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Risque de nouvelles législatives en Espagne, menace persistante du référendum italien  : l’Europe du Sud est-elle encore gouvernable ?
©Reuters

Ça craint un peu là...

Aussi bien la réunion du comité fédéral du Psoe ce dimanche que le référendum italien du 6 décembre constituent un double risque : pérenniser l'ingouvernabilité de l'Espagne et de l'Italie, et envoyer des signaux négatifs à Bruxelles et aux marchés.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Ce dimanche doit se tenir un conseil fédéral du Psoe en vue de décider de l'abstention ou non du parti lors du prochain débat d'investiture devant permettre à Mariano Rajoy de devenir chef du gouvernement espagnol et éviter ainsi de nouvelles élections législatives. D'autres pays européens présentent des difficultés politiques à l'instar de l'Italie qui doit tenir un référendum visant à changer les institutions en décembre prochain. Comment expliquer que ces pays peinent à avoir une dynamique de gouvernement qui parvienne à s'imposer ? 

Christophe BouillaudChaque pays a bien sûr ses spécificités, mais il faut bien constater que l’ordre électoral et politique a été bouleversé dans ces deux pays par la crise économique qui y a été particulièrement forte depuis 2008. Les forces politiques traditionnelles restent certes dominantes dans l’électorat, mais elles ne sont plus capables de former une majorité parlementaire, et bien plus encore, d’incarner une majorité sociologique.

En Espagne, le quasi-bipartisme (Pp/Psoe) est affaibli : le Pp résiste, certes bien mieux que le Psoe, mais il ne réussit plus à convaincre qu’une grosse minorité d’électeurs espagnols – d’où les tractations avec le parti libéral Ciudadanos pour former une majorité gouvernementale, et la nécessité d’obtenir l’abstention des députés du PSOE pour investir ce gouvernement minoritaire au Parlement.

En Italie, le Pd (Parti démocrate) de Matteo Renzi est majoritaire à lui seul à la Chambre des députés, mais il doit compter sur des alliés au Sénat, élus sur les listes de la droite berlusconienne en 2013. Le Pd est en plus maintenant très divisé en interne entre partisans et adversaires de la réforme constitutionnelle – ou pour le dire plus simplement entre alliés et adversaires de Renzi. Surtout, aucun parti ou coalition de partis ne peut prétendre actuellement en Italie incarner la majorité sociologique du pays.

De fait, en Espagne et en Italie, la crise économique a fait trop de perdants pour qu’un bloc qui représenterait une majorité de gagnants puisse encore se former sans difficulté, et, en même temps, les perdants sont tellement divisés – régionalement par exemple – qu’il est presque impossible de les regrouper, sauf évidemment sur une question référendaire… 

Quelles sont les conséquences en interne de telles situations politiques pour les pays concernés ? Quel impact cela a-t-il à l'échelle de l'UE ? 

La situation est différente entre les deux pays. En Italie, le gouvernement de Matteo Renzi a pu mettre en œuvre son programme depuis les débuts de 2014. En Espagne, celui de Rajoy doit se contenter d’expédier les affaires courantes depuis sa défaite aux premières élections espagnoles. De fait, sur le plan économique, il est piquant de noter que l’Espagne semble être repartie de l’avant. Le très haut de chômage atteint au plus fort de la crise et les réformes du marché du travail engagées par le gouvernement Rajoy ont réussi à faire s’écrouler la rémunération des Espagnols, et donc à rendre le "site Espagne" très compétitif, que ce soit pour l’industrie ou le tourisme. La "dévaluation interne" a donc réussi – même si les Espagnols vivent en moyenne moins bien qu’avant 2007, et si le pays n’a pas retrouvé le Pib de l’époque. En Italie, malgré les réformes de Matteo Renzi, précédées d’ailleurs par celles des gouvernements Monti (2011-2012) et Letta (2013), rien ne se passe : l’économie est atone, et elle ne repart décidément pas, restant encalminée à moins 10% de son plus haut point. Cet écart tend d’ailleurs à prouver que les gouvernements ne peuvent pas tout : les structures de long terme d’une économie et d’une société comptent aussi. La crise italienne est une très longue histoire qui commence sans doute dès les années 1970…

A l’échelle de l’Union européenne, il est probable que les autres dirigeants anticipent désormais que Rajoy va rester à son poste et que Renzi a de fortes chances de perdre le sien en décembre prochain. Du coup, la situation ne doit pas leur paraitre si mauvaise : le gêneur Renzi, qui a critiqué depuis 2014 l’austérité poussée par l’Allemagne et ses alliés, va bientôt quitter la scène, et le bon élève de l’austérité Rajoy restera à gouverner l’Espagne pour quelques années encore. La preuve sera donc faite qu’il n’existe qu’une "one best way" en Europe. Le parti Podemos n’aura en plus pas réussi à changer la donne, tout comme son allié Syriza d’ailleurs en Grèce. Ce genre de calculs paraitra sans doute juste à court terme, mais il néglige que, dans les deux pays,  surtout en Italie, on observe la montée en puissance de partis tenant un discours anti-européen, et aussi de faiseurs d’opinion hostiles à cette façon-là de gérer l’Europe. Pour l’instant, la droite italienne n’a pas totalement choisi son camp de ce point de vue, mais cela pourrait arriver le jour où Silvio Berlusconi doit arrêter toute vie politique. Je me demande aussi ce qui se passera le jour où l’Europe exigera du futur gouvernement italien qu’il sacrifie les petits porteurs des banques italiennes au nom de l’Union bancaire, ou qu’il accepte la vente du secteur bancaire à des opérateurs étrangers.

Comment la vie politique de ces pays est-elle amenée à évoluer ? Risquent-ils de devenir chroniquement ingouvernables ? Quels risques cela comporte-t-il à terme ?

Le caractère gouvernable ou non d’un pays dépend  beaucoup à court terme, tout au moins, de son mode de scrutin.

De fait, si Matteo Renzi gagne son référendum et s’il peut appliquer la loi électorale qu’il a conçue et fait voter par le Parlement, l’ "Italicum", l’Italie deviendra aussi gouvernable qu’elle ne l’a jamais été. En effet, dans cette éventualité, le chef d’un seul parti, même disposant d’une faible majorité relative dans l’électorat, disposera de presque tous les pouvoirs – sauf changer la Constitution. Et s’il perd, je parierai que les députés et sénateurs de son actuelle majorité sauront le remplacer pour pouvoir finir leur mandat qui s’achève en 2018.

En Espagne, si Rajoy réussit à être de nouveau investi, avec l’abstention des socialistes, son gouvernement pourra durer là aussi des années.

Cependant, à terme, ce genre d’évolutions risque d’éloigner de plus en plus la majorité politique de ce que j’appelle la majorité sociologique. En Italie, l’explosion de l’abstention biaise de plus en plus le scrutin en faveur des plus de 45/50 ans, alors même que la jeunesse est la partie de la population la plus touchée par la crise économique. Pourra-t-on encore parler de "démocratie" si seule une grosse minorité de gens, satisfaits du statu quo, vote,  et  ainsi fait et défait les majorités politiques?  

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