Mondialisation : la facture économique du déclin des classes moyennes des pays occidentaux est nettement plus salée que prévu<!-- --> | Atlantico.fr
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La mondialisation n'est pas si "heureuse" pour les classes moyennes occidentales.
La mondialisation n'est pas si "heureuse" pour les classes moyennes occidentales.
©Reuters

Effet papillon

La mondialisation est loin d'être aussi heureuse qu'on le prétend parfois. D'après une récente étude du FMI, elle induit une polarisation des classes moyennes occidentales, et donc des inégalités de revenus considérables, qui pèsent sur la croissance de nos économies.

Philippe Waechter

Philippe Waechter

Philippe Waechter est directeur des études économiques chez Natixis Asset Management.

Ses thèmes de prédilection sont l'analyse du cycle économique, le comportement des banques centrales, l'emploi, et le marché des changes et des flux internationaux de capitaux.

Il est l'auteur de "Subprime, la faillite mondiale ? Cette crise financière qui va changer votre vie(Editions Alphée, 2008).

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UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Atlantico : Selon une étude publiée en juin 2016 par les équipes du FMI, la mondialisation des économies aurait eu un effet de polarisation sur la distribution des revenus aux Etats-Unis, augmentant à la fois le poids des hauts et des bas revenus, mais laissant de côté ceux  des classes moyennes. Or, ces classes moyennes ont une plus grande propension à consommer que les revenus élevés. Une situation qui aurait coûté 3 points de consommation aux Etats Unis, soit l'équivalent de 400 milliards de dollars par an. Dès lors, peut-on considérer que le développement des inégalités impacte négativement l'équilibre de la croissance ? Cette situation s’observe-t-elle également en France ? 

Jean-Paul Betbeze : L’étude du FMI qui vient de sortir sur la polarisation des revenus aux Etats-Unis est importante mais, selon moi, partielle. Elle est importante dans la mesure où elle met l’accent sur la polarisation et non les écarts de revenus, ou les inégalités. Une distribution plus polarisée des revenus augmente la part des plus hauts revenus et aussi des plus bas, au détriment de ceux intermédiaires. On a pu parler de "disparition de la classe moyenne" ou, en anglais, de "hollowing out". Mais il faut faire attention à ces expressions extrêmes.

De fait, selon l’étude, la part des ménages ayant des revenus intermédiaires (entre 50% et 150% du revenu médian) est passée de 58% de leur nombre en 1970 à 47% en 2014. 9% des ménages ne sont donc plus dans la classe moyenne. Où sont-ils allés ? Pour la moitié d’entre eux, soit 4,5%, dans la catégorie des hauts revenus (plus de 150% du revenu médian). Ils ont donc "réussi". En revanche, la part des bas revenus (moins de 50% du revenu médian) est passée de 16% à 21,5%. Il y a donc eu dans la période récente, en liaison avec la crise de 2008, une montée des déclassements sociaux aux Etats-Unis. On retrouve d’ailleurs les effets de cette évolution sociale dans la campagne pour les élections présidentielles. Il n’est pas surprenant que cette évolution ait pesé sur la consommation des ménages, donc sur la croissance (mais tel n’est plus le cas).

Cependant, cette étude est partielle. En effet, cette polarisation ne vient pas nécessairement, en tout cas pas uniquement, de la globalisation, mais plutôt de la crise financière et des subprimes. Nombre de ménages, en effet, endettés pour leur maison, ont dû la revendre à perte et, au pire des cas, la voir saisie par leur banque. Leur patrimoine a évidemment chuté, donc leur consommation. Ajoutons les effets de la crise liés à l’évolution des technologies : certains salariés peu qualifiés ont été licenciés et n’ont pas encore trouvé de nouveau travail. Derrière le taux de chômage américain à 4,9%, il y a en effet une baisse de la population active. La politique monétaire de la Fed, en bonne part, prolonge ses taux bas pour réduire autant que possible ce sous-emploi.

Ceci n’est pas le cas français où, malheureusement, ce qui pèse sur la croissance est la persistance du taux de chômage. Elle a évidemment des effets sur l’évolution de la classe moyenne. Mais ceci n’est pas imputable à la baisse des prix du logement (il n’y en a pas eu) ou à des effets de surendettement. C’est la faible croissance de l’économie française qui pèse de tout son poids.

