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La 3ème Guerre mondiale sera rapide et extrêmement meurtrière… Ce qui se cache derrière les prédictions de cet expert du FBI
©REUTERS/Reuters TV

Temps modernes de la guerre

Les progrès de l'intelligence artificielle permettent désormais de concevoir des armes capables de déterminer elles-même la cible et de prendre la décision de tirer. L'avènement de ces nouvelles technologies d'armement pourrait changer durablement le visage de la guerre.

François Géré

François Géré

François Géré est historien.

Spécialiste en géostratégie, il est président fondateur de l’Institut français d’analyse stratégique (IFAS) et chargé de mission auprès de l’Institut des Hautes études de défense nationale (IHEDN) et directeur de recherches à l’Université de Paris 3. Il a publié en 2011, le Dictionnaire de la désinformation.

 

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Atlantico : Selon les déclarations de plusieurs officiers américains rapportées par site anglo-saxon Daily Mail (voir ici), le visage de la guerre et des conflits pourrait être durablement changé par l'avènement de nouvelles technologies d'armement. Quelles sont ces nouvelles armes et comment sont-elles effectivement susceptibles de transformer les guerres à l'avenir ? 

François Géré : A bien des égards, ces préoccupations ne sont pas récentes. Dès 1990, à l’occasion de la guerre du Koweït, les Etats-Unis ont expérimenté les instruments de guerre électromagnétique qui préfiguraient ce que l’on nomme aujourd’hui la cyberguerre. En une campagne initiale de deux semaines, les Etats-Unis ont pulvérisé les systèmes de défense anti-aérienne de l’Irak et totalement brouillé les communications, les transmissions  et les moyens de commandement d’un ennemi qui avait pris vingt ans de retard.

Une génération plus tard, les progrès de l’intelligence artificielle permettent d’envisager la mise au point d’armes qui déterminent la cible et prennent la décision du tir (Armes létales autonomes). Cette élimination de l’homme pose un double problème d’efficacité militaire et d’éthique. Comment abandonner à une machine le choix d’un objectif à détruire dès lors que celui-ci fera des victimes humaines ? Comment l’automate apprécierait-il les dommages collatéraux ? En outre, si l’homme commet des erreurs, la machine n’en est pas exempte. Une évaluation erronée de la cible pourrait conduire à un résultat tragique.

Les théoriciens militaires américains ont démontré comment pénétrer à l’intérieur du système de commandement ennemi et, le prenant de vitesse, comment toujours anticiper ses décisions tactiques. La numérisation du champ de bataille permet de réussir cela. Cependant, on ne pourra jamais sortir l’homme de la "boucle" ; on ne peut que modifier les conditions de son intervention. Certes le facteur humain est source d’erreur, d’interprétation erronée des données et de fausses manœuvres mais l’homme ne saurait pour autant se fier entièrement aux indications fournies par les automates

Le problème technique qui n’est donc ni politique, ni même stratégique des armées américaines vient de ce qu’elles n’ont pas pu tester leurs armes sur un adversaire disposant de capacités proches de leur niveau. En 2003, l’armée irakienne, très diminuée depuis sa défaite de 1991, n’avait rien de sérieux à opposer à l’attaque américaine. Pour le reste, les opérations d’Afghanistan, dites "conflit de basse intensité", fondées sur la contre-guérilla n’ont pas permis de trouver un ennemi à la mesure des moyens militaires américains. Indifférents aux résultats et aux pertes, les planificateurs américains rêvent d’une "vraie guerre", celle à laquelle ils se préparent et qui pourrait ne pas se produire avant fort longtemps. En effet, aucun pays ne songe à défier une machine surpuissante. La guerre classique se dérobe, cédant durablement la place aux guérillas, aux stratégies indirectes et aux affrontements hybrides comme en Ukraine.

À quoi ressembleraient des conflits mettant en œuvre de tels arsenaux ? Peut-on parler de "conflits extrêmement meurtriers et rapides" ? Que peut changer cette nouvelle nature des conflits ? 

Ce qui change profondément c’est l’art opérationnel, notamment la vitesse et la réactivité. Cela permet de créer la surprise d’une façon nouvelle et de déborder l’ennemi de manière virtuelle sans avoir besoin de mouvements des forces sur le terrain. Mais pour le reste Napoléon reste Napoléon. Le feu est certainement plus meurtrier avec les missiles qu’avec les canons de bronze. Mais à la fin il faut bien passer par l’explosif - très puissant depuis plusieurs années - et la destruction matérielle. La surprise, le secret et la qualité du renseignement conservent leurs vertus. Il n’est pas sûr que ces conflits soient plus meurtriers qu’auparavant et qu’ils durent moins. Les militaires traditionnels veulent toujours croire à la guerre courte, phénomène statistiquement rare. C’est la rapidité du rythme des opérations qui change.

De même pour le guerrier du 21ème siècle le stress de combat change de nature. Les blessures physiques sont moins fréquentes ; en revanche les traumatismes psychologiques liés à la vitesse, à l’angoisse de l’erreur, à la préoccupation de tuer des civils, au remords de l’avoir fait jouent un rôle croissant. Métaphoriquement c’est comme le passage de l’artisanat du 19ème siècle à la chaine taylorienne du 20ème. La fatigue est constante mais les cadences sont devenues infernales. Ce sont les Temps modernes de la guerre. Il nous faudrait un Charlie Chaplin de la guerre pour montrer cela.

Les officiers américains font également état d'un risque de guerre accru, dans les années à venir. Au-delà des intérêts évidents du ministère de la Défense des Etats Unis, de voir ses crédits augmenter, quelle est la réalité de ce risque ? Est-il réellement plus important, notamment, et par exemple, au regard du regain de tension entre la Russie et les Etats Unis ? 

Depuis quatre ans, les militaires américains connaissent d’importantes réductions budgétaires de l’ordre de 10 à 15%. L’armée de terre est la plus touchée, notamment au niveau des effectifs. Le budget de la défense est voté chaque année par le congrès. Il faut donc inlassablement trouver des arguments pour stopper la baisse des crédits, voire obtenir un redressement. Face à la Chine l’armée de terre a été la moins favorisée au profit de ses rivaux l’US Navy et l’Air Force qui ont fait valoir que la confrontation dans les mers de Chine exigeait avant tout des moyens aéronavaux. Fortement affectée par la réduction des forces basées en Europe, l’Army trouve avec le regain d’agressivité de la Russie en Europe et la guerre d’Ukraine une excellente occasion de se retrouver un rôle éminent. C’est aussi pourquoi les déclarations des officiers supérieurs de l’Army suggèrent avec quelque exagération qu’elle devra utiliser ses moyens afin de protéger la marine et les forces aériennes désormais devenues vulnérables aux nouvelles armes des ennemis potentiels. Si les tensions avec la Chine et la Russie se sont aggravées elles n’atteignent pas encore un degré d’agressivité pouvant faire redouter une guerre ouverte et directe dont personne ne veut. En revanche l’Army et ses confrères-concurrents Air, Mer et Cyber, sans oublier l’US Marines n’entendent pas perdre la bataille de la modernisation qui suppose une croissance des crédits militaires, très forte en Russie et en Chine. Depuis la fin de la guerre froide, l’objectif américain demeure de conserver une supériorité sinon absolue du moins très importante sur les capacités de toutes les armées du monde en tirant parti d’une avance technologique décisive. 

Ajoutons enfin que les Etats-Unis sont en phase de transition présidentielle et qu’il est opportun de faire valoir au prochain chef des armées l’urgence des besoins.

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