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S'il n'y avait que le manque de moyens... Pourquoi les policiers se sentent trahis par le gouvernement comme par leurs syndicats
©Reuters

Après le terrorisme

Actuellement secouées par un mouvement de ras-le-bol généralisé suite à diverses agressions, les forces de l'ordre tentent tant bien que mal d'accomplir leurs missions, même si leur employeur - l'Etat - s'est rendu coupable de plusieurs erreurs de gestion ces dernières années.

Bruno Beschizza

Bruno Beschizza

Bruno Beschizza est conseiller régional d'Île-de-France, élu en mars 2010 en Seine-Saint-Denis et Secrétaire National de l'UMP à l'emploi des forces de sécurité.

Avant 2010, il était commandant fonctionnel de Police, secrétaire général du syndicat Synergie-Officiers.

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Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

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Atlantico : Suite à l'agression de quatre policiers le 8 octobre par un jet de cocktail Molotov à Viry-Châtillon, des manifestations spontanées de policiers ont eu lieu à Paris et à Marseille. Ils réclamaient notamment plus de moyens et d'effectifs ainsi que des mesures urgentes pour travailler en sécurité. Concrètement, à quoi ressemble le quotidien des policiers aujourd'hui ? A quelles difficultés sont-ils confrontés ?

Xavier Raufer : Avant tout, les policiers sont victimes de leur ministre et de son entourage, peu compétents et persuadés que tout passe par la communication. Depuis janvier 2015 et la séquence Charlie Hebdo- Hyper Casher, rien n'a été réglé sur le fond. A l'époque, la France n'avait pas de vrai service antiterroriste, mais un service de contre-espionnage chargé en prime de l'antiterrorisme, ce qui est tout différent. Aujourd'hui, rien n'a changé. Comme en janvier 2015 ni plus ni moins, tout conflue vers une coordination nommée UCLAT, qui compte en réunion - tenez-vous bien - 22 services et entités autour de la table. Une telle machine ne peut que faire de la pêche au chalut. 

Quelles ont été les erreurs commises par le gouvernement actuel dans la gestion des forces de police ?

Xavier Raufer : Opérant par grandes masses, la police est incapable de pratiquer la microchirurgie, seule décisive pour trier quelques dizaines de "bombes humaines" à la Merah-Kouachi-Abdeslam, d'un magma de milliers de radicalisés. D'où l'engagement de toujours plus d'hommes dans l'antiterrorisme ; d'où leur épuisement et le fait que le front des cités hors contrôle comme la Grande Borne à Grigny-Viry Chatillon, là où des voyous ont tenté de brûler vifs des policiers, est forcément dégarni. Telle est la genèse de la situation présente.

Bruno Beschizza : Je pense que la première erreur, c’est d’avoir beaucoup promis sans beaucoup faire. On parle souvent des effectifs, mais l'idée de départ de notre côté était claire : moins d'effectifs de police mais mieux considérés et mieux rémunérés. Nous l’avons fait. Soyons clairs, le problème n’a jamais été les effectifs. D’autant que la mise en place du dispositif d’optimisation opérationnelle permettait à notre pays de bénéficier de 4000 équivalent temps-plein de policiers en plus.

La seconde erreur, ce sont les tâches indues. Que ce soit pour la protection des sites sensibles, l’accompagnement des prévenus devant le juge, le transport de détenus, la rédaction de procédures, la prise de procurations pour les élections, etc. Toutes ces missions qui ne relèvent pas du cœur de métier de la Police nationale, les policiers n’en peuvent plus. Un policier, ce n’est pas une nounou, ce n’est pas une assistante sociale ou un greffier. J’observe à cet effet que le ministre de l’Intérieur actuel ne semble pas l’avoir compris et demande toujours plus aux policiers. Les annonces de hausse d’effectifs ne sont par ailleurs pas suivies d’effet sur le terrain. Chacun peut le constater.