Philippe Waechter : L'étude du FMI constate qu'i y a eu une polarisation des revenus aux USA entre 1970 et 2014. Autrement dit, la part dans le revenu global des ménages payés autour du revenu médian a reculé de façon significative sur la période. D'un peu moins de 50% au début des années 70, la part des revenus de cette classe moyenne est tombée à 35%. Dans le même temps la part des hauts revenus est passée d'environ 50% à 60%. La part des faibles revenus a été quasiment stable sur la période.

Les auteurs font ce constat et en tirent des conclusions sur l'impact macroéconomique de ce changement notamment sur la consommation. Les dépenses globales des ménages ont été plus réduites que celles que ce qui aurait été observé en cas de stabilité dans la distribution des revenus.

A aucun moment les auteurs ne souhaitent expliquer les raisons de ce changement profond. La mondialisation est une explication possible indiquent ils mais ils évoquent aussi des changements sur le marché du travail, la dynamique des innovations, la fiscalité, l'éducation, la structure des ménages ou encore l'immigration. Ils indiquent d'ailleurs que c'est la prochaine étape des travaux à mettre en œuvre. Ils n'ont fait qu'un constat.

Le lien avec la mondialisation peut éventuellement s'opérer via les travaux de Branko Milanovic qui récemment expliquait que la hausse des revenus des pays émergents (principalement la Chine et l'Inde) avait pu se faire en pénalisant les revenus les plus faibles dans les pays développés. C'est la fameuse courbe en éléphant qui a déjà été évoqué dans les colonnes de votre site. Mais les auteurs de l'étude du FMI n'y font pas référence.

Ce qu'indique ce document est que les changements au sein d'un pays dans la distribution des revenus ont un impact fort et durable. Cette question que les économistes orthodoxes ne souhaitaient pas aborder il y a 10 ou 15 ans est maintenant au cœur des développements macroéconomiques et c'est très bien. 

Cette étude nous dit que la classe moyenne a eu moins de moyens pour dépenser tout au long de ces années et que cela a eu une incidence sur le profil de la croissance américaine.

On ne dispose pas d'étude de ce type sur la France et donc il serait hâtif de conclure de la même façon. La dynamique des inégalités a été moins marquée en France qu'aux USA et donc sans données claires sur ce thème on ne peut pas conclure.

Peut-on également considérer qu'une telle baisse relative de la consommation, par rapport à son potentiel, entraînerait également une pression à la baisse sur le développement des prix, et donc des taux d'intérêts ? Peut-on en conclure que cette distribution inégalitaire des revenus peut expliquer, au moins en partie, les anomalies actuelles de l'économie mondiale, entre taux bas et inflation faible ?

Philippe Waechter : Un tel changement pénalise la demande privée et donc modifie l'allure du PIB dans la durée. Larry Summers évoque sur ce point un argument supplémentaire à l'hypothèse de stagnation séculaire et on ne peut pas être en désaccord. La stagnation séculaire pour des raisons liées à la démographie, l'endettement privé et la baisse du prix de l'investissement notamment se traduit par une croissance plus lente qu'auparavant, une inflation plus réduite que ce que l'on avait l'habitude d'observer et en conséquence d'une politique monétaire dont le taux d'intérêt d'équilibre est plus faible. La polarisation des revenus participe à cela.

La distribution inégalitaire explique probablement ces éléments aux USA, il faudrait avoir des études plus exhaustives sur les autres pays développés pour lui donner un poids explicatif aussi important que celui que vous voulez évoquer. Il est encore trop tôt pour le dire mais le papier du FMI ouvre une voie intéressante qui permettrait peut-être de mieux comprendre la dynamique des économies occidentales.

Jean-Paul Betbeze : Selon moi, la source majeure de la faible reprise mondiale est la combinaison de la révolution technologique et de la globalisation. Apple + Chine si l’on veut, à une vitesse telle qu’elle dépasse souvent nos capacités d’adaptation humaine. C’est pour cela que la politique budgétaire a été sollicitée et que la politique monétaire l’est toujours. Les taux bas viennent donc d’une croissance faible, qui entraîne une inflation faible. Dans ce contexte, l’épargne reste élevée, notamment sous une forme liquide. La politique des taux bas réduit les revenus de l’épargne (notamment ceux des plus hauts patrimoines) et pousse les ménages vers la trappe à liquidité. Ceci pèse sur la consommation, à côté du chômage, mais sans doute moins que lui.

