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Flashback 1994 : si une primaire avait eu lieu au mois de novembre précédant la présidentielle, Édouard Balladur l’aurait gagnée contre Jacques Chirac
©. REUTERS/Charles Platiau

Sondages vintage

Alors qu'Alain Juppé et Nicolas Sarkozy se livrent un duel au sommet dans le cadre de la primaire de la droite, le précédent de 1994 entre Edouard Balladur et Jacques Chirac nous enseigne la subtile différence entre être vainqueur en novembre et être vainqueur en mai.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Atlantico : Alors qu'on assiste aujourd'hui à un duel sondagier entre Alain Juppé et Nicolas Sarkozy, la droite a déjà été animée en 1994-1995 par un duel à portée présidentielle entre deux leaders. Quels étaient les rapports de force entre les deux leaders Edouard Balladur et Jacques Chirac entre les mois de septembre et de novembre 1994 ? 

Bruno Cautrès : Pendant l’automne 1994, Edouard Balladur disposait alors toujours d’une avance confortable sur Jacques Chirac dans les intentions de vote : un écart de l’ordre d’une dizaine de points, parfois même allant jusqu’à 14 points. Ainsi, selon l’enquête mensuelle de la Sofres, fin novembre 1994 Edouard Balladur réunissait 25% d’intentions de vote et Jacques Chirac seulement 15%. On observe néanmoins déjà que durant cet automne 1994 les intentions de vote en faveur du premier ont quitté la zone des 30% (début septembre 1994) pour se stabiliser autour de 25%. Mis à part cette tendance, l’automne 1994 est toujours très clairement une période dans laquelle la victoire d’Edouard Balladur à l’élection présidentielle semble irrésistible. 

Longtemps favori des sondages, Édouard Balladur a finalement été devancé au soir du premier tour de la présidentielle 1995 par Lionel Jospin et Jacques Chirac. À quand peut-on dater la bascule entre les deux candidats de droite ? Quelle a été l'intensité des mouvements d'opinion entre la fin du mois de novembre 1994, et l'élection elle-même ?

Bruno Cautrès : La bascule a lieu au cours du premier trimestre 1995 et notamment vers la fin février/début mars 1995. Edouard Balladur n’est plus crédité fin février 1995 que de 23,5% et Jacques Chirac remonte à 19%. Peu de temps après, début mars, c’est la fameuse "inversion de la courbe" : Jacques Chirac 24% et Edouard Balladur 20%. On voit donc une forte évolution des intentions de vote entre l’automne 1994 et l’élection présidentielle du mois de mai 1995. Contrairement à ce que les médias et les entourages politiques pensaient huit ou neuf mois avant, l’élection présidentielle n’était pas "pliée" à l’automne 1994. La prudence doit donc toujours être de mise en matière de commentaires d’intentions de vote mesurées hors du contexte de la campagne électorale. C’est la dynamique d’opinions donnée par la tonalité de la campagne, ses évènements et son contexte qui peuvent expliquer l’écart entre les intentions et le comportement de vote le jour de l’élection. Edouard Balladur n’a jamais semblé trouver son rythme dans la campagne électorale. Sa déclaration de candidature dans un style "vieux jeu" était venue conforter l’image d’un homme politique au style trop guindé ; par ailleurs, il était Premier ministre et avait donc était exposé fortement au vote "sanction" contre le chômage et sa politique, et ce d’autant plus que F. Mitterrand alors président-cohabitant ne se représentait pas : le mécontentement populaire et l’évaluation rétrospective de la politique économique conduite entre 1993 et 1995 ne pouvait donc que se retourner contre Edouard Balladur.

Ne peut-on pas voir ici un "défaut" des primaires, qui peut se matérialiser par le fait que le vainqueur de novembre 1994 n'a pas été le vainqueur du mois de mai 1995 ?

Bruno Cautrès : Il est tentant de comparer les situations de l’époque à celle d’aujourd’hui à propos de la position de favori de l’élection présidentielle d’Alain Juppé et de son opposition avec Nicolas Sarkozy pour la primaire de la fin novembre. Mais avant de le faire, il faut se rappeler quelques importantes différences entre ces deux contextes : pour la présidentielle de 1995 non seulement Edouard Balladur était Premier ministre, mais Premier ministre de cohabitation avec F. Mitterrand comme Président. Par ailleurs, c’est alors le premier tour de la présidentielle qui avait joué la fonction de la primaire puisque le RPR de l’époque n’avait pas organisé de primaire sur le modèle de celle que nous connaissons aujourd’hui. Mais quelques similitudes existent néanmoins entre les deux contextes : ainsi en 1995 les centristes de l’UDF n’ont pas présenté de candidat et avaient le choix de soutenir Edouard Balladur comme aujourd’hui François Bayrou vis-à-vis d’Alain Juppé. De même, comme c’est aujourd’hui le cas pour Alain Juppé, Edouard Balladur semblait survoler la compétition avec son rival pendant de longs mois. Enfin, comme Nicolas Sarkozy aujourd’hui, beaucoup de monde à l’intérieur de sa famille politique considérait Jacques Chirac comme ne pouvant se relever et gagner ce combat.  

De tout ceci on peut engager à la prudence quant à l’effet de "catapulte" que peut jouer la primaire de 2016 : si François Hollande a incontestablement bénéficié de cet effet en 2011, rien ne nous dit qu’il se produira à nouveau en 2016. Que la primaire du mois de novembre désigne Alain Juppé ou Nicolas Sarkozy, son vainqueur devra ensuite s’engager dans une nouvelle bataille contre Marine Le Pen et contre le vainqueur de la primaire du PS. Et la primaire laissera des traces….Par ailleurs, sous l’effet de la campagne, de la découverte par les électeurs des principales propositions économiques du vainqueur de la primaire, des évolutions dans les intentions de vote sont à attendre. La sociologie électorale montre que si des mouvements d’opinions de fond existent, très structurés dans l’électorat et peu sensibles aux fluctuations de court terme, la dynamique de la campagne électorale compte néanmoins. Une campagne électorale c’est aussi un agenda, une suite d’évènements qui sont très exposés à l’attention des électeurs. La campagne électorale actualise chez les électeurs et parfois réveille en eux leurs "vraies" préférences politiques fondées sur leurs préférences en matière de politiques publiques, que les intentions de vote mesurées des mois avant ne captaient pas bien. Ainsi, peut-on croire sérieusement que les électeurs de gauche, dont pourtant certains disent vouloir aller voter Juppé à la primaire, adhèrent au programme économique de celui-ci ? Les préférences de politiques publiques (dépenser plus ou moins sur tel ou tel domaine de l’action publique) continuent d’être très fortement structurées par le clivage gauche-droite. C’est tout le pari de François Hollande en fait : qu’en cas de victoire d’Alain Juppé à la primaire les électeurs de gauche, même s’ils ont voulu barrer la route à Nicolas Sarkozy, réalisent une fois la primaire passée qu’Alain Juppé a bien un programme économique … de droite.  Si tel était le cas, alors effectivement le vainqueur de novembre 2016 pourrait souffrir un peu plus au cours du printemps 2017….

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