Pendant que la Jungle de Calais est démantelée, les habitants de la place Stalingrad à Paris souffrent de moins en moins en silence <!-- --> | Atlantico.fr
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Depuis mai 2015, des centaines de migrants se sont installés sous l'arche du métro Stalingrad. Il y a des tentes par centaines, des matelas devant les portes des commerçants. Impossible d'accéder au siège de la Sécurité sociale : du linge sèche partout.
Depuis mai 2015, des centaines de migrants se sont installés sous l'arche du métro Stalingrad. Il y a des tentes par centaines, des matelas devant les portes des commerçants. Impossible d'accéder au siège de la Sécurité sociale : du linge sèche partout.
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Crise des migrants

Depuis presque deux ans, des centaines de migrants se sont installés sous l'arche du métro Stalingrad. Une situation qui pousse de plus en plus d'habitants du quartier à exprimer leur colère. Rencontre avec l'une d'entre eux.

Marie Léon

Marie Léon

Marie Léon est journaliste et riveraine du quartier des Flandres à Paris.

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Atlantico : Vous habitez aux alentours de la station Stalingrad, dans le 19e arrondissement de Paris. Depuis quelques années, votre quartier connaît des difficultés. Décrivez-nous votre quotidien.

Marie Léon : Depuis mai 2015, des centaines de migrants se sont installés sous l'arche du métro Stalingrad. Ce phénomène n'a eu de cesse de s'amplifier, le campement progressant jusqu'au bout de l'avenue de Flandres. Il y a des tentes par centaines, des matelas pourris devant les portes des commerçants. Impossible d'accéder au siège de la Sécurité sociale : du linge sèche partout. Aujourd'hui, cela s'étend jusqu'au canal Saint-Martin…
Notre quotidien c'est ça : se lever pour aller au travail, et ne pas pouvoir se rendre au métro certains jours, ou, quand on y va, subir les odeurs d'urine et plus. Il y a de l'agressivité, de plus en plus souvent – à mon avis, et je ne suis pas la seule à le penser, montée par les associations dites humanitaires. Je peux comprendre certaines choses, mais on n'a plus d'empathie aujourd'hui. Nous vivons dans un arrondissement très très modeste, et la plupart des gens se débrouillent pour vivre avec dignité. C'est un mot qui revient souvent ici, celui de dignité : les riverains trouvent cela assez choquant de voir ces gens toute la journée, quand bien même ils comprennent leur situation. Il faut dire que beaucoup de gens dans le quartier ont eux aussi fui leur pays. Il y a des Asiatiques, des Africains, des Indiens… qui essayent de se débrouiller, et se débrouillent dans l'ensemble très bien. Ma rue, c'est le monde entier. Eux sont choqués. Et particulièrement par rapport à la situation économique de la France : ils ont l'impression qu'il y a une espèce d'installation de plus en plus difficile à supporter. 

Quand vous sortez de chez vous, et que malgré le passage quotidien des services de propreté de la Mairie de Paris, il y a des matelas partout, que le sol est jonché de crasse, d'ordures, et qu'on voit ces gens assis dans des flaques, en train d'écouter la musique à fond sur les portables que leur ont donnés les associations… On vous interpelle pour vous demander de l'argent, et quand vous êtes une femme, un peu plus… 

Voilà le quotidien depuis un an et demi, et c'est pire depuis juillet. À chaque fois qu'il y a une évacuation, les associations agressent la police, tentent de nous monter contre la police et de nous faire manifester, les migrants sont évacués… mais trois heures après, ils sont de retour. 

En dehors de cela, il y a les commerçants. Je connais tout le monde, j'habite ici depuis 9 ans. Ils en ont assez de la crasse, ils essayent d'obtenir une action des pouvoirs publics. Ce que je vois, c'est que la plupart d'entre eux envisagent aujourd'hui de fermer. Parce que plus personne ne vient. Les gens ont peur de la gale et de la tuberculose. Plus personne ne rentre dans le centre d'analyse médicale, les gens plus jeunes sont perturbés, ne comprennent pas. Les gens veulent travailler, et en sont empêchés…

J'avais participé à un collectif anti-crack il y a quelques années, qui s'était occupé de la situation désastreuse qu'avait provoqué la présence de nombreux drogués dans le quartier. A l'époque on avait gagné. Puis les riverains sont partis, et on a dissous l'association. Mais ce n'est rien par rapport à ce qu'on connait aujourd'hui. 

La situation a-t-elle particulièrement évolué depuis juillet 2016 ?

En juillet, ils étaient 1600. La police les évacuait régulièrement, et cela continue aujourd'hui, mais ce sont les gendarmes, du fait des événements liés à la police en ce moment. En septembre, je n'en ai pas cru mes yeux, ils étaient partout ! Comprenez-moi, j'adore ce quartier, car quand ce quartier va bien, c'est un quartier super, avec des commerçants très gentils, avec des habitants chaleureux qui viennent partout, avec le Canal de l'Ourcq, avec des cinémas, un théâtre… 

Aujourd'hui on n'a plus rien, on n'a plus de touristes… ils commençaient à venir, mais c'est terminé. Je crains aujourd'hui pour le quartier une catastrophe économique.

Que font aujourd'hui les pouvoirs publics, mairie d'arrondissement, de Paris, associations ?

La mairie de Paris ? Anne Hidalgo s'en fout. Elle vient ici de temps en temps au 104 [ndlr : lieu culturel du quartier] pour assister à un événement en voiture blindée. Le maire du XIXe est quelqu'un de très gentil, mais je crois que le pauvre est totalement dépassé par les événements. Je les ai rencontrés, ils ne savent pas quoi faire, ils ne sont pas aidés. Ils nous envoient des lettres régulièrement. J'en ai reçu une hier dans laquelle il expliquait que les habitants sont tellement à bout que ça va mal finir. Et ça va mal finir. J'ai été abordée plusieurs fois dans la rue par des habitants qui ont monté une association car ils n'en peuvent plus. Ils ont été reçus à la préfecture de Police avec un tel dédain et un tel mépris que certains d'entre eux ont littéralement pété les plombs. Les gens ne supportent plus. Fermez-les yeux et imaginez-vous un instant. Vous avez là, devant vos fenêtres, cent tentes Quechua, des urinoirs, des saletés, des gens qui dorment, qui hurlent, qui écoutent leur musique.

Que demandez-vous aujourd'hui ?

On aimerait tous que ça se termine. Retrouver notre quartier comme avant. Quand les gens nous disent "oui, mais qu'est-ce qu'on va faire d'eux ?", comme me l'a dit mon fils, j'ai envie de dire : "nous, on souffre et on a rien demandé". Les migrants, c'est le problème des politiciens, des ministres, du gouvernement. Nous on subit tout ça de plein fouet. On veut bien être humain, on l'a tous été au début. Mais maintenant, on veut qu'on nous reconnaisse, qu'on nous écoute, et qu'enfin on mette fin à cette situation.

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