Urgence sur les urgences : y aura-t-il enfin quelqu’un pour traiter la crise aigüe des médecins hospitaliers ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les hôpitaux sont des structures publiques, gérées par l'État de façon centralisée. Ce management s’est de plus en plus éloigné d'un management humain auquel on devrait pourtant s'attendre dans une structure qui repose sur l'humain.
Les hôpitaux sont des structures publiques, gérées par l'État de façon centralisée. Ce management s’est de plus en plus éloigné d'un management humain auquel on devrait pourtant s'attendre dans une structure qui repose sur l'humain.
©Reuters

Démission collective au CHU d’Avignon

La moitié du service des urgences de l'hôpital d'Avignon a déposé sa démission, invoquant une dégradation des conditions de travail. Le symbole est fort et met en lumière la crise à laquelle l'ensemble du secteur hospitalier français est confronté.

Frédéric Bizard

Frédéric Bizard

Frédéric Bizard est professeur d’économie à l’ESCP, président de l’Institut de Santé et auteur de « L’Autonomie solidaire en santé, la seule réforme possible ! », publié aux éditions Michalon.

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Atlantico : À Avignon, 13 des 26 médecins du service des urgences viennent de présenter leur démission à la direction de l'hôpital. Ils mettent en cause une dégradation des conditions de travail, notamment liée aux rabotages économiques ; ainsi que des tensions avec la direction. Ce genre de situation constitue-t-elle un exemple isolé ou s'agit-il à l'inverse d'une menace pour l'ensemble du secteur hospitalier français ? Dans quelle situation se trouvent les hôpitaux de France aujourd'hui ? Peut-on assister à une réaction en chaîne ? 

Frédéric Bizard : Les hôpitaux de France se trouvent aujourd'hui dans une situation de tension sociale croissante. Elle n'est peut-être pas inédite, mais elle reste très préoccupante. Il y a deux semaines, les infirmiers s'étaient mis en grève suite au suicide de cinq de leurs collègues cet été. La semaine passée, les praticiens hospitaliers se sont mis en grève à leur tour pour dénoncer la dégradation de leurs conditions de travail. Il y a là un très grand paradoxe : nous sommes en situation de sur-dépense et de surcapacité hospitalière. Nous dépensons en moyenne 20 milliards d'euros de plus que les autres pays membres de l'OCDE, toutes choses étant égales par ailleurs. C'est donc tout sauf un problème de moyens !

Il y a plusieurs causes à cette situation. Il s'agit avant tout d'un problème de répartition des ressources. On dépense beaucoup trop sur les structures et trop peu sur les hommes. Nous disposons, en matière d'hôpitaux, de 75 millions de m². Nous avons augmenté cette surface de 15 millions de m² en dix ans alors que nous devrions aller vers une réduction des surfaces hospitalières. Concrètement, nous avons soviétisé le système : on conserve de grands hôpitaux, de grandes façades, de grandes surfaces immobilières ; mais on rabote de plus en plus les moyens de fonctionnement de ces hôpitaux. Prenons pour exemple le projet de loi finance de 2017. Ce dernier prévoit 845 millions d'euros d'économies sur les achats des hôpitaux. Concrètement, cela veut dire 505 millions d'euros d'économies sur des les achats tels que la lingerie et la maintenance informatique. Cela sert au quotidien, au confort des malades comme à la qualité du travail des praticiens. Les hôpitaux font face à un archaïsme de leur système informatique très préoccupant. Cela freine et pénalise la productivité du personnel hospitalier. On demande à l'ensemble du personnel hospitalier d'être davantage productif sans leur en donner les conditions. La numérisation des hôpitaux est un levier essentiel pour améliorer cette productivité. L'inadéquation de la stratégie hospitalière, menée depuis vingt ans avec l'évolution de l'environnement est patente. Le nouveau monde nous conduit vers des hôpitaux plus petits, plus flexibles, connectés vers l'extérieur et orientés vers l'ambulatoire. Il n'évolue pas vers les grands hôpitaux généralistes et relativement peu connectés au monde extérieur que nous avions déjà au siècle précédent.

Le deuxième point est propre au management hospitalier. Les hôpitaux sont des structures publiques, gérées par l'État de façon centralisée. Ce management s’est de plus en plus éloigné d'un management humain auquel on devrait pourtant s'attendre dans une structure qui repose sur l'humain. Ces managements sont très technocratiques, très bureaucratiques. Ils découragent et étouffent les initiatives et nivellent par le bas. Il ne manque pas de bonne volonté dans les hôpitaux (aussi bien au sein du corps infirmier que chez les praticiens hospitaliers ou chez les urgentistes), mais ces bonnes volontés sont découragées par le management que nous évoquons. Nous parlons d'un travail humain et psychologiquement très sensible (maladie, mort…). Un cadre de travail hospitalier qui n'est pas particulièrement attentif à l'humain ne peut pas donner des résultats satisfaisants. Or, le management hospitalier actuel est défaillant sur cet prise en compte de l’humain, les hauts fonctionnaires qui l’ont mis en place devraient réfléchir à des solutions mais encore faut-il qu’ils acceptent le diagnostic !

