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Et bientôt des pizzas vendues par Facebook : les Gafa finiront-ils en un conglomérat écrasant la concurrence de tout autre acteur économique ?
©Wikimedia Commons - Scott Bauer

Ils gagnent (encore) du terrain...

Facebook vise désormais à faciliter la vie de ses usagers en leur permettant de réserver une table ou de commander un plat sur la page d'un restaurant. Un service en apparence utile et pratique, mais qui pourrait faire perdre toute visibilité aux acteurs refusant de devenir dépendants du réseau social.

Jean-Gabriel Ganascia

Jean-Gabriel Ganascia

Jean-Gabriel Ganascia est professeur à l'université Pierre et Marie Curie (Paris VI) où il enseigne principalement l'informatique, l'intelligence artificielle et les sciences cognitives. Il poursuit des recherches au sein du LIP6, dans le thème APA du pôle IA où il anime l'équipe ACASA .
 

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Atlantico : Facebook a récemment fait part de sa volonté de mettre en place un service permettant de commander des plats depuis la page du restaurant concerné, de réserver des billets pour un événement sur la page associée, etc. Si ces applications Facebook semblent utiles de prime abord, ne risquent-elles pas pourtant de rendre les petits commerces de plus en plus dépendants de grands acteurs pour exister ? À quoi pourrait ressembler un monde où les acteurs économiques les moins imposants ne pourraient survivre qu'en utilisant les services de géants comme Facebook face à une enseigne de restauration ?

Jean-Gabriel Ganascia : La mise en place de ce type de service apparaît, dans un premier temps, comme destinée à faciliter la vie quotidienne. Quoi de plus commode que de commander son repas directement de chez soi avec un agent conversationnel qui, non seulement connaîtra les goûts, les habitudes et les moyens financiers de chacun, de façon à les satisfaire au mieux, mais sera aussi en mesure d’aider tout un chacun à formuler ses désirs en fonction de la situation, par exemple du nombre d’invités impromptus et de leurs régimes alimentaires, voire éventuellement de faire des suggestions judicieuses…

Ce qui est problématique dans ce contexte tient à ce que cet agent intelligent choisira, ou tout au moins conseillera, le restaurant. Or, ce choix ne se fera pas uniquement en fonction de critères de proximité géographique, mais aussi, en fonction de la plus ou moins grande proximité des restaurants avec la société Facebook…À cela, il faut ajouter que Facebook utilisera certainement les retours utilisateurs de ses réseaux sociaux pour vous conseiller telle ou telle enseigne. Il s’ensuit que, très rapidement, la société Facebook sera en mesure, à l’aide de toutes les données qu’elle aura récoltées à partir des choix de ses utilisateurs et des recommandations qu’ils auront formulées, soit de racheter les réseaux de restaurants de proximité les plus populaires, soit d’orienter les clients et de mettre ces réseaux sous sa dépendance. De ce fait, nous risquons de voir un nouveau segment de l’économie, jusque là relativement indépendant, soumis à des acteurs du numérique.

L'exercice auquel nous venons de nous adonner constitue-t-il réellement un exercice d'anticipation où s'agit-il en vérité davantage de description ? Dans quelle mesure ce monde est-il d'ores et déjà le notre ? Quel en est l'impact en matière de concurrence et de choix du consommateur par exemple ?

Soulignons que le projet de Facebook n’est pas nouveau. En juin dernier, la société Apple avait fait part de son intention de développer un assistant virtuel nommé Viv qui devait prendre la relève de Siri et aller au delà de la simple reconnaissance vocale, pour devenir un agent conversationnel intelligent très développé et capable d’aider à commander une pizza. Pour cela, il était dit que l’agent en question ferait appel à des techniques d’apprentissage profond (Deep Learning) sur de très grandes bases d’apprentissage. Nulle doute, aujourd’hui, que ce type de dispositifs ne relève plus uniquement de la science fiction ; d’ailleurs, les projets en cours chez les grands acteurs de l’Internet se développent de plus en plus. Nous avons cité Apple et Facebook. Nous savons qu’Amazon avait développé il y a quelques années le système "Echo" destiné, lui aussi, à échanger et dialoguer depuis le salon familial. Quant à la société Microsoft, elle a mis en service l’agent conversationnel Tay qui a défrayé la chronique il y a quelques mois. Or, cet agent, doté lui aussi de capacités d’apprentissage, avait très certainement des objectifs semblables.

Ce qui est en jeu ici, c’est un modèle économique dans lequel l’agent conversationnel devient une porte ouverte vers tous les commerces. Plutôt que de taper des requêtes sur moteur de recherche lorsque le client souhaite un renseignement sur un produit, il se contentera de demander à son confident virtuel, qui le conseillera et l’orientera. Les industriels qui auront mis au point ces logiciels auront alors un poids considérable, puisqu’ils deviendront les interlocuteurs obligés de tous les commerces. Soulignons que l’économie subira une mutation majeure, puisque le commerçant qui, jusqu’ici, pouvait soit être autonome, soit dépendre du producteur, deviendra maintenant un opérateur du numérique généraliste. C’est donc tout le modèle économique du commerce qui risque de basculer à l’avenir.

Comment parvenir à bloquer les Gafa (et autres géants comparables) dans leur "quête du graal" ? De quel arsenal économique ou législatif disposons-nous pour nous protéger contre ce phénomène ?

Nous pouvons craindre ici que les grands acteurs du numérique, ceux que l’on appelle parfois les Gafa (Google, Apple, Facebook, Amazon) ou les Natu (Netflix, AirBnB, Tesla, Uber) se taillent la part du lion dans cette reconfiguration de l’économie du commerce, puisque tout laisse penser qu’ils deviendront les intermédiaires obligés pour tous. Or, il n’existe pas aujourd’hui de législation qui permette d’empêcher ces évolutions. Il faudrait certainement trouver des lois qui empêchent de devenir des médiateurs indispensables dans toutes les transactions commerciales lorsqu’on n'est pas soi-même un producteur. Toutefois, ceci paraît extrêmement difficile, car toute la grande distribution s’est bâtie sur ce modèle même si, jusque là, elle ne passait pas par le numérique. Bref, il paraît aujourd’hui quasiment impossible de bloquer ces évolutions pour nous protéger.

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