Au fond, la polarisation des revenus au détriment de la classe moyenne, en d’autres termes la panne relative de l’ascenseur social, vient largement des difficultés à maîtriser les technologies nouvelles. Pour en sortir, ce sont donc surtout des formations initiales et dans l’entreprise qu’il faut mener.

Comment est-il possible de modifier cette tendance, et ainsi de permettre un rétablissement plus homogène des effets de la mondialisation sur les emplois, et ainsi de revenir à une croissance plus équilibrée, et une normalisation de la situation ? S'agit-il d'un vœu pieux ? 

Jean-Paul Betbeze : D’abord, il faut partir des derniers chiffres américains. Ils montrent une évolution plus favorable, réduisant d’autant cette thèse de la polarisation. Les Etats-Unis semblent en train de sortir de la crise, après y être entrés les premiers (et nous y avoir précipités). Mais, aujourd’hui, regardons ce qui se passe. Le nombre de logements est pratiquement revenu au niveau d’avant crise et leur prix l’a largement dépassé. La population active est en train, peu à peu, de remonter. Les très hauts salaires et bonus, ceux de Wall Street, n’ont pas disparu mais diminué, et surtout sont bien moins nombreux. Viennent les ingénieurs et spécialistes en métadonnées (big data) dont les salaires grimpent régulièrement de 5 à 7% l’an.

Ce qui est nouveau, et très positif, c’est qu’un regain est en train d’apparaître aux Etats-Unis pour les emplois intermédiaires. Entre 2010 et 2013, 20% seulement de ceux qui avaient été créés se trouvaient dans les niveaux de salaires intermédiaires, soit entre 30 000 et 60 000 dollars par an. Désormais, depuis 2013, ce sont 40% des nouveaux emplois créés qui sont dans cette catégorie. William Dudley, le président de la Fed de New York, en vient même à dire que "la marée est en train de se retourner". En chiffres absolus, entre 2010 et 2013, un peu plus de 2,1 millions d’emplois ont été créés dans les deux catégories des hauts et des bas salaires, contre 1,2 million pour les salaires intermédiaires. Entre 2013 et 2015, la situation change du tout au tout, avec 1,5 million de salariés supplémentaires touchant des salaires élevés, 1,6 million des salaires bas et 2,3 millions des salaires intermédiaires. (Federal Reserve Bank of New York : Job Growth in the Region, 2016).

Pour la première fois depuis longtemps, nous voyons ainsi plus de créations d’emplois avec des salaires intermédiaires que d’emplois correspondant à des salaires élevés ou faibles. Bien sûr, il est trop tôt pour en déduire que l’affaiblissement de la classe moyenne est achevé, mais la tendance semble se mettre en place, en liaison avec plus de formation, notamment dans les industries de services : distribution, restaurants, hôtels et santé.

Tout passe donc par la formation et la motivation. La situation s’améliore ailleurs. Il faut voir devant et non derrière, pour les Etats-Unis et plus encore pour nous. Ce n’est évidemment pas un vœu pieux !

Philippe Waechter : Comme je l'évoquais à la première question, de nombreux travaux ont mis en avant cette idée de polarisation au sein de la société américaine. On peut voir aussi en politique une polarisation plus marquée. Cela a souvent été mis en avant dans la campagne présidentielle actuelle.

Parmi les points qui peuvent expliquer ce phénomène sur les revenus, il me semble que les développements de l'économie mondiale ne sont pas neutres. David Autor du MIT met en avant l'impact négatif fort et persistant du choc chinois sur le marché du travail américain et notamment sur les gens peu et moyennement qualifiés. Il me semble difficile de faire machine arrière sauf à se barricader derrière des frontières au risque de se renfermer sur soi et de ne plus être capable de participer à la dynamique globale notamment sur les innovations qui y sont associés (pas seulement sur l'industrie mais aussi sur la santé ou les progrès récents sont phénoménaux mais dont l'origine n'est pas forcément française ou européenne). Le retour en arrière n'est jamais bonne conseillère et c'est pour cela qu'il faut adapter notre économie à ce nouvel environnement car on ne fera pas reculer les chinois et les indiens. A nous, dans les pays développés de développer nos propres capacités dans ce monde ouvert. Il est là le challenge. Il faut s'appuyer sur l'éducation et l'investissement pour gagner en autonomie et être ainsi capable de participer à la dynamique globale. C'est un défi redoutable car il oblige à se remettre en question. Et ne pas le faire, c'est accepter que le monde se développe et croisse sans nous les européens. Ce serait dommage.

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