Cette France si douce aux criminels : quand Kim Kardashian elle-même n'est plus en sécurité, qui d'entre nous peut encore espérer l'être ? La réponse en chiffres<!-- --> | Atlantico.fr
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Banques et commerces sont protégés ? On s'en prend à des individus riches, à domicile. On appelle ça le home-Jacking - dernière victime, Kim Kardashian - crimes dont le nombre explose en France - + 60% en un an dans le Midi.
Banques et commerces sont protégés ? On s'en prend à des individus riches, à domicile. On appelle ça le home-Jacking - dernière victime, Kim Kardashian - crimes dont le nombre explose en France - + 60% en un an dans le Midi.
©Reuters

Derrière le buzz

Le braquage subi par Kim Kardashian dans la nuit du 2 au 3 octobre a exposé aux yeux du monde entier la question de la sécurité sur le territoire français. Et ce alors que les Français se demandent s'il n'existe pas des "zones grises" dans la façon dont sont gérées la délinquance et la criminalité aujourd'hui.

Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

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Guillaume Jeanson

Guillaume Jeanson

Maître Guillaume Jeanson est avocat au Barreau de Paris. 

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Atlantico : La Justice est régulièrement montrée du doigt, pour son incapacité supposée à appliquer les peines prévues pour les délinquants et autres criminels. Quelle est la réalité de la situation sur le terrain ? 

Guillaume Jeanson : Pour traduire la réalité de la situation sur le terrain, il convient de dissocier deux phases :

La première est celle du jugement entrainant une condamnation à une peine.

La seconde est celle de l’exécution de cette peine.

Concernant la première, c’est devenu un poncif de dire que la justice est exsangue. Le bâtonnier de Paris, Frédéric Sicard, a encore une fois tiré la sonnette d’alarme ces derniers jours. Il ressort d’un sondage Ifop commandé par le Barreau de Paris que 69% des Français interrogés estiment que la justice fonctionne mal. Le premier grief formulé est généralement qu’elle est trop lente. Les délais pour être jugés sont devenus tels, qu’en février dernier, le barreau de Seine saint Denis a déclaré vouloir engager la responsabilité de l’Etat en l’assignant devant l’agent du trésor du Tribunal de Grande Instance de Paris. Au pénal, ces problèmes financiers et structurels qui affectent quotidiennement le fonctionnement de la Justice et qui se traduisent concrètement par une pénurie de moyens, de greffiers et de magistrats, ont plusieurs incidences :

Tout d’abord, de nombreuses infractions sont correctionnalisées. La correctionnalisation signifie que des crimes, infractions les plus graves d’après notre code pénal, seront jugés comme de simples délits. 75% des viols sont ainsi jugés en France comme de simples agressions sexuelles. Le violeur qui devrait encourir quinze ans de prison, voit ainsi mécaniquement son plafond de peine théorique rabaissé à cinq ans. En le renvoyant devant le tribunal correctionnel, on évite un procès long et couteux en cour d’assises. La correctionnalisation concerne également, en pratique, de nombreuses affaires de braquages et de terrorisme.

Ensuite, de nombreuses personnes à la dangerosité avérée sont relâchées avant d’être jugées. Parfois les conséquences en sont dramatiques. On pense notamment à l’affaire Agnès Marin au Chambon sur Lignon ou plus récemment à l’assassinat du Père Jacques Hamel. Parfois, si les conséquences sont moins dramatiques, elles n’en demeurent pas moins révoltantes. En mai dernier, la "veuve noire" Fatima Anechad, soupçonnée d’avoir fait disparaître son compagnon, a profité de son placement sous contrôle judiciaire pour fuir la France afin d’échapper à son procès.

Face à cette paupérisation gravissime, l’école de la magistrature forme en ce moment l’une des plus grandes promotions de son histoire et le projet de loi de finances pour 2017, divulgué ces derniers jours, prévoit un accroissement du budget du ministère de la Justice de 300 millions d’euros. Ce dernier passerait donc de 6,6 à 6,9 milliards d’euros entre 2016 et 2017. Bien qu’il mérite d’être souligné, cet effort demeure nettement insuffisant.

Car le problème est encore plus grave lorsque l’on s’intéresse à la seconde phase, celle de l’exécution des peines. Une peine d’amende sur deux est en effet inexécutée, à l’instar de nombreuses peines de travaux d’intérêt général, et les peines d’emprisonnement posent, quant à elles, de sérieuses difficultés.

