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Peur sur Acapulco : la Mecque du tourisme mexicain est devenue le théâtre d'une sanglante guerre des taxis
©Losvideosmas.net/YouTube

Cartels

Les cartels de la drogue sont en guerre et frappent partout. A Acapulco, ces jours-ci, ils abattent même des chauffeurs de taxi qui ne les paient pas ou qui travaillent pour des gangs rivaux.

Creede Newton

Creede Newton

Creede Newton est journaliste pour The Daily Beast.

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Copyright The Daily Beast - Creede Newton

ACAPULCO, Mexique – Des coups de feu retentissent derrière l'un des hypermarchés Walmart d'Acapulco, non loin de mon hôtel. Des bruits étrangement étouffés, au cours d’une nuit chaude et pluvieuse de septembre. En quelques minutes, les assaillants ont disparu, le camion-restaurant garé à proximité ferme à la hâte et les officiers de police isolent la scène du crime.

Un autre chauffeur de taxi est mort.

"Beaucoup d'entre nous ont été tués récemment", dit un jeune chauffeur de taxi de 19 ans. Nous l’appellerons Rigoberto, car il a trop peur de voir son vrai nom publié. "Nous avons peur. S'ils nous demandent de l'argent, qu’est-ce qui se passe si nous ne l'avons pas ?".

Environ 20 chauffeurs de taxi ont été tués cette année à Acapulco, selon les médias locaux. Peut-être plus. Il n'y a aucun suivi complet des décès, et le syndicat local des taxis n'a pas répondu à une demande de commentaire.

Il existe plusieurs types de taxis à Acapulco. M. Gonzalez possède l'une des nombreuses Volkswagen Coccinelle bleues des années 1970 qui cliquettent en montant et descendant l'avenue Costera Miguel Alemán, qui longe les plages à couper le souffle de la baie de Santa Lucía, celles qui lui ont permis de devenir l'une des stations balnéaires les plus célèbres du Mexique au cours des décennies passées.

Ces taxis sont communément appelés "tortugas" en espagnol (tortue), ce qui montre leur âge. Parfois, l'eau de la rue éclabousse à travers le plancher, souvent la poignée extérieure de la porte ne fonctionne pas, le conducteur doit ouvrir de l'intérieur et l'air conditionné est un rêve lointain. Un trajet coûte généralement 40 pesos, soit un peu plus de 2 dollars.

Mais c’était le chauffeur d'un taxi blanc, légèrement plus moderne (datant peut-être de la fin des années 1980) et un peu plus cher, qui a été abattu derrière le Walmart. 

Du 31 août au 3 septembre, trois chauffeurs ont été tués et quatre blessés après des attaques près de l'avenue La Costera Miguel Alemán.

Quel est le motif ? Le procureur général de l'État de Guerrero, Javier Olea Peláez, attribue le nombre élevé de ces meurtres de chauffeurs de taxi à deux causes quelque peu contradictoires.

Début septembre, Olea a dit que c’était parce que les chauffeurs ont refusé de payer une rançon sans accuser aucune organisation.

L’extorsion de fonds est à l’origine du problème selon le procureur. "Les chauffeurs de taxi ont refusé systématiquement de payer et nous avons déjà arrêté un groupe de rançonneurs", a-t-il dit au quotidien Milenio.

En juillet, cependant, il donnait une version différente. Olea avait dit que les chauffeurs ont été visés parce qu'ils livraient des médicaments pour les cartels et donnaient des informations à des tueurs sur les lieux fréquentés par leurs cibles et leurs déplacements.

"Voilà le problème. Peut-être que quelques chauffeurs travaillent avec le crime organisé, mais quand une station de taxi est attaquée, des gens qui ne sont pas impliqués sont blessés. Vous ne pouvez faire confiance à personne. Vous ne pouvez pas non plus faire confiance à la police".

En 2015, la région du Guerrero était la plus violente des 32 entités fédérales du Mexique pour la troisième année consécutive avec un taux de meurtres de 57 pour 100 000 habitants, selon le département d'Etat américain. 

En avril, le Département d'Etat a interdit aux employés du gouvernement américain de se rendre à Acapulco.

La réaction du gouvernement du président mexicain Enrique Peña Nieto est une stratégie de "cheville ouvrière'', semblable à celle qui a fait tomber les cartels de Medellín et de Cali en Colombie, selon un rapport de 2013 préparé pour le Congrès américain.

Mais la stratégie, qui consiste à capturer ou à tuer la tête d'un cartel ayant des responsabilités moyennes ou élevées n'a pas été un succès au Mexique, affirme le rapport.

