La Pauvrophobie, dernière invention en date de ceux qui s’attaquent aux symptômes et jamais aux causes<!-- --> | Atlantico.fr
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La pauvreté est bien une réalité effrayante lorsqu'elle n'est pas choisie. Cette banalisation du phénomène, cette façon de réclamer une tolérance vis-à-vis de la pauvreté et des pauvres me paraît à double tranchant et manquer un peu de réflexion.
La pauvreté est bien une réalité effrayante lorsqu'elle n'est pas choisie. Cette banalisation du phénomène, cette façon de réclamer une tolérance vis-à-vis de la pauvreté et des pauvres me paraît à double tranchant et manquer un peu de réflexion.
©Reuters

Néologisme

ATD Quart Monde propose d'introduire dans le langage commun le mot de "pauvreté", afin de lutter contre les discriminations que provoque l'état de misère. Si l'intention paraît bonne, on peut se demander si les effets seront aussi positifs en matière de lutte réelle contre la pauvreté.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Atlantico : L'association ATD Quart Monde, qui lutte contre la misère dans le monde, a mis en place un néologisme, "pauvrophobie", pour désigner la discrimination que subissent les populations du fait de leur situation sociale. Le terme de "pauvrophobie" venant s'ajouter à la longue liste des nouvelles "phobies", en quoi une telle vision du problème conduit à se détourner du problème réel de la pauvreté ?

Eric Verhaeghe : Il fut en effet une époque pas si lointaine où l'objectif collectif était de lutter contre la pauvreté. Les politiques publiques affichaient une ambition : éradiquer la misère. L'invention du mot "pauvrophobie" constitue un cap : on ne cherche désormais plus à combattre la misère, mais on l'accepte comme une donnée et on cherche simplement à aménager une coexistence satisfaisante avec elle. Cette évolution en profondeur est un signe des temps. L'ambition sociale que nous avions à une époque, que la société dans son ensemble avait à une époque, est bel et bien passée. Il ne reste désormais plus qu'un horizon collectif : accepter la misère et ne plus en avoir peur. Il faut d'ailleurs ici mesurer ce qu'ATD Quart Monde nous fait passer comme message : il ne faut pas avoir peur de la pauvreté. C'est curieux. En soi, la pauvreté est bien une réalité effrayante lorsqu'elle n'est pas choisie. Cette banalisation du phénomène, cette façon de réclamer une tolérance vis-à-vis de la pauvreté et des pauvres me paraît à double tranchant et manquer un peu de réflexion. On se surprendra en tout cas à voir qu'ATD Quart Monde oeuvre aujourd'hui pour instaurer une sémantique qui vise à banaliser la misère et à l'intégrer à notre langage quotidien, même si c'est sous une forme bienveillante.

N'est-il pas également contre-productif d'enfermer la pauvreté, phénomène pouvant être temporaire, dans une notion de phobie bien plus structurelle, comme peut l'être la xénophobie, l'homophobie, etc. ? 

Là aussi, un peu de sémantique n'est pas inutile. La multiplication des "phobies" reconnues comme telles par la société française montre bien l'état d'hystérisation dans lequel nous vivons aujourd'hui. La société française est déboussolée et elle a peur. Disons même qu'elle a peur de tout. La phobie est devenue une sorte de pilier incontournable de notre organisation collective. La société française passe son temps à parler de ses phobies et à chercher à les maîtriser. C'est un peu comme si les Français étaient placés dans un processus de psychanalyse permanente, comme si nous étions tous sur un divan, à parler de nous, de notre moi, de notre surmoi, de nos peurs, de nos angoisses. Au fond, la France est entrée dans une phase étrange d'effondrement narcissique, qui la fait se détester et se mettre sous surveillance permanente. Progressivement, il ne sera plus possible d'exprimer la moindre pensée critique sans être accusé d'être phobique du fait ou de la personne dont on parle. Et vous avez raison de souligner le glissement de sens. D'ordinaire, la phobie désigne une structure psychique qui a peur de situations structurelles. La pauvrophobie est une extension de sens injuste. En réalité, elle laisse croire que la pauvreté est une trappe dont on ne sort jamais. Elle nourrit l'idée que la pauvreté est un état contre lequel on ne peut rien, et auquel on n'échappe jamais.

En quoi cette question de "pauvrophobie" est-elle également à nuancer du point de vue des pauvres eux-mêmes ? Dans quelle mesure une telle approche pourrait conduire, en partie, à une déresponsabilisation, en enfermant les "pauvres "dans une position exclusivement victimaire ?

Là aussi, vous avez raison. La notion de pauvrophobie fait abstraction des causes de la pauvreté. Autant, dans le cas de l'homophobie ou de la xénophobie, les victimes ne portent guère de responsabilité dans le rejet dont elles font l'objet, dans le cas de la pauvrophobie, la situation est plus complexe. Cela ne signifie pas que la pauvreté soit un choix ou le résultat d'une stratégie des pauvres eux-mêmes. En revanche, tous les pauvres ne font pas l'objet d'une stigmatisation, et tous ne portent pas sur eux les stigmates de la pauvreté qui permettent de les identifier. En outre, quoiqu'on en dise, dans la pauvreté, il existe souvent une part de choix. Je mets ici à part les situations d'exception, comme les migrations ou les accidents de la vie, et je prends les situations de pauvreté dans leur ensemble. La pauvreté peut être le produit de comportements individuels non contraints. Laisser croire qu'ils sont uniquement le résultat du regard des autres est évidemment très contre-productif, dans la mesure où il ne facilite pas l'identification des causes de la pauvreté. Là encore, on voit bien que la sémantique prépare une déresponsabilisation des individus.

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