Concrètement, sur Aulnay-sous-Bois, nous avons donc 35 policiers nationaux qui sont partis en mutation au 1er septembre 2016. Alors que les communes renforcent leurs polices municipales, les effectifs de policiers nationaux fondent comme neige au soleil. Il y a une paupérisation rampante de l’institution Police nationale en elle-même qui fait qu’aujourd’hui, par exemple, la Ville d’Aulnay-sous-Bois est obligée de fournir 4 véhicules à son commissariat de secteur, assurance et essence compris !

À cette erreur commune s'ajoute aujourd’hui une faute dont seule la gauche est responsable. C'est le sentiment d'abandon que ressentent nos policiers. Une conséquence logique du triptyque Taubira que j’ai toujours dénoncé avec un laxisme judiciaire, une impunité institutionnelle et une culture de l’excuse permanente. Nous n’avons pas de zone de non-droit en France, mais les policiers de notre pays observent en revanche qu’il y a des territoires de non-loi car la justice ne passe plus. Des voyous sont remis dehors le jour même par des juges après avoir été pris en flagrant délit. Ce délitement de l’Etat, ce renversement des valeurs, voilà la grande erreur de ce quinquennat où le policier a l’impression que le voyou qu’il interpelle n’a rien à craindre. Je l’affirme : demain, la peur doit changer de camp.

Pour Jean-Luc Taltavull, du Syndicat des commissaires de la police nationale, "la menace terroriste, par effet de priorisation, a conduit au désinvestissement de la présence policière dans les quartiers". L'approche du gouvernement, qui a pu se limiter à une augmentation des effectifs là où le risque d'attentat était le plus fort, n'a-t-elle pas trouvé ses limites ?  

Xavier Raufer : Bien sûr. Si l'on crée - et on y viendra - un service antiterroriste ramassé, agile, sachant détecter la menace à temps - le facteur temporel est ici crucial - on libère des milliers de policiers aujourd'hui mobilisés dans l'antiterrorisme qu'on peut réaffecter à la sécurité des cités hors-contrôle. Car là est le seul problème. Prenez les actes de violence perpétrés dans des établissement d'enseignement : les plus graves adviennent systématiquement près de ces cités coupe-gorge. Idem pour les tentatives d'homicides de policiers. Or, dans ces quartiers, le gouvernement ignore la sécurité et radote sur une "politique de la ville", aussi efficace en matière de sécurité qu'un cataplasme sur une jambe de bois.

"Face à une hiérarchie carriériste, des élites syndicales enlisées dans leurs conflits et une justice complètement désintéressée par notre sort, nous devons nous souder. Entre bleus".  Dans quelle mesure cet extrait du SMS envoyé par plusieurs policiers et largement relayé, qui a permis le rassemblement sur les Champs-Elysées, met-il en évidence la rupture du lien entre syndicats et police ? 

Bruno Beschizza : Je crois qu’il s’agit plutôt là d’une radicalité de la base qui s’exprime dans toute organisation quelle qu’elle soit. Les syndicats de police ont cette particularité d’être beaucoup plus représentatifs que dans d’autres corps. Le taux de participation aux élections syndicales est de plus de 70%. Cela fait relativiser ceux qui disent comme Jean-Christophe Cambadélis que dans cette manifestation, il y a la "patte" du Front national. Ce propos est injurieux pour nos policiers et montre une fois de plus que la gauche n’aime pas la police.

Je rappelle par ailleurs qu’en janvier 2016, les policiers étaient applaudis par la population. Aujourd’hui, on les brûle vivants dans leur véhicule, on les tue à leur domicile. Nos policiers ne demandent qu’à fournir le meilleur d’eux-mêmes, mais ils demandent la légitime protection de leur patron qui est l’Etat.

La rupture, donc, est plutôt entre le gouvernement et les policiers. Nos policiers ne croient plus aux annonces ministérielles. Ils en ont marre. Ils l’expriment. Pour la droite, le défi est d’être crédible face à nos policiers avec des mesures exemplaires. Il faut faire des propositions concrètes et arriver à donner un nouveau sens au métier de policier. Sans cela, la rupture sera totale. 

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