Arrêter les patrons du cartel des jeux d'argent a fait éclore des groupes dissidents aussi violents mais moins organisés. Cela "a créé plus d'instabilité et, au moins à court terme, plus de violence", dit le rapport, qui estime que les enlèvements au Mexique ont augmenté de 188% de 2007 à 2012, les vols à main armée de 47%, et l'extorsion de fonds de 101%.

La même tendance est toujours vraie aujourd'hui : on voit que la violence impitoyable et souvent folle des cartels a atteint tous les aspects de la vie et tous les coins de la société. Vous pouvez n’avoir aucun rapport avec les barons de la drogue et découvrir tout d’un coup que votre chauffeur de taxi est leur cible.

The Daily Beast  a raconté en mars dernier comment la violence des cartels avait débordé dans les zones touristiques d'Acapulco. L'article avertissait que "la violence qui a sévi pendant des années dans les favelas comme à la périphérie de la ville a, désormais, atteint  les plages touristiques du centre-ville".

La nouvelle habitude d’attaquer les chauffeurs de taxi qui transportent les vacanciers dans les zones touristiques prouve que les cartels ont complètement oublié la frontière qui séparait les touristes et les habitants.

En conséquence, la répression qui dure depuis des années s’est étendue.

Des policiers très militarisés sont visibles dans toute la ville d’Acapulco. Sur l'avenue San Miguel Alemán, des soldats en tenue de camouflage avec de gros fusils d'assaut sont constamment en patrouille. Il y a des checkpoints à tous les carrefours le long de l'avenue.

Selon les chercheurs de l'Open Society Foundation (OSF), une coalition d'associations qui soutiennent la démocratie et les droits humains à travers le monde, cela peut ne pas être une bonne chose.

Un rapport d'OSF intitulé Broken Justice in Mexico’s Guerrero State a constaté que les acteurs fédéraux et étatiques travaillent de manière incontrôlée.

L'exemple le plus choquant de bavures policières de la police, qui a fait les manchettes de la presse internationale, a été, en 2014, la disparition et l’assassinat des 43 étudiants du collège des enseignants en milieu rural d’Ayotzinapa qui avaient réquisitionné des bus pour assister à une manifestation à Iguala.

"Selon les autorités fédérales, des membres d'un gang de la drogue, les Guerrero Unidos, auraient abattu les étudiants, qui leur avaient été livrés par la police, ou selon d'autres sources, ce sont les policiers de l’Etat qui ont eux-mêmes fait disparaître les étudiants", dit le rapport.

Cela a été corroboré par un rapport de l’Inter-American Commission on Human Rights sur le Mexique.

Eric Witte, l'un des chercheurs d'OSF qui ont travaillé sur le rapport Justice Broken, a déclaré au Daily Beast que la situation "est terrible dans l’Etat du Guerrero maintenant. Et il est également difficile pour les citoyens de trouver de l’aide au niveau fédéral".

Les 606 pages du rapport de la CIDH concluent que le gouvernement mexicain a saboté sa propre enquête sur cette disparition de masse. Le rapport a même suggéré que les autorités fédérales et les cartels ont travaillé ensemble.

Witte approuve. Il dit qu'il y a des cas évidents de collusion dans des affaires "qui n’ont jamais été résolues. Ils les ont laissé pourrir".

À certains égards, le gouvernement américain doit partager le blâme. En vertu de ce qu'on appelle l'Initiative Mérida, depuis 2008, le Mexique a reçu plus de 2 milliards $ d'aide pour lutter contre la guerre de la drogue. Une grande partie a été utilisée pour armer la police et les forces militaires qui sont en partie impliquées dans les abus.

En 2015, le Département d'Etat a supprimé 15% de l'aide de l’année, près de 5 millions $, destinés à la défense des droits de l'homme, selon le Los Angeles Times. Cette année, tout le budget a été rétabli.

Witte dit que l'aide a été restaurée "même s'il y a des abus généralisés des droits de l'homme que certains considèrent même comme des crimes contre l'humanité. Les Etats-Unis ont une longue et fâcheuse habitude d'encourager le Mexique à adopter des mesures contre-productives".

La situation est tellement détériorée que le chercheur de l’OSF ne croit pas que les réponses puissent actuellement être trouvées au Mexique. "Pour les citoyens qui veulent que justice soit faite pour ces crimes, nous pensons que la solution passe par la participation temporaire d’enquêteurs et de procureurs internationaux", ajoute Witte.

Rigoberto, l'adolescent chauffeur de taxi, dit qu'il va continuer à conduire. "C’est une réalité, ici c’est dangereux. Mais je n’ai pas d’autre choix. On ne m'a pas encore rançonné... pas encore".

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