Il existe aujourd’hui un stock de 90.000 à 100.000 peines de prison ferme – selon le mode de comptabilité employé – en attente d’exécution. A titre de comparaison, en 2014, ce sont 122.000 peines d’emprisonnement en tout ou en partie ferme qui ont été prononcées par les tribunaux français. Déjà en 2002, l’Union Syndicale des Magistrats dénonçait dans un livre blanc, ce qu’elle qualifiait de "justice virtuelle".

Une grosse décennie et quelques rapports d’information parlementaires plus tard, force est de constater que ce problème demeure. Même en l’absence de difficulté particulière, les jugements qui ne sont pas exécutés immédiatement à l’audience mettent en moyenne presque six mois pour être exécutés et seule la moitié d’entre eux est exécutée en moins de quatre mois. Des parquets ont même dû prendre des mesures pour différer ponctuellement la mise à exécution de certaines peines, afin de limiter tant bien que mal la forte densité carcérale endémique.

En 2009, le rapport de l’inspection générale des services judiciaires reconnaissait clairement que "le nombre de condamnations à mettre à exécution à court terme excède largement les capacités d’absorption de l’administration pénitentiaire." Est-ce que la situation est différente aujourd’hui ? A l’aune des chiffres révélés par Pierre-Victor Tournier il y a quelques jours seulement, il est permis d’en douter : au 1er septembre 2016, on compte 13.768 détenus en surnombre dans les prisons françaises et 1.439 d’entre eux dorment sur un matelas posé à même le sol. Alors même que la France affiche un taux d’incarcération de 100 détenus pour 100.000 habitants, c’est à dire un taux bien inférieur à la moyenne européenne qui est de 154 (et 122 en médiane), elle souffre d’une véritable sous-capacité carcérale. Faute d’avoir construit assez de prisons au cours des dernières décennies, ses maisons d’arrêts sont complètement saturées.

Christiane Taubira s’est évertuée au cours de ses quatre années passées place Vendôme à lutter contre ce qu’elle préférait appeler une "surpopulation carcérale", en réduisant les flux entrants (par le recours à la "contrainte pénale") et en accroissant les flux sortants (par le recours à la "libération sous contrainte"). L’échec de la contrainte pénale est patent et désormais bien connu. Celui de la libération sous contrainte l’est presqu’autant. En mai dernier, le Procureur général de Paris, Catherine Champrenault déclarait au Figaro que cette mesure était en effet "chronophage et finalement peu efficace. Fin 2015, seulement 15% des demandes avaient abouti". Elle en déduisait : "Autrement dit, la seule manière de diminuer la surpopulation carcérale, c’est de construire des places de prison. Il faut avoir le courage de le dire, il y a une nécessité sociale à mettre à l’écart ceux qui violent la loi."

L’actuel garde des Sceaux, Jean-Jacques Urvoas, semble davantage que son prédécesseur faire montre d’un tel courage. Dans un élan de pragmatisme, il a annoncé, le 20 septembre dernier, un plan de construction de nouvelles cellules qui pourrait donner lieu, suivant l’estimation la plus haute, à la construction de 17.643 nouvelles places de prison. En gage de sa bonne foi, il a annoncé vouloir faire voter en 2017 une autorisation d'engagement de 1,130 milliard d’euros, sur les 2,5 milliards d’euros estimés en tout nécessaire. Bien que l’histoire de ces dernières décennies conduise parfois à un certain scepticisme en la matière, cette décision mérite d’être saluée et cette démarche encouragée.

Hélas, devant les chiffres énumérés plus haut de détenus en surnombre et de peines en attente d’exécution, il est à craindre que ce plan ne se révèle, une nouvelle fois, insuffisant. La loi votée en juin dernier supprimant les crédits de réduction de peine automatiques pour infractions terroristes, devrait en outre logiquement entrainer une hausse du nombre de détenus dans les années à venir.

Le rapport sur l’encellulement individuel remis le 20 septembre au Parlement précise cependant qu’il faut compter en moyenne dix années, entre l’annonce d’un programme de construction et la livraison des derniers chantiers. D’ici là, ne manqueront certes pas de fleurir des initiatives curieuses, telles que celle de cette PME, Capsa, qui fabrique à partir de conteneurs maritimes recyclés, les cellules du centre de semi-liberté du Pas de Calais, qui sera inauguré en avril 2017. La situation sur le terrain est donc préoccupante.