Comment en sommes-nous arrivés à une telle crise ? Quelle part des choses peut être faite entre raisons structurelles et raisons conjoncturelles ?

Sur les causes structurelles, il m'apparait que l'État fait un piètre gestionnaire et un piètre stratège. Il n'a pas su adapter les structures. Je pense que la solution doit être globale : il faut créer une distance entre l'État et la gestion hospitalière au quotidien. Par essence, l'État ne peut pas être un bon opérateur hospitalier. Il est pris entre de de multiples conflits d'intérêt, il n’a pas de vision sur la réforme hospitalière qui serait adéquate et c'est un piètre manager.

Il faut avancer dans le sens de l'autonomie des hôpitaux. Nous l'avons d'ores et déjà fait avec les universités. Il est primordial de rendre ces structures le plus autonomes possible, faire confiance au personnel de terrain. Il faut leur fixer des objectifs (ce qui passe par des contrats d'objectifs et de moyens) et les responsabiliser. Il faut donc les gratifier quand ils surperforment et leur demander des comptes quand ils sous-performent. 

Je suggère de mettre les hôpitaux sous la responsabilité du financeur, qui est l'assurance-maladie. La direction générale d'organisation des soins, qui pilote les hôpitaux, doit être décentrée de l'Etat, placée sous la tutelle de l'assurance-maladie. Cette dernière pilote d'ores et déjà les soins de ville (qu'elle finance largement à hauteur de 63%), mais elle ne gère pas les hôpitaux… qu'elle finance pourtant à 92%. Cela n'a pas de sens. Il est important que l'État se repositionne sur le seul rôle de définition des règles du jeux, de la stratégie, de fixation des objectifs. Il ne peut pas être dans la gestion au quotidien. Il ne peut pas décider, comme il le fait aujourd'hui, de l'organisation d'un service, du choix des hommes… C'est un mélange des genres qui se traduit par le découragement et la déresponsabilisation des acteurs de terrain. Cela ne peut que dégrader les performances de l'institution. 

En ayant conscience des problèmes systémiques du fonctionnement des hôpitaux et de la santé en France, quelles sont les éventuelles réponses qu'il est possible d'apporter ? Comment réformer l'hôpital en France pour éviter un nouveau malaise comparable à celui d'Avignon ?

Il faut commencer par réformer sa gouvernance, ses modèles d'organisation. Il est important également de faire évoluer son financement. Outre l’hôpital, il faut réorganiser les parcours de soin des patients chroniques qui doivent être coordonnés en instaurant une relation contractuelle entre un médecin coordinateur, le patient et l’assurance maladie. L'hôpital ne doit plus être le cœur du dispositif, mais devenir son dernier recours. L'hôpital, en particulier pour les personnes âgées, peut constituer un endroit agressif, voire dangereux. La dégradation des conditions de travail, couplée au malaise social qu'elle entraîne, augmente indéniablement ce risque.

Dire que l'hôpital ne doit plus être le cœur du dispositif ne veut pas dire que l'hôpital doit être dévalorisé. Il faut qu'il se repositionne sur son cœur de métier. Pour le CHU, c'est l'excellence. Nous avons toujours besoin de lieux d'excellence, ne serait-ce que pour ce qu'ils apportent en matière d'innovation. Aujourd'hui, le CHU fait 80% de proximité et 20% d'excellence. Concrètement, cela signifie que nous payons la proximité au prix de l'excellence. Repositionner le CHU sur l'excellence, tant en soins qu'en recherche et en enseignement est indispensable.

Il faut aussi faire évoluer les modèles d'organisation des autres hôpitaux. Ceux-ci doivent, à mon sens, être soit orientés vers l'ambulatoire en chirurgie (structures souples, tournées sur l'extérieur, orientée sur les services) soit être destinés à l’hospitalisation classique avec lits pour la médecine. Il s'agit de gens qui n'ont pratiquement pas besoin de lit : ils viennent généralement se faire opérer le matin et repartent dans l'après-midi. Je pense que le public comme le privé doivent se concurrencer sur l'ambulatoire. Une des forces du système hospitalier français, c'est d'avoir organisé une mixité public-privé des structures dans un esprit de délégation de service public, qu'il faut conserver. Les deux sont complémentaires.

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