sécurité est monopolisé par les 5 grands depuis 1945. En revanche, le Conseil de droits de l'homme, l'Unesco et l'Assemblée générale, dominés par des Etats non occidentaux, sont aux antipodes. Il y a donc d'un côté les cinq grands, qui ont une vision plutôt impérialiste du monde, et de l'autre, le monde multipolaire, les émergents. Cette institution est totalement divisée : des deux côtés, la représentativité de l'institution est contestée. 

Par ailleurs, l'Assemblée générale comme l'Unesco votent de plus en plus de résolutions extrêmement violentes envers les Occidentaux. La dernière résolution de l'Unesco concernant Jérusalem est assez ubuesque car elle a été motivée par les pays islamiques de l'Organisation de la conférence islamique dans une logique d'effacement de l'identité juive de Jérusalem au profit d'une vision purement islamique, qui veut s'accaparer les lieux saints. L'Onu est donc l'objet de convoitises et de rivalités entre pôles de civilisations opposés, notamment l'Occident et le reste du monde, mais aussi entre les grandes puissances et entre les civilisations. 

Finalement, l'Onu ne s'est imposée qu'à des petits États, à l'instar de la Cour pénale internationale où il y a aujourd'hui un déficit total de légitimité et même de justice auquel s'ajoutent des problèmes de cacophonie et de divisions internes. 

Cela engendrerait-il forcément selon vous un déséquilibre et une instabilité de l'ordre mondial ?

L'ordre mondial ne serait pas vraiment plus instable dans la mesure où l'Onu n'a jamais vraiment réussi à empêcher ni les génocides ni les grands carnages. Son efficacité en matière de maintien de la paix est extrêmement manifeste, donc ça ne changerait pas grand-chose. Il y aurait un peu moins d'hypocrisie, on reviendrait au pouvoir souverain des nations et on abandonnerait le mythe de la gouvernance mondiale, qui malheureusement n'a jamais existé. Ceux qui la voulaient, notamment les Etats-Unis au sortir de la Seconde Guerre mondiale, souhaitaient surtout légitimer avec un vernis humanitaire un leadership, sinon une hégémonie américaine. Cette organisation ne représente plus grand-chose, n'est pas compétente pour véritablement empêcher les guerres et elle apparaît totalement injuste. Si elle disparaissait cela ne changerait pas grand-chose politiquement. En revanche, pour les opérations humanitaires pures elle est très utile et efficace. 

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