Dans quelle mesure le braquage de Kim Kardashian est-il révélateur d'une dégradation plus générale de la sécurité en France ?

Xavier Raufer : Je le répète depuis les attentats de Charlie-Hebdo et de l'Hyper Casher : la sécurité en France, qu'il s'agisse du terrorisme ou du crime organisé, est à la dérive. Les exactions se multiplient, au point que désormais, l'anarchie menace.

L'invraisemblable braquage de Kim Kardashian - près de l'Elysée et du ministère de l'Intérieur - le prouve. Et si ce gang armé avait eu un but terroriste ? Comment un tel commando a-t-il pu agir à son aise, durablement et à 3 heures du matin, près des objectifs les plus stratégiques de la capitale - en plein état d'urgence ?

Clairement, le ministre de l'Intérieur, qui prend à jet continu des poses de matamore devant de complaisants journalistes, amuse les bandits, qui frappent à peu près où ils veulent, quand ils veulent. Espérons que les terroristes ne partagent pas leur état d'esprit.

Comment le crime organisé a-t-il évolué en France ? 

Xavier Raufer : Le ministre de l'Intérieur et ses proches comprennent mal le fonctionnement du banditisme, notamment le réflexe premier de tout bandit : l'effet de déplacement. Banques et commerces sont protégés ? On s'en prend à des individus riches, à domicile. On appelle ça le home-Jacking - dernière victime, Kim Kardashian - crimes dont le nombre explose en France - + 60% en un an dans le Midi. Pendant ce temps, l'Intérieur vante ses succès contre les braquages à l'ancienne : on mène la guerre d'hier et non celle de demain.

Contradictoirement, MM Hidalgo et Kosciusko-Morizet ont réagi au braquage de Kim Kardashian, que dire de leurs commentaires ? 

Xavier Raufer : Depuis janvier 2015, la gauche de gouvernement est tétanisée et ne fait plus grand chose - hormis de la communication. Mme Hidalgo, tout pareil. Dans une ville où des meutes de nomades criminalisés pillent au quotidien les touristes, d'abord asiatiques ; ville dont les banlieues sont des coupe-gorge où ces mêmes touristes tombent souvent dans des embuscades, parler d'"acte très rare" est une triste farce. 

Quant à Mme Kosciusco-Morizet, félicitons nous de sa (récente) conversion au réalisme sécuritaire. Voici peu encore, elle paraissait plutôt admirer Mme Taubira - sans doute une échéance électorale approche-t-elle...

L'état dans lequel se trouve la justice française peut-il être un facteur aggravant ?

Xavier Raufer : La France dispose à présent d'une "justice de clodos". Dans maintes prisons, les détenus attrapent des maladies transmises par des rats et des cafards. A Aix-en-Provence, la justice se rend dans des baraques de chantier ou tout comme, le long desquelles pissent des justiciables ayant en vain cherché des toilettes. Ainsi de suite. Depuis 2012, rien d'effectif - sauf les déferlements d'une idéologie gauchiste-culture-de-l'excuse délaissée partout ailleurs dans le monde : nous payons aujourd'hui les années-Taubira. Quant à son ectoplasmique successeur, il promet et lui aussi s'agite - dans le vide.

Cette dérive sécuritaire n'est-elle pas affaire de compétence ?

Xavier Raufer : Longtemps, la fonction publique régalienne française fit l'admiration du monde. Or aujourd'hui, son excellence et son dévouement perdurent dans les corps d'encadrement, mais au sommet (grandes directions, cabinets ministériels, personnel politique), la compétence s'estompe. 

Premier exemple : la criminalité financière des "carrousels de TVA". Pour le ministère des Finances (février 2016) cette fraude coûte à la France de 15 à 17 milliards d'euros par an. Sur 18 pays de l'Union européenne récemment inspectés, notre pays a le 6e taux le plus élevé de fraude TVA (près de 14%) parmi des pays (Italie, Hongrie, Roumanie, etc.) peu rigoureux fiscalement. Normal direz vous : l'infraction est nouvelle, notre administration doit s'adapter.

Eh bien non ! Car voici soixante ans que cette fraude sévit en France. Inventée à Paris, la TVA y entre en vigueur en avril 1954. Or la première méga-fraude à cette taxe nouvelle nait dès 1955 de l'esprit fertile de... Joseph Joanovici (ferrailleur collabo bien connu). Lisons Alphonse Boudard (L'étrange monsieur Joseph) : [Joanovici et un comparse] seront "les premiers à imaginer une escroquerie à notre chère TVA, qui n'est encore qu'un bébé. Il suffit de demander à l'Etat d'exporter à l'étranger de la ferraille récupérée sur place, ce qui entraine le remboursement de la taxe. Or la ferraille n'est pas exportée mais refourguée ici en France. Le détournement ainsi réalisé représente à la fin des années 50 environ 800 millions de francs". 60 ans que la fraude existe, elle coûte des milliards d'euros (TVA sur la taxe carbone) et les directeurs et ministres concernés tombent toujours de la lune à chaque nouvelle arnaque, tandis que (depuis soixante ans) les milliards filent vers les paradis fiscaux.

Dans cette propagation de la criminalité, et ces échecs du gouvernement face au terrorisme, quelle part peut-on attribuer à une lecture idéologique des problèmes d'ordre sécuritaire ?

Xavier Raufer : Autre défaut de nos dirigeants : leur incapacité à oublier la calamiteuse "culture de l'excuse" qui génère d'abord, puis aggrave, la crise criminelle que vit notre pays.  

- Alors que se multiplient les "petits" braquages ; quand chaque jour, partout en France, policiers et magistrats interrogeant de jeunes braqueurs - éberlués d'être arrêtés pour de telles vétilles - les entendent dire "il me fallait de l'argent... je n'arrivais pas à payer mon dealer...", le vol à main armée équivalant désormais au retrait de cent euros au DAB du coin,

- Alors qu'au cœur de Marseille, des trafiquants de drogue s'entre-exterminent à la kalachnikov (plus de 20 morts dans la ville en 2016...),

Voilà à quoi jouent nos élus. Décembre 2013, un député socialiste invite un Diafoirus-sociologue à l'Assemblée nationale, devant sa "mission d'information sur la lutte contre l'insécurité". Sur la navrante pénibilité du métier de... dealer, ce sociologue déclare (prière de lire avec soin). "Le métier de dealer ou guetteur est usant psychologiquement. C’est un métier pénible... Il n’y a ni prudhommes ni syndicats : la régulation du marché se fait par l’intimidation et la violence. Vous subissez la violence psychologique quotidienne, des intimidations, des violences physiques quotidiennes, un risque judiciaire et pénal. Vous subissez toute une série de risques, vous faire voler votre argent, votre drogue, votre marchandise, etc., ce qui produit des effets, pose une pesante contrainte psychologique sur ceux qui revendent (etc.)."

L'honnêteté oblige à dire que de naïfs libéraux ont devancé les socialistes dans la culture de l'excuse. Le père du laxisme français est ainsi Valéry Giscard d'Estaing qui, en 1974, voulait "faire progressivement disparaître de notre législation les dispositifs répressifs... ceux qui datent de ce que j'appellerais le 'gouvernement par la peur".

Quelles mesures faudrait-il prendre pour renforcer la sécurité en France et à quelles politiques, attitudes faudrait-il à l'inverse renoncer ? 

Xavier Raufer : Il ne s'agit ni de peur, ni de dorloter des narcos, mais de rendre à la France sa sécurité. Rappel : selon l'Observatoire national de la délinquance (2015), 568 000 ménages ont été cambriolés l'an passé - 65 par heure, nuit incluse. 38 braquage par jour, 5 par heure (ouvrables). Or la sécurité n'est pas la seule "obligation de moyens". On ne peut se borner à gémir "Tout a été fait... Il n'y a pas de faille... Le risque zéro n'existe pas". Il y a "obligation de résultats", sinon, l'anarchie gagne.

Face à ces périls, d'abord le terrorisme, nos dirigeants ont souvent, hélas, d'étranges priorités. Un ultime exemple. En décembre 2015, la Secrétaire d'Etat chargée de la famille clame dans les médias : Il faut "cesser d'humilier les femmes"... "La peur doit changer de camp". S'agit il de la radicalisation de jeunes filles qui alors s'amorce, prélude à leur dérive terroriste ? Non : la ministre tempête sur une pub pour le liquide vaisselle du BHV. Pub certes graveleuse : "Il faut pomper pour que ça gicle... C'est connu, le plaisir vient en astiquant... Ne pas avaler ? Zut, pour une fois que j'étais d'accord". Mais sincèrement : la secrétaire d'Etat n'a-t-elle que ce chat là à fouetter